Débuter l’écriture d’un livre consacré à l’histoire du Congo n’est pas anodin et rend compte d’une certaine curiosité. Consacrer six ans a cette tâche, rencontrer des centaines de témoins (plus de 500), raccorder des archives, s’imprégner des mémoires témoignent également d’une volonté singulière.
Réussir à rendre cette formidable aventure intellectuelle et humaine aussi prolixe (près de 600 pages) que passionnante n’était pas un pari gagné d’avance. Malgré tout, le livre de David Van Reybrouck est à tout point de vue remarquable.
Par sa forme d’abord qui lui confère une originalité de ton. En effet, son livre n’emprunte pas les chemins usités des simples livres d’histoire. Il allie différents genres pour aboutir à ce qu’on appellerait une fresque en peinture, embrassant l’histoire d’un pays. « J’aime cette technique qui donne du rythme, augmente la lisibilité, et me permet d’humaniser une histoire abstraite » confiait-il à un journaliste. Cette transgression des genres repose sur une puissance d’écriture sans égal maintenant la curiosité. En effet, son livre mêle travail journalistique et ébauche littéraire avec toujours cette recherche constante de l’objectivité historique. Il n’est pas simple pour un européen d’écrire un livre sur l’histoire du Congo sans éviter de tomber dans de nombreux « pièges ». De la posture du repenti à celle du néo-colon, se frayer un passage entre ces deux écueils apparaît ardu. Néanmoins, la plume de David Van Reybrouck s’approche d’une posture, sans adages idéologiques prédéfinis.
Son livre débute alors que le Congo ne reposait sur aucune réalité géographique et politique. Des dizaines de milliers d’années séparent l’homme préhistorique des pygmées, premiers résidents du Congo. L’auteur imagine ainsi, dans ces premières pages, un enfant de douze ans illustrant les différentes époques du Congo. Puis, le pays va découvrir les premiers missionnaires éveillant l’intérêt des européens. Parmi eux Stanley, célèbre missionnaire du XVIIIe siècle ;
« Dans un bateau en acier rouillé, un personnage en bronze qui faisait bien quatre mètres de haut était étendu sur le ventre. Je l’ai aussitôt reconnu c’était la statue triomphale de Stanley qui, pendant des décennies avait porté son regard martial au-delà du fleuve. Et il gisait à présent ici, notre Stanley. Le large geste du bras, avec lequel il englobait le Congo jadis, n’indiquait plus rien. Les doigts ne s’appuyaient que sur la chaudière du bateau. Le pouvoir était devenu une crampe, le courage quelque chose de grotesque. Sur le flanc du bateau à l’avant, j’ai vu inscrites trois lettres : AIA, le sigle de l’association internationale africaine. C’était un des trois bateaux avec lesquels Stanley avait navigué sur le fleuve pour fonder des postes ici et là. »
Après les missionnaires, viendra le temps de Léopold II et de la colonisation. L’auteur raconte la grande Histoire par de petites histoires. Le joug colonial se traduit par un asservissement économique sans précédent. Les richesses du Congo desservent ses habitants qui subissent malgré eux les cours mondiaux des matières premières. Les premières révoltes sont réprimées de manière sanglantes. Après les guerres mondiales, conscient de la déroute morale du continent européen, les colons assouplissent leur politique. Mais il faudra attendre plus de dix ans pour voir le Congo s’émanciper de la tutelle coloniale. David Van Reybrouck nous fait découvrir cette société congolaise des années 1960 où les colons vivent leur dernier jour sous le soleil de l’Afrique. Une société fragmentée, semblable à un apartheid où certains noirs « teints blonds pour faire blancs » (pour reprendre un texte du groupe de rap la Rumeur) s’accommodent de leur citoyenneté de seconde zone. « L’évolué ne voulait pas abattre le mur entre Blancs et Noirs, mais demandait qu’on l’aide à passer par-dessus. Ils adoptaient eux-mêmes, dans leurs désirs d’assimilation, le regard que la plupart des Européens posaient sur les indigènes. »
L’immense espoir soulevé par l’indépendance va s’éteindre avec la disparition de Patrice Lumunba et l’accession au trône de Mobutu. Dès lors, le pays va s’enfoncer dans une spirale économique infernale dirigée par un potentat aux accents monarchiques sur fond de corruption généralisée. Le Congo subira, par la suite, plusieurs guerres sur son territoire qui conduiront à l’avènement de Kabila au pouvoir.
L’écriture de David Van Reybrouck suscite des émotions chez le lecteur. Elle restitue ces moments où un peuple croit en son destin et se brise devant la réalité du pouvoir. Maints espoirs ont été soulevés à chaque changement de régime. Tous ont été déçus. Pire, la situation semble enlisée. La paix apparaît une utopie. Les richesses du pays, les conflits inter-ethniques font perdurer d’incessantes rivalités ajoutant de la cruauté à une misère sociale déjà présente.
L’auteur souligne à la fin de son ouvrage l’intérêt croissant porté par la Chine au Congo (et à l’Afrique en général). Ce « partenariat » sera-t-il préférable pour le pays à la place de notre présence? Constituera-t-il une forme de néo-colonialisme déguisé? L’histoire le dira.
Au delà de son approche non conventionnelle, le livre de David Van Reybrouck constitue une référence pour découvrir un pays africain, le Congo, symbole des tragédies de ce continent.
Congo
un livre de David Van Reybrouck
aux Editions Actes Sud
Pour en savoir plus:
voir les Films de la Passerelle notamment « Congo River » et « Mobutu, roi du Zaire » de Thierry Michel.
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