Païens arrive à l’heure où la folk horror stimule plus que jamais les réalisateurs (Aster, Eggers…) et où la nouvelle scène Pagan Folk connaît et un succès grandissant avec de nouveaux groupes et dans de nouveaux festivals spécifiques (le Cernunnos Pagan Fest en France, le Castelfest au Pays-Bas …). La laideur du monde moderne provoque un regain certain pour les légendes, les rites ancestraux, la magie, le désir de réensorceler le présent par des religions immémoriales. L’ouvrage d’Ethan Doyle White constitue un remarquable parcours du paganisme, un outil de vulgarisation qui corrige un certain nombre d’idées reçues en cherchant à synthétiser les éléments fondateurs de ces polythéismes à travers le monde et l’Histoire. Le « ces » est essentiel car ce qui frappe avant tout c’est la pluralité du paganisme, pour nous, témoins contemporains (et cinéphiles) particulièrement attirés voire aveuglés par le renouveau du paganisme à l’anglo-saxonne, à la scandinave, ou en poussant un peu loin aux manifestations culturelles du chamanisme du côté de l’Asie. Ethan Doyle White parle de tout cela, mais se concentre de manière totalement cartésienne sur son éventaire exhaustif, en n’oubliant aucune civilisation, nous réveillant un peu de notre torpeur, de nos amours de cérémonies magiques cinégéniques ou romantiques, nourris à Arthur Machen, Lovecraft, Midsommar et autres Wicker Man. Nous voyagerons donc un peu partout : Angleterre, évidemment, mais aussi Nouvelle-Guinée, Japon, Corée, Indonésie, Scandinavie… Le paganisme est là où les religions polythéistes sont ou étaient. On est d’abord étonné de voir figurer la civilisation romaine ou égyptienne, et pourtant cela apparaît comme une évidence d’autant que le terme paganisme, à l’origine, avant de devenir plus positif à partir du XIXe siècle, était un terme créé de toute pièce par le christianisme pour se protéger et détruire tous ceux qui seraient tentés de s’éloigner de la vraie foi, de la religion officielle. Ainsi la chute de l’Empire romain constitue pour ainsi dire la première mort supposée d’une religion païenne, désormais clandestine car sacrilège. Païens souligne également la frontière ténue entre mythes, légendes et religions païennes, qui fait qu’on retrouve autant les dieux primitifs, les créatures de l’ombre au sein des rites, des traditions, que dans les contes anonymes et oraux. L’absence de témoignage écrit rend quasiment impossible la possibilité de remonter à la source et de définir si telle ou telle pratique ancestrale relève du pur fantasme ou d’une réalité. A commencer par les fameux sacrifices humains dont l’art aime tant se nourrir.

Docteur en Histoire et Archéologie médiévale à l’University College de Londres, Ethan Doyle White est un spécialiste des religions préchrétiennes européennes et des paganismes modernes. Il ne cèdera donc jamais dans son étude au lyrisme romantique exacerbé. Païens, pour commencer, constitue un délice pour les yeux, avec sa maquette en adéquation avec son thème, ses illustrations magnifiques, des représentations artistiques (préraphaélites, romantiques, médiévales, antiques) aux documents photographiques rares et fascinants, témoignages de rites du XIXe siècle à nos jours. Plus les « preuves » sont contemporaines, plus la fascination culmine, notamment dans ces visions de cérémonies néo-païennes, essentiellement wiccanes. L’ouvrage se découpe en trois grosses parties dans lesquelles l’auteur procède toujours de la même manière sous forme d’inventaire spatio-temporel rigoureux. Les coutumes ancestrales pour commencer étudient les déesses et les dieux, les mythes et les légendes, et la nature lumineuse. Le deuxième gros chapitre « Rituels » nous fait passer des sites sacrés aux oracles et outils de divination en passant par la sorcellerie. Enfin « Communauté » enchaine fêtes, atours de la foi et voyages spirituels. Autre particularité de Païens, il est pour ainsi dire interrompu régulièrement par deux types de focus. Comme leur nom l’indique les « Décryptages » s’attardent sur des peintures, des œuvres d’art (Le jugement de Pâris, Enée aux enfers par exemple) ou des lieux et des signes (Stonehenge, Les Runes) et nous aident à leur lecture, leur compréhension en les décomposant. Les « Portraits » viennent quant à eux préciser certains éléments des chapitres comme des mythes, des personnages, des cérémonies, des objets…

