Et si le héros le plus badass de ce début d’année était un nain une personne de petite taille bien énervée ?
C’est en tout cas le postulat de « Big man plans », retour du déjanté Eric Powell (épaulé ici par Tim Wiesch, compagnon de beuverie, au scénario), déjà célébré pour sa série The Goon où se côtoient joyeusement humour noir, psychopathe amicaux, scientifiques fous et prêtres zombies dans une ambiance houblonnée et bastonneuse. Quand on sait que l’adaptation kickstarterisée et adoubée par David Fincher est en court, on se dit que l’on n’a pas fini d’entendre parler de cet ermite autodidacte à l’humour très dark.
- Les nains aussi ont commencé (à prendre cher) petits
The big man plans, c’est l’histoire en un tome (mais c’est pas la taille…) d’un trop plein d’humiliation. Celle de notre héros sans nom, aimé par son père, le seul à l’appeler « mon grand » sans ironie, et humilié par les autres. Source de moqueries et blagues multiples, rabaissé (sic) sans cesse, sa vie devient un sacré foutoir le jour où sa mère s’en va et que l’alcoolisme de son père finit par l’emporter dans les flammes.
Trop de coups bas pour un si p’tit bonhomme : le problème, c’est que de passage par le Vietnam aux vagabondages adultes, Big Man a fini par accumuler un peu trop de désespoir pour que ca ne lui tape pas sur la cocotte. Moralité : il est maintenant ultra-violent, complètement cintré et bien décidé à venger lentement et violemment la douleur de trop, qui se dévoilera au fur et à mesure des pages et des massacres de ceux qui ont perpétré crimes et humiliations.
- Mimie Mathy, ange de la mort
Mâchoire évidée, pénis arrachés, démembrement, scalps à outrance et tentative d’immolation ne sont qu’une liste restreinte des nombres délices et sévices de cette cavalcade sanglante à courtes pattes, placée sous la bénédiction sanguinolente des revenge movie, façon Kill Bill ou Old Boy. Ce double patronage Tarantino/Park Chan-Wook n’est d’ailleurs pas si anodin, tant le scénario s’efface ici dans une recherche esthétique de la violence, oscillant du découpage acéré au pur plaisir de l’obscène, dans une gradation que le lecteur se doute être exponentielle.
Toujours plus loin, toujours plus rouge : le tout mâtiné d’un humour noir décapant, un plaisir rigolard bizarre de la torture, pour un ouvrage qu’il ne faudrait pas pousser longtemps pour le relier aux grandes réflexions classiques sur l’histoire américaine et ses traumas, tant le désespoir des marginaux, le déclassement social, choc du Vietnam, la question de la torture et la mise en pièces d’une justice pourrie par une main vengeresse sont des archétypes classiques de la fiction US.
Mais point trop n’en faut sur l’exégèse : nous sommes ici pour le fun, le sale, les yeux et dentiers hors des orbites. Le tout porté par un dessin qui a l’excellent goût de ne pas abuser de la palette graphique vomissant dans les comics actuels pour se concentrer dans un rendu « à l’ancienne ».
Jouant des aplats, teintant ses scènes de rouges et jaunes vifs pour exciter le regard, variant les découpages (parfois sur une page, parfois se déroulant sur deux), s’amusant de l’objet en tâchant progressivement les pages de sang, utilisant même le crayonné façon esquisses pour évoquer les souvenirs ou choquant les couleurs pour mettre en avant les ruptures narratives, Eric Powell se paye le luxe de ne pas cacher un trait fainéant derrière un personnage aussi puissant.
Et quel personnage : dans cette foire de freaks trop propres sur eux mais pourris de l’intérieur, ce petit bonhomme à moustache vêtu exclusivement d’un t-shirt « Tenez le cou » parce qu’il l’a fait rire un soir où il voulait se faire exploser la tête avec une grenade (ça arrive) va imprimer durablement votre rétine.
Et si la fin est aussi abrupte que son caractère, et s’il frappe assez systématiquement en dessous de la ceinture dans ce pur exercice de genre échevelé et jouissif, méfiez-vous : si même le feu ne peut rien contre une teigne pareille, sa main ne repartira pas certainement pas vide en vous agrippant le paquet. Pire : ça le fera marrer. Fallait vraiment pas le faire chier.
Editions Delcourt, 112 pages, 15.50 euros. En librairie depuis le 6 avril 2016.
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