Daniel Cordier – "Alias Caracalla" et "De l'Histoire à l'histoire"

En 1964, Malraux, par un vibrant discours devant le Panthéon, rendit hommage au rôle de Jean Moulin dans l « armée des ombres ».A travers ses mots, c’est la grandeur morale de la Résistance qui fut magnifiée. Ceux qui avaient dit « non » avaient ainsi pu redorer l’image de la France ternie par la collaboration au sommet de l’Etat. Longtemps magnifié, la Résistance dévoilera ses zones d’ombres des décennies plus tard. 

 

Daniel Cordier, à travers sa biographie sur Jean Moulin, contribuera à briser  l’unanimisme naïf et confortable autour de la Résistance.  Secrétaire personnel de Jean Moulin jusqu’à son arrestation, il devint historien pour défendre l’image de son ancien « patron » attaquée par d’anciens résistants. Pour ce faire, il s’appuiera sur sa propre expérience ainsi que sur des milliers d’archives notamment celle du BCRA (le service d’espionnage de la France Libre) en Angleterre. Ce cheminement personnel sera raconté dans « De l’Histoire à l’histoire ». Il s’agit, en définitive, d’un livre d’entretien avec Paulin Ismard… où les questions ont été retirées « pour mieux laisser se faire entendre la voix si personnelle de l’auteur d’Alias Caracalla » selon les mots de Pierre Nora.

Ce témoignage poignant éclaire ses ouvrages précédents. Il constitue un fil directeur de ses écrits. Outre la rupture de son silence, il évoque, également,  le destin, émouvant, de ses camarades après la guerre. Celui par exemple de Maurice de Cheveigné ou encore Francois Briant « parachuté en France en juillet 1942 et déporté à Buchenwald. Apres ses deux ans de camps, nous nous sommes retrouvés en 1945. Sa voix s’était fissurée : pouvait-il en être autrement ? Il a trouvé la mort en 1948 dans l’ascension du mont Blanc. A l’annonce de sa mort, j’avoue avoir pensé qu’elle fut pour lui une délivrance. » Enfin, Daniel Cordier aborde sa jeunesse maurassienne et antisémite, son ralliement à la République et le ressenti qu’il eut lors de son arrivée en France en 1942. Cette prise de distance avec le passé enrichit et complète son « journal de guerre », Alias Caracalla. Journal car la forme choisit par Daniel Cordier et celle de la narration quotidienne sans aucune perspective sur l’action engagée. Ceci rend le récit vivant et captivant. Il permet de saisir les difficultés des choix à effectuer de par la méconnaissance du futur. Cet absence d’éclairage met, également, en relief ce qu’était réellement la Résistance à savoir « une coalition d’adversaire » mus par l’engagement de sauver la France. « Nous ne jugions pas nos camarades sur leurs convictions mais sur leurs engagements. »

 

Le journal de Daniel Cordier débute en 1940. Issu d’une famille bourgeoise bordelaise, il milite avec ses camarades à l’Action française. L’appel de Pétain à cesser le feu va être, pour lui, un électrochoc. Comment « le vainqueur de Verdun » peut-il se résigner à laisser le pays aux allemands ? Ne pouvant se résoudre à la défaite, il décide, sans hésitation, à rejoindre l’Angleterre où il espère poursuivre la guerre. Le journal restitue la vision de ce jeune homme galvanisé par une fougue belliqueuse. Il retrouvera au Royaume-Uni cette petite minorité de français ayant fui leur pays pour continuer le combat. La solitude, l’éloignement des familles va créer de fait une fraternité entre tous ces jeunes hommes. Intégré dans les services secrets de la France Libre, Cordier n’a qu’une idée en tête : se battre. « Lorsque je suis arrivé en Angleterre, il y a un an, c’était pour me battre et participer à la reconquête de la France. J’avais 19 ans et n’avais pas la moindre idée de la vie militaire. Aujourd’hui, j’en connais les difficultés et les devoirs. A l’époque, je décidai de sacrifier ma vie pour laver la honte de la défaite et de la capitulation. Je n’ai pas changé d’avis. » dira-t-il au colonel Passy en charge du recrutement. Pourtant, la Résistance de Daniel Cordier aura peu à voir avec des actions de guérilla. En effet, à Lyon, devenu secrétaire de Jean Moulin, il aura pour tâche principale de coder et décoder des messages. La clandestinité l’oblige à perdre sa véritable identité. Elle l’oblige également à mener une vie de spartiate, placée sous le signe du soupçon permanent.

 

Il sera également aux cœurs des dissensions qui parcourent la Résistance. Sous la houlette de Jean moulin, De gaulle ambitionnait de réunir les différents mouvements au sein d’une même organisation. Loin de l’héroïsme véhiculé par l’imaginaire national, Cordier offre au lecteur l’envers de la Résistance ; l’amateurisme  des responsables, la lutte des pouvoirs entre les courants, la réticence de tous face à la volonté du General de Gaulle. Seul au milieu de ce tumulte, Jean Moulin animé par un esprit messianique tente de concilier les parties. Catalysant les rancœurs de nombreux résistants, il n’est guère étonnant de constater qu’aucune initiative ne sera entreprise pour permettre sa libération. « Cela en dit long sur ce que la Résistance pensait de lui. […] Avec le temps, ce sentiment reste douloureusement présent à ma conscience » soulignera Daniel Cordier dans « De l’Histoire à l’histoire ».

 

A travers ce journal retranscrit des années plus tard, Daniel Cordier trouve un style d’écriture, simple et efficace. Ses naïvetés, ses récriminations  ainsi que son courage héroïque et discret rendent ce témoignage à la fois  singulier et sincère. Il exprime, également, les tourments et l’espérance d’un jeune homme qui, durant toute sa vie eut, pour la France, un amour immodéré. « Mon engagement dans la France Libre et, quarante ans plus tard, les trente années que j’ai consacrées à l’écriture de cette histoire sont les deux périodes de mon passé que je recommencerais à l’identique si j’en avais la possibilité »

  


"Alias Caracalla" et "De l’Histoire à l’histoire"
Ecrit par Daniel Cordier
Publié aux editions Gallimard.

La page de France Culture consacré à Daniel Cordier.

                                                              

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