En 2012, avec La Capitana, Elsa Osario faisait le portrait d’une révolutionnaire, Mika Etchebéhère, ravivant le souvenir d’une mémoire tristement oubliée. Sa superbe biographie permettait d’éclairer la vie de cette personne dotée d’un incroyable courage et d’une ténacité à toute épreuve. Toujours dans cette même veine historique, Elsa Osario vient de publier un roman ne s’attachant pas ici à une seule personne mais à un moment précis de l’histoire argentine. Elle-même Argentine de naissance, Elsa Osario a cette volonté, dans sa démarche, de mettre au grand jour l’histoire inavouée de son pays. Celle-ci débute avec l’arrivée au pouvoir des militaires, sous la coupe du général Vidella, et coïncide avec le déclenchement de la guerre sale et sa cohorte de disparus.
Loin des contrées argentines, le récit débute sur une plage bretonne, la Turballe, par la découverte d’un corps de femme. Suicide, meurtre, accident ? Une jeune journaliste décide de découvrir les dessous cachés de ce drame. Accompagnée de la voisine de la défunte et d’un amoureux contrarié, ils vont se jeter à corps perdu dans cette enquête. Prêts à tout pour élucider le mystère de Marie Le Boullec, ils n’hésiteront pas à dissimuler des éléments aux enquêteurs. Dès les premières emplettes, son identité interroge : est-elle authentique ou s’agit-il d’un nom d’emprunt afin de cacher un passé trouble ?
En parallèle, un autre récit se met en place; un récit davantage haletant et passionnant. Elsa Osario suit les traces, en France, d’une révolutionnaire repentie en 1978[1]. De cette époque, peu d’éléments factuels sont connus, même à l’heure actuelle, sur l’histoire de ces militaires recyclés ensuite dans les hautes sphères de la société. Néanmoins, les témoignages et les recherches historiques lèvent progressivement le voile sur ce passé : la torture et les disparitions étaient devenues une arme politique de l’État, transformant de fait tout citoyen en suspect potentiel. Au fond des geôles de l’école de la Marine à Buenos Aires ou dans les locaux parisiens des services secrets argentins, la neutralisation des opposants devient systématique. Au milieu de cette histoire collective émerge des récits individuels, comme ces militants de gauche forcés, sous la pression psychologique, à devenir des alliés du régime en place. Elsa Osario s’empare d’une de ces vies, réelles ou imaginaires, pour nouer le fil de son intrigue. « On ne peut pas comparer ce que l’on ressent dans un monde libre avec ce qui se passe en captivité. Juana ne ment pas à Raùl, parfois si, parfois non. L’amour, elle y pense maintenant qu’elle voudrait ne penser à rien, est quelque chose qui ne peut s’épanouir qu’en liberté, entre égaux…mon fils sorti de l’ESMA, ou ça, les décharges électriques, ou ça…On peut choisir entre deux hommes, entre deux pays, mais on ne choisit pas entre une douleur déchirante et quelque chose qui l’arrête. » Ces deux récits se croisent au fil du roman avec en filigrane la correspondance épistolaire d’une mère à son fils…
Malgré cette intrigue sur l’identité et l’histoire, le récit apparait qualitativement inégal. Certes, il maintient un suspense tant le récit de Juana dévoile une pression psychologique permanente et véritablement cauchemardesque de la part de ses bourreaux. Certes, il permet de dévoiler un passé occulté et peu connu du grand public. Mais l’enquête faite par la journaliste et ses comparses ne prend pas. Les personnages semblent peu travaillés et d’une lourdeur presque gênante. Il en est ainsi de Muriel partagée à chaque chapitre entre l’amour et le désintérêt pour son camarade…pour finir par tomber amoureuse d’un inconnu. Un sentiment d’hystérie semble s’emparer de ces personnages découvrant le monde comme des enfants ouvrant un livre d’images.
Malgré cet aspect dommageable au récit dans son ensemble, le livre d’Elsa Osario reste intéressant à lire pour honorer le parcours de ces individus traqués à travers le monde pour honorer leur engagement de jeunesse.
Double fond
Elsa Osario
[1] Année particulière de la Coupe du monde de football en Argentine où un mouvement en France tenta d’en empêcher la tenue.
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