C’est peu dire que certains ouvrages suscitent la surprise et qu’il faut parfois démarrer par une confession : on a vu immédiatement plus sexy et attirant, à première vue, qu’un livre sur les pingouins.
Expression d’autant plus volontairement bas de plafond et réductrice (pour ne pas écrire beauf) qu’elle dévoile justement de l’horizon du livre de David Grémillet, Les manchots de Mandela, tout juste paru dans la stimulante et déjà célèbre (elle accueille entre autre les plumes de Baptiste Morizot ou le fascinant Autobiographie d’un poulpe de Vinciane Despret) collection Mondes sauvages d’Actes Sud, qui rêve de repenser le Vivant : celle d’un décillement.
Car on ne gâchera aucun suspens en révélant dès maintenant que le résultat s’avère tout bonnement fascinant, stimulant et lumineux.
Comme il le dit si bien : plongeons avec eux.
- Plume et plumes
Ce sont les cormorans, oiseaux mythiques dont les plumes semblent bizarrement hydrophiles (un peu bizarre pour des oiseaux qui plongent pour se nourrir, n’est-ce pas) mais qui révéleront un secret aérodynamique incroyable, quand leur position si poétique et crucifiée, qu’on a longtemps cru être un séchoir naturel bizarre, dévoilera un étrange et fascinant four qui réchauffe les poissons avant digestion.
Ce sont les mergules, minuscules et magnifiques petites boules noires et blanches, si discrets au regard qu’on ne soupçonne ni la population (entre 7 et 14 % des oiseaux marins de la planète !) ni l’incroyable capacité d’apprentissage face à un monde qui change (nous y reviendrons.)
Les puffins et leurs sociabilisation façon café du commerce avant la migration, les sternes fuligineuses d’Inde et leur fascinant œil recouvert d’une huile jaune aidant à la vision nocturne. Les manchots d’Adélie, enfin, à l’incroyable fenetre de régulation thermique.
France, Antarctique, Inde, Afrique : pour les curieux, les amoureux de découverte et les fascinés de l’incroyable capacité d’émerveillement du monde, Les manchots de Mandela est un livre éblouissant.
Mais le réduire à la catégorie (pourtant féconde) livre de sciences, même naturelles, serait lui faire ombrage, et ne pas voir l’incroyable capacité de conteur de son auteur.
Loin d’exposer les faits comme en un congrès, David Grémillet aborde plutôt l’ensemble des 8 courts chapitres comme autant de mystères à percer : après une présentation rapide de chaque espèce et la captivante énigme qu’elle représente, il conte avec force essais et hypothèses les diverses enquêtes mises en place, de micro caméra capteur de lumière aux analyses de plumage au microscope, d’analyse image par image du cormoran en pleine Chine pour comprendre comment il peut sélectionner ses proies (à peine 0.8% d’attaques à chaque plongée) à des balises Argos qui disparaissent, preuve d’un braconnage intensif et caché.
Il nous fait complice de ses doutes, avide de savoir, intrigué par la résolution de chaque questionnement. Ce n’est plus un scientifique pontifiant, c’est Sherlock Holmes chez les pingouins.
Un enquêteur qui sait se faire aventurier quand il nous relate les migrations des fous de Bassan au long des côtes d’Afrique, qu’il nage tant bien que mal sur l’ile préservée du Kerala ou qu’il s’échine à éviter les coraux coupant comme du rasoir près de Madagascar, quand il ne court pas à demi-nu sur l’Antarctique pour réguler sa température.
- Birds are burning
Un conteur qui sait, en sourdine et quasiment rythmiquement, à chaque chapitre, dévoiler le cœur noir de son ouvrage : le dérèglement climatique.
S’il ouvre son livre par l’image frappante de ces oiseaux mazoutés, dont le petit Billy qu’il ne parviendra pas à sauver, il creuse petit à petit comme chacun de nos déséquilibres finissent par mettre en péril une succession millénaire voire millionaire (après tout, le rappelle-t-il avec malice, les oiseaux ne sont que des dinosaures évolués), comportements et éducations transmises de générations en générations.
