Il semblerait qu’enfin, le cinéaste Pierre Perrault sorte un peu des bois, et de l’ombre dans laquelle il a tendance à être plongé dans nos contrées: sortie DVD de La Bête Lumineuse, Pour La Suite Du Monde fêté de-ci de-là, et parution ces jours-ci du livre passionnant qui nous occupe: Activiste Poétique (filmer le Québec – entretien avec Simone Suchet), chez Capricci. S’il faut remercier la journaliste et critique Simone Suchet d’avoir mené cet ouvrage à l’existence (un remarquable travail de très longue haleine, de dialogue et de confiance avec le cinéaste), c’est la voix même de Perrault, comme ininterrompue sinon par l’excellent chapitrage, qui se fait entendre au travers de ces pages constituant une quasi-autobiographie. La parole de Perrault (par ailleurs écrivain et poète) est ici livrée non retravaillée, matière brute comme celle que lui-même travaille dans certaines de ses réalisations -matière brute et, surtout, précieuse. S’il n’évite pas une certaine forme d’autosatisfaction (peut-être inhérente à l’exercice), Perrault y déploie une pensée et un regard sur son parcours qui dépasse de loin le cadre de sa filmographie.
La partie dédiée précisément aux films, présentés par groupements thématiques, est d’ailleurs reserrée mais très éclairante (en trois pages La Bête devient encore plus Lumineuse). Empreint des notions de jeu, d’héroïsme et du concret, Perrault fait voyager le lecteur dans la culture québécoise -et on appréciera la bonne idée d’offrir une belle quantité de notes riches et fort utiles. S’y déploie une vibrante défense du patrimoine local, un rapport ambivalent à la culture francophone et une méfiance radicale vis-à-vis de l’universalisme. Perrault y fait la preuve éclatante qu’en se concentrant sur la particularité de son environnement propre -ici, une frange de l’histoire et de la géographie du Québec- on peut atteindre l’essentiel et approcher une forme de vérité. Qu’on suive ou non le cinéaste engagé dans toutes ses convictions (l’importance du territoire et de l’identité pourrait, mal interprétée, faire frémir), on assiste à l’exposition d’une pensée qui, si elle n’exclue pas -et c’est heureux- la contradiction, émane d’une vision entière, forte, qui s’appuie sur le sol et le solide. Son orientation politique, fortement ancrée à gauche, n’est pas exempte d’une métaphysique poétique: on parle d’idées et de monde, pas de tracts. Pierre angulaire de sa weltanschauung, la chasse revient à plusieurs reprises dans sa réflexion, et inspire à Perrault certaines de ses plus belles envolées. C’est aussi, évidemment, la démarche documentaire elle-même qui est cernée avec une tranchante acuité au fil du livre (la façon dont il défend ses «personnages» est exemplaire). On ressort en tout cas de cette stimulante lecture avec l’envie de partir à la traque des trésors cachés de la filmographie, et du reste de l’œuvre (radiophonique, littéraire, poétique…) d’un auteur encore trop méconnu. Un texte à la fois hors-normes et essentiel.
Le 23 janvier chez Capricci
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