Retracer l’histoire de la représentation des Juifs dans le cinéma classique hollywoodien. Tel est le programme ambitieux de ce premier livre écrit par Lorenzo Leschi, un jeune doctorant en études cinématographiques à l’université Paris Cité. Le projet est novateur car, comme le rappelle l’auteur en introduction, les Juifs sont singulièrement absents des nombreuses études consacrées à la représentation des minorités dans la recherche états-unienne. Il est également éminemment politique puisqu’il vise à désamorcer un lieu commun antisémite selon lequel les Juifs dominent Hollywood, et par extension, les médias. Or, tout le propos de cet essai est justement de démontrer que l’identité juive des fondateurs d’Hollywood – les patrons des grands studios que furent Louis B. Mayer, les frères Warner, Harry Cohn, Adolph Zukor, Carl Laemmle, etc – n’a conduit en réalité qu’à une disparition des personnages et des thématiques juifs par ces mêmes dirigeants immigrés d’Europe de l’Est, qui ont constamment refoulé leur judéité pour mieux s’intégrer à la société états-unienne. Loin de se servir de leur souveraineté pour propager une influence relative à leur identité juive, ces nababs, obsédés par leur désir d’assimilation, ont au contraire développé une véritable omerta sur ce sujet afin de plaire aux différentes instances de pouvoir qui exerçaient une influence sur l’industrie. L’objet de cet ouvrage ne se limite pas donc pas à l’étude de la représentation d’une minorité mais vise également à ouvrir une nouvelle perspective critique sur le cinéma hollywoodien, à partir de l’analyse du rapport ambivalent et complexe de ses dirigeants à leur identité juive, et des conséquences que cela engendre sur la production.
Leschi distingue cinq périodes différentes dans l’évolution d’Hollywood à la judéité, de son commencement, dans les années 1910, au crépuscule de son âge classique, à la fin des années 1950. La première, qui s’étend jusqu’à 1930, est celle de l’assimilation, puisque la plupart des films ne présentent pas d’autre solution pour la communauté juive que celle consistant à s’intégrer à la culture états-unienne, au détriment de sa culture juive. Les années trente sont ensuite marquées par la « collaboration » des grands studios hollywoodiens qui continuent de commercer avec l’Allemagne nazie et qui mettent volontairement en sommeil les thématiques juives, ainsi que la moindre dénonciation de l’antisémitisme, pour ne pas voir leurs recettes décliner et pour ne pas se heurter au code d’auto-censure, mis en place en 1934 et dirigé par un antisémite notoire, Joseph Breen. L’entrée en guerre des Etats-Unis permet une première évolution puisque les grands studios se mettent enfin à produire des œuvres consacrées à l’incrimination de l’Allemagne nazie. Ce n’est néanmoins qu’au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale que les premiers films s’attaquant frontalement à l’antisémitisme, à l’échelle planétaire, mais surtout sur le sol états-unien, apparaissent outre-Atlantique. Cette évolution n’est encore qu’un premier élan, vite brisé par le Maccarthysme qui va empoisonner l’usine à rêves et qui va mettre de côté la plupart des réalisateurs, scénaristes et acteurs juifs. Ce n’est finalement qu’à la fin des années 1950, lorsque les pères fondateurs quittent la scène, que l’industrie se débarrasse enfin de son rapport contraint à la judéité. Un film comme La fureur d’aimer (Irving Rapper, 1958) montre alors qu’il est possible de concilier une intégration à la société états-unienne et la conservation de son identité juive, tandis qu’Exodus (Otto Preminger, 1960) marque l’affirmation de cette identité juive dans le cinéma américain. Les années soixante et soixante-dix, marquées par l’émergence des minorités jadis reléguées dans le hors-champ, peuvent alors commencer.
Tout au long de son développement, l’auteur explore également d’autres éléments clefs de son sujet, qu’il s’agisse de l’étude de la masculinité juive – qui évolue de la figure de l’intellectuel vulnérable à celle du guerrier, dans Exodus – ou de l’alliance de la communauté juive avec la communauté noire, comme on peut le voir dans Body And Soul (Robert Rossen, 1947). Il s’arrête également sur plusieurs films fondamentaux pour sa recherche, qu’il analyse sous cet angle nouveau de leur rapport à la judéité, qu’il s’agisse d’œuvres très connues comme Le Chanteur de Jazz (Alan Crosland, 1927) ou Le Dictateur (Charlie Chaplin, 1940) ou de longs-métrages moins emblématiques, tels que Whoopee ! (Thornton Freeland, 1930) et Le Jongleur (Edward Dmytryk, 1953). Riche dans son propos et concis dans sa forme, ce premier essai passionnant dresse l’historique de la représentation des Juifs dans le cinéma classique hollywoodien et nous offre un regard nouveau sur cette cinématographie en clair-obscur.
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