Mazoutage, donc, dont une unique tache de fioul suffit à détruire un oiseau aussi surement qu’une voie d’eau sur un bateau, mais aussi maquereaux et Planctons qui migrent à distance, bouleversé par la fonte des glaces ou la pêche intensive, obligeant les oiseaux à dépérir ou augmenter leurs sorties en mer en durée ou nombre (et à réduire leur nombre d’œufs), quand ce n’est pas l’un des effets pervers et absurde de la pêche qui se dévoile, où des fous de Bassan affamé se gavent de junk food façon mcdo rejetés par les chalutiers, petits poissons trop maigres et raclés au fond de l’ocean mais qui ne couvrent plus leurs besoins et diminuait même les capacités cognitives de leurs bébés.
Le chapitre le plus percutant et effarant est celui qui donne son titre à l’ouvrage. Des manchots de carte postale de l’Afrique du Sud, on découvre la véritable histoire : celle d’un massacre intensif, tout d’abord, par les marins et colons de passage qui se repaissent de leur chair et leurs œufs. Celle, ensuite, d’une destruction systématique et industrielle de leur habitat et galeries creusées, quand l’Homme découvrira les vertus du guano comme fertilisant.
Celle, enfin, de notre folie mondialisée : préservé enfin, c’est aujourd’hui leur nourriture qui est décimée, ces sardines et anchois que l’on pêche par millions le long de leurs côtes, pour en faire, absurdité, une farine que l’on transporte en Norvège pour nourrir des saumons d’élevages.
Celle d’une espèce qui, de plusieurs millions d’individus, se voit aujourd’hui restreinte à quelques dizaines de milliers, prête à disparaitre dans les vingt années à venir.
Du massacre à l’industrialisation à la course folle, toute l’histoire de l’humanité, qui comme le dit si bien l’auteur :
« Les manchots du Cap sont porteurs d’un message multimillénaire ; ils ont vu les océans comme nous ne le verrons plus jamais. Leur patrimoine génétique, ce flambeau évolutif, ne sera bientôt plus passé à la génération suivante et une aventure d’un demi-millions d’années s’achèvera en silence ».
C’est contre ce silence que l’auteur lutte, sans doute vainement, avec passion.
Et s’il vénère avec force la capacité de résilience des espèces, il défend avec ferveur la nécessité d’une pensée globale contre ce « vortex d’extinction », terme qui désigne usuellement une disparition progressive d’espece même si les decisions sont prises, car trop tard.
Car inutile de défendre bec et ongle les iles protégées comme en Bretagne, quand en Afrique de l’ouest européens et asiatiques dépècent les bancs nourriciers ou capturent les oiseaux migrateurs, que même les locaux, à leur micro-échelle, déséquilibrent les colonies en se nourrissant des œufs si fins des sternes.
Un équilibre difficile, qui n’appelle pas à l’angélisme, comme il le dit si bien, dans les quasi dernières pages de l’ouvrage :
« On me dit que la nature sous cloche des réserves naturelles est un paradis artificiel héritier des empires coloniaux. J’entends qu’il faut penser l’homme dans la nature afin de trouver un équilibre plus juste pour tous. Pour les îles aux oiseaux de l’océan Indien, je ne vois de futur possible que dans quelques colonies de reproduction férocement gardées, associées à des zones marines exemptes de pêches. Les humains sont déjà presque partout « dans la nature », ne causant que destruction sur leur passage. La déliquescence des Etats, qui touche même les pays du Nord, ne permettra pas de contrôler un usage « raisonné » des espaces et des ressources naturels. Il ne nous reste donc que la nature sous cloche, si critiquable soit-elle. On peut la voir comme un rejeton de la violence coloniale, mais elle trouve ses origines dans la nuit des temps : toutes les sociétés ont eu leurs zones taboues. Alors, que les îles Glorieuses, Pitti, Aldabra, Clipperton et bien d’autres deviennent des tabous modernes, où l’on n’osera plus se rendre par crainte des sortilèges jetés par la sterne furieuse. »
Préserver, célébrer, craindre et vénérer : on ne saurait mieux dire, dans ce livre aussi inquiétant que malgré tout profondément vif et empli de lumière.
Editions Actes Sud, collection « Mondes sauvages », 240 pages, 21 euros. En libraire.
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