Disons-le en guise de préambule et pour éviter toute ambiguïté : Don Winslow a signé ce qui fait de plus grandiose, dans le monde littéraire, sur l’univers de la drogue et des narco-trafiquants. Certes, l’encensement critique peut être douteux, mais Cartel constitue un chef-d’œuvre méritant largement cette ovation.
Cartel est d’abord la suite d’un livre sorti en 2008. La griffe du chien relatait l’émergence des narco-trafiquants au Mexique, à partir des années 1970. Il soulevait la complexité des rôles dans la lutte contre le trafic de drogue entre le pouvoir officiel et le grand voisin américain. Ce dernier, attaché à ne pas créer d’autre Vietnam, fondait des alliances improbables pour lutter contre toutes sortes de guérilla contestant son hégémonie. Ce premier livre était, déjà, une plongée hallucinatoire dans un enfer où la vie n’est qu’une variable dans la lutte qui se joue entre les clans. Ni la foi, ni la morale ne semble contenir ces hommes, prêts à toutes les abjections pour détenir une place privilégiée. Au centre de cette guerre, deux hommes se livrent une lutte sans merci :Art Keller et Adan Barrera. L’un appartient à la DEA, une officine américaine chargée de lutter contre le trafic de drogue ; l’autre est devenu dans le précédent roman le parrain le plus respecté du Mexique.
Dans Cartel, Art Keller s’est rangé des affaires officielles et a intégré un monastère. Adan Barrera passe ses jours, à l’ombre des barreaux. Une prison où tous les privilèges sont autorisés. Même celui de s’évader. « Keller déplie le journal sur le distributeur et lit. Barrera extradé dans une prison mexicaine…Puente Grande…une fête de Noël. Il n’arrive pas à y croire. Mais si. Bien sur que si. C’est Barrera et c’est le Mexique. L’ironie de la situation est aussi parfaite que douloureuse. Je suis prisonnier du plus grand quartier d’isolement au monde. Et Barrera est libre. Il jette le journal dans une poubelle. Il marche dans les rues pendant des heures, il passe devant des monticules de neige sale, des usines fermées, des putes défoncées au crack qui grelottent, les vestiges d’une ville de la Rust Belt dont tous les boulots ont fichu le camp vers le Sud. En fin d’après-midi, quand le ciel prend une couleur grise dure et menaçante, Keller entre dans la gare routière pour se rendre là où ses pas le conduisent depuis le début. »
Une fois libre, Adan Barrera va chercher à reprendre le contrôle des différents cartels. D’autres rivaux ont émergé et contrôlent des territoires. Adan Barrera veut redevenir celui qu’il était avant son incarcération. Pour ce faire, tous les moyens sont utilisés pour nouer des alliances : séduction, mariage arrangé, corruption des politiques… Néanmoins, les temps ont changé, la violence a gagné en intensité à mesure que les cartels s’enrichissaient. Désormais, les factions en présence sont de véritables armées pouvant rivaliser avec les forces étatiques. Diversifiées, elles n’hésitent pas à investir dans d’autres domaines que la drogue. Surarmés, les gangs se livrent à une violence sans limite, touchant toutes les personnes. Les derniers codes moraux sont les vestiges d’un temps révolu. Les habitants de certaines régions fuient devant l’embrasement. Les Zetas, ennemis de Barrera, se livrent à des actes de barbarie pour terroriser la population et les pouvoirs publics (ou ce qu’il en reste). « Le Mexique s’est abîmé dans l’horreur », a récemment dit Don Winslow dans un entretien.
Au milieu de ce chaos, des personnages secondaires vont magnifier le récit et le rendre véritablement enivrant. Au hasard, l’inexorable plongée en enfer de Choy. Un adolescent obligé dès son plus jeune âge à commettre d’atroces crimes et dont la vie va être sacrifiée sur l’autel des intérêts du cartel. Il y a également le destin tragique de Pablo, journaliste dans un quotidien à Juarez, cerné par les menaces des narco-trafiquants. Dans cet abîme de violence, des instants d’amour, des moments d’amitié rappellent la beauté des êtres et questionnent la monstruosité des hommes.
La plume de Don Winslow est acérée : elle ne se perd pas dans de longs paragraphes discursifs mais relate les faits méthodiquement en jouant, tout de même, davantage, sur les sentiments que dans le premier tome. Le tableau de cette apocalypse résulte d’une architecture construite méticuleusement par Don Winslow. Grâce à ce scénario finement ciselé, il repousse les limites du genre en signant un récit complet et ambitieux. Un livre incontournable.
Cartel
Don Winslow
Editions du Seuil
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