Le collectif Argos regroupe un ensemble de photographes et d’écrivains. S’inspirant d’un journalisme de terrain, ils se proposent de rendre compte des mutations du monde moderne. Ils entendent également insuffler un souffle démocratique au journalisme à travers la participation des acteurs dans l’élaboration de leurs enquêtes.
« Rien ne vaut rien il ne se passe rien et cependant tout arrive et c’est indifférent » ces lignes de Nietzsche pourrait servir de préambule à l’œuvre du collectif Argos « Gueules d’Hexagone ». Ceci pour, principalement, deux raisons. D’une part, les lieux de reportage n’ont pas été le fruit du hasard ; ils recoupent les reportages effectués des années auparavant par Jacques Winderberger. Ce dernier, né en 1935, fut un précurseur du journalisme alliant enquêtes sociales, réalisme et objectivité. Engagé dans cette démarche, il réalisa plusieurs travaux relatifs aux conditions de vie de nombreux « damnés de la terre ». Les membres du collectif Argos s’inscrivent dans ses pas, en retournant sur les mêmes lieux et en usant de méthodes sensiblement identiques.
Cette filiation ne repose pas uniquement sur le plan symbolique et technique. Elle révèle également des permanences, observées au fil des enquêtes, et ce malgré les différences de temporalité. En effet, la force de témoignage de ces images demeure similaire. Toutes tendent à rendre un semblant de dignité à ceux en marge et qui constituent, malgré tout, l’essence de ce pays.
Rien n’est figé toutefois. Des ruptures, des évolutions apparaissent. A Marseille, l’esprit si singulier du Panier souffre de la boboïsation rampante du quartier ; les ouvriers italiens ont disparu de la photo à Sarcelles ; d’autres personnes, dont le sort n’est guère enviable, ont pris leur place.
Ces photographies peuvent apparaître, aux premiers abords, comme de simples instantanés du quotidien. Néanmoins, elles tracent, les contours d’une France authentique. Les textes accompagnant les photographies illustrent la rencontre avec ces différents univers. Dans certains cas, notamment le reportage en Lorraine, ils viennent apporter un supplément d’âme à des photographies déshumanisées. Dans d’autres, ils illustrent le combat ordinaire de milliers d’individus de « la France d’en bas ». Ils sont un relais essentiel de ce travail d’enquête. La forme varie au gré des auteurs. Un abécédaire un peu limité côtoie la plongée mélancolique dans le cœur du Panier. Tous rendent compte de l’extraordinaire vitalité de ces gens, habités, selon les mots de Georges Orwell d’« une décence commune ».
Les textes servent également à donner la parole aux acteurs. A l’écoute de ces individus croisés, les auteurs restituent la parole, palpent les peurs mais également les espoirs. Comme ce cuisinier en Bretagne s’attachant à redorer le blason de son noble métier ; « J’en ai eu ras-le-bol de réchauffer des plats tout préparés. Je ne suis pas un ouvre-boite. Cuisinier c’est un métier quand même ». Ou encore, ce chauffeur de bus refusant de quitter Sarcelles, la ville de son enfance ; « Pourquoi je bosse ici ? Je pourrais dire que j’ai déjà donné. Mais Sarcelles, c’est chez moi. Ça marque comme on dit. »
En réalisant cet ouvrage, le collectif Argos met en perspective l’identité de la France. Non pas l’identité comme valeur exclusive mais au contraire comme une mosaïque de « France différentes qui ont été cousues ensemble » selon les termes de Fernand Braudel. A l’heure où le spectre du « repli communautaire » s’agite au dessus de nos têtes, ce livre offre des perspectives communes teintées de fraternité. S’il ne devait y avoir qu’une raison, celle-ci devrait être suffisante pour découvrir ce livre.
Gueules d’Hexagone
Publié aux Editions Intervalles
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