Même au milieu du cuir, des chaînes et des pervers, Clara Basteh n’a pas peur de casser son image. Tour à tour mannequin et romancière, productrice de cinéma à ses heures perdues pour Jacques Richard sur L’orpheline avec en plus un bras en moins, la sculpturale jeune femme vient de signer son troisième roman érotique. Adepte d’une sexualité débridée où la volupté côtoie la souffrance lors d’ébats plus ou moins SM, Clara Basteh quitte cette fois les clubs et salons échangistes, décors de ses précédents romans, pour narrer l’initiation d’un travesti. Après Itinéraire d’une scandaleuse et Vie d’une libertine, dans lesquels elle se romançait à la première personne, l’auteure décide cette fois d’adopter une forme épistolaire. Correspondance charnelle (en gare du désir) s’articule autour des échanges de trois personnages, Béranger de Laze, ambigu travesti, Saxu, une escort girl, et Clara. Un changement de style et d’univers qui se traduit également par un changement d’éditeur.
Bien plus sombre que ses précédents écrits, Correspondance charnelle (en gare du désir) explore les côtés les plus déviants de la sexualité. Dans une écriture élégante, l’auteure décrit des scènes de sexe très crues, sophistiquées et, parfois, dérangeantes où les frontières entre les genres explose. Cette histoire d’initiation et de manipulation dresse également le portrait d’un pervers narcissique, son cheminement d’esprit se dessinant au fil des courriels échangés. En filigrane, sous la description des aventures sexuelles des personnages se dévoile une société où les gens sont seuls, livrés à eux-mêmes et victimes de choix dont ils ne sont, finalement, pas toujours maîtres.
Pourquoi un roman épistolaire, comment t’es venue l’idée ?
A notre époque, tout le monde s’écrit à nouveau et puis, ce procédé permet à tous les personnages de dire JE.
J’ai aussi pensé aux pièces jointes afin d’introduire les histoires parallèles auxquelles mes lecteurs sont habitués.
Pour terminer, c’est un style très vivant, avec des dialogues, des disputes et des moments de tendresse…
N’y a-t-il pas un peu des Liaisons dangereuses dans ce livre ? Tu y parles de pureté, de manipulation et de corruption…
Si, bien sûr, le titre était d’ailleurs à l’origine Les nouvelles liaisons dangereuses ! L’idée était de transposer à notre époque la complicité d’un couple pervers pour corrompre un jeune inexpérimenté.
Pourquoi le titre a-t-il changé ? Comment t’es venu le nouveau ?
J’ai craint qu’un tel titre ne passe pour prétentieux et aussi qu’il soit tout simplement refusé. Correspondance charnelle m’est venu naturellement et c’est mon ami le réalisateur Jacques Richard qui, le trouvant un peu banal, a eu l’idée de cette gare du désir qui donne à ce nouveau titre une autre dimension.
Dans quelle mesure ce roman est-il autobiographique ?
Dans une faible mesure puisque le héros est un homme ! Il m’a été inspiré par quatre travestis différents. Concernant sa personnalité de pervers narcissique, j’en ai hélas croisé plus d’un et j’ai voulu aussi montrer le plus mauvais côté de moi-même. Et oui, Béranger, c’est aussi moi !
Saxu, la confidente et Charles-Louis, la victime, sont des personnages nécessaires à l’action. Quant à l’héroïne, c’est sensiblement la même que dans mes deux premiers romans, avec quelques références à son passé comme le retour discret de Nuno et de Théo. Par contre, le mari candauliste n’apparaît plus.
Si les personnages et les situations sont réels, as-tu changé les noms ? Est-ce que tu as dû négocier pour utiliser leurs proses ?
Toutes les lettres sont fictives, par contre l’adolescence de Béranger et ses soirées de bonne à tout faire m’ont été inspirés par les témoignages oraux de deux travestis de ma connaissance. Je les ai longuement interviewés en notant leur vocabulaire et leurs tournures de phrase. Ils sont enchantés d’avoir participé au livre à leur façon et je les remercie d’ailleurs à la fin du livre.
Tu n’hésites pas à mettre en scène crûment des actes homosexuels, sujet plutôt tabou dans la littérature et le cinéma érotique et pornographique ?
L’homosexualité masculine fait partie de mes fantasmes et j’ai visionné pas mal de films gays pour écrire ce livre. Ce sujet n’est tabou que chez les hétérosexuels !
Justement, en quoi, selon toi, l’homosexualité masculine est-elle tabou chez les hétérosexuels ?
C’est la peur de la sodomie, et ce que cet acte pratiqué entre hommes représente, qui dérange les gens. N’oublions pas que la sodomie a été passible de mort par le passé. L’homosexualité féminine, par contre, passe presque inaperçue, on n’imagine pas, par exemple, de sodomie entre lesbiennes avec des godes…
As-tu eu des difficultés pour les imposer à l’éditeur ou est-ce courant dans le genre ?
Je n’ai eu aucune remarque mais Béranger est un travesti. Lors de ses pratiques homosexuelles, il est habillé en femme et se prénomme Anne-Charlotte. Ca aide sans doute à faire passer la pilule !
La narration est très elliptique…
Il y a des repères temporels avec les dates des lettres. Si on met à part les récits en pièces jointes, l’échange de correspondance montre, je pense, comment Béranger s’y prend pour atteindre son unique but : voir si Clara va quitter son mari pour lui. Une fois que c’est fait, elle ne l’intéresse plus ou si peu.
Ce livre est aussi le dernier volet d’un triptyque. Alors que les deux premiers volets célébraient le sexe, ici, l’ambiance est plus sombre…
Oui et c’est pour ça que j’ai changé d’éditeur. On ne peut pas raconter toujours la même chose, les lecteurs se lasseraient. J’ai voulu créer la surprise. Le BDSM est par ailleurs une thématique plus riche que le libertinage.
En quoi, le BDSM est-il plus riche que le libertinage ? L’un exclue-t-il nécessairement l’autre ? N’as-tu pas peur de faire fuir des lecteurs qui te suivent après tes deux premiers romans ?
Les pratiques BDSM sont plus nombreuses et plus variées. Elles sont souvent scénarisées, ce qui est intéressant à dépeindre. Les pratiquants ont aussi davantage exploré leur sexualité, la preuve en est que nombre de libertins viennent au BDSM avec le temps.
Beaucoup des lecteurs de ce livre sont de nouveaux lecteurs. Pour les autres, ils ont parfois beaucoup aimé et apprécié le retour de certains personnages, parfois moins car ça n’est pas leur sensibilité, mais personne ne me l’a jeté à la figure !
Propos recueillis via courriels entre le 19 et le 28 avril 2013
Correspondance charnelle (en gare du désir), Clara Basteh, Tabou éditions, 16,50 euros.
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