Difficile pari et joli défi pour le projet d’Emmanuel Lemaire : raconter une année de vie à Rotterdam, ville dont l’imaginaire collectif la place immédiatement dans la catégorie « fait pas rêver ».
Dans Rotterdam, un séjour à fleur d’eau, chroniques rythmées par les ballades en vélo et les petits bateaux en papiers qui marquent les chapitres, le jeune exilé rouennais nous propose un roman graphique intime de ces quelques mois en compagnie de sa chère et tendre (dont le nom est le seul étonnamment tu), accompagnateur anonyme dans cette ville moche, et dont la seule vue du bureau est une cour d’école bruyante d’une barre d’immeubles.
Alors il prend le crayon pour nous relater son quotidien : ses voisins un peu racistes, le carnaval de la ville, le comique d’une commande au fish&chips ou les champs de tulipes à l’infini qui contrastent avec les grues d’une ville qui ne semblent jamais s’arrêter de bâtir.
- Dora l’exploratrice et les polders
On passera sur la naïveté du texte et de son personnage, Candide au milieu des polders s’émerveillant à chaque instant, sautillant d’un sujet à l’autre, d’une rencontre à la suivante et notant un détail cocasse sans jamais chercher plus loin.
Ce n’est pas ici Guy Delisle et ses Chroniques (birmanes, de Jérusalem, etc), auquel on pense d’abord dans la situation initiale (l’ennui d’exilé qui pousse à dessiner et aller vers l’autre), et la situation sociale ou économico-politique du lieu importent finalement assez peu à l’auteur au-delà de son univers initial, donnant l’agaçante impression de ne finalement jamais sortir de son pré carré.
Au-delà de la tendresse d’un témoignage aussi sincère, et quand bien même sa relative banalité nous ressemblerait au point d’en devenir touchant, le relatif anecdotisme de l’ensemble, rate –par excès de sincérité et refus de fictionnaliser ?- son horizon initial de portrait cosmopolite d’une ville dont on ne saura finalement pas grand chose.
Pas assez documentaire, trop peu rempli de témoignages (les rares belles rencontres disent si peu du pays, et elles sont très vite avortées pour rester en surface), l’ouvrage pourrait lasser et atteindre les oubliettes de la production.
- Lignes de crayons et de fuites
Cela serait toutefois ne pas lui reconnaitre l’essentiel : une précision architecturale du trait des croquis, dont la finesse des crayonnés impressionne par son détail et la prolifération des éléments, minutieuses reproductions de paysages ou de bâtiments qui parviennent à elles seules à poétiser un peu l’ensemble.
De l’engin de chantier à la ligne de buildings façon Manhattan, rien n’échappe à son plaisir du trait. Jouant des échelles, des horizons et des décadrages, cette recherche de la ligne (le trait comme l’horizon) est finalement peut-être celle qui tape le plus juste, en décrivant un pays et une ville à l’horizontale, une ligne de front d’avancée de l’Homme sur l’eau.
Un pays gagné sur la mer, à force de paysage, à force de bâtiments. Une poésie visuelle et urbaine : Rotterdam, une ville construite au fil du trait.
Editions Delcourt, collection Shampooing, 128 pages, 14.95 euros. En librairie depuis le 9 Mars 2016.
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