Même si le paganisme moderne ne constitue qu’un des éléments de l’étude, on sent bien que l’auteur vise à travers cet ouvrage à en démontrer l’origine et à rétablir certains mensonges, lever le voile de certaines illusions quant à son authenticité, sans pour autant le ridiculiser, toutes les sources de ces nouvelles spiritualités étant régulièrement liées à des hypothèses souvent réfutées par les historiens. On pourrait peut-être néanmoins rétorquer que ce courant religieux ne présente peut-être finalement pas moins de légitimité que toute religion monothéiste officielle. Entre Pan et le Dieu tout-puissant, qui choisir ? Justement, Ethan Doyle White recontextualise le paganisme moderne comme un appel à la « rupture d’avec le Christianisme dominant », et étouffant, qui émerge essentiellement aux XXe et XXIe siècles. La Wicca par exemple réintègre la sorcellerie et le rituel en tant que croyance, d’autres vénèrent les éléments, reviennent aux rites druidiques. Il est clair que ce retour à ces spiritualités s’inscrit quelque part entre la croyance réelle et la nécessité de puiser dans les imaginaires traditionnels et le cosmique : la poésie existentielle, le rêve au secours du marasme que nous impose le monde : le prosaïque, l’urbain, les guerres et les catastrophes écologiques. Prenons à part une des thématiques : la sorcellerie à travers les âges mais surtout à travers le monde libère soit la désignation manichéenne, soit au contraire l’étude de rituels complexes, où la sorcière maitrise parfois parfaitement son art, et parfois au contraire se retrouve victime de son propre « don » et des forces avec lesquelles elle communique. Qu’elle soit de la Papouasie-Nouvelle Guinée, de l’Angleterre, de l’Amérique, de l’Afrique, de Bali…, le visage de la sorcière diffère totalement d’une civilisation à l’autre, entre frayeur et fascination. Ce que l’on peut dire en revanche c’est que son sort n’est que très rarement enviable même aujourd’hui. « Si certaines populations ont une peur maladive des sorcières, pour d’autres, la sorcellerie est une pratique anodine ».

Curieusement la vision chrétienne de la sorcellerie découle directement de la représentation romaine d’une créature à détruire. La représentation bienveillante de la sorcière date essentiellement du XXe siècle avec des origines au XIXe. L’apparition de la sorcellerie wiccane dès les années 50, celle qui imprègne pleinement la folk horror traditionnelle, revisite le mythe de la sorcière de manière positive en commençant par la dénonciation des procès qui conduisirent à son extermination. Il s’agit quasiment de réécrire les livres d’Histoire imprégnés d’idéologie chrétienne. A ce titre Ethan Doyle White souligne l’importance de Margaret Murray, folkloriste, égyptologue et occultiste dans les années 20-30 dont la pensée développant ses thèses déjà féministes, en contradiction avec l’imagerie maléfique habituelle, contribua à l’installation de ces nouvelles spiritualités, permit à cette nouvelle religion de se définir, de s’affirmer et de s’étendre. C’est finalement toute l’histoire de la réappropriation d’un mot que nous conte Ethan Doyle White dans cette œuvre indispensable et limpide, qui nous laisse imaginer d’autres ouvrages qui se concentreraient sur une manifestation païenne en particulier comme la Wicca, par exemple.

 

Ethan Doyle White – Païens traduit de l’anglais par Céline Meye. Edité par Cernnunos

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