François Guérif – « James M. Cain »

Excellente nouvelle pour les amoureux de littérature et de cinéma : les éditions Marest lancent une nouvelle collection (sobrement intitulée « Marest bis »), vouée à la réédition d’ouvrages désormais épuisés. Pour ce premier numéro, il sera question de littérature puisqu’il s’agit de la monographie que François Guérif a consacrée à James Cain. D’abord sortie chez Séguier en 1992, elle nous arrive aujourd’hui dans une élégante édition de poche et pour un prix modique. Si c’est la littérature « noire » qui est ici au programme, le cinéma n’est pourtant pas très loin lorsqu’on évoque Cain puisque nombreux seront ses romans à être transposés à l’écran. Songeons aux plus célèbres comme Le facteur sonne toujours deux fois ou le sublime Assurance sur la mort signé Billy Wilder.

La facture de l’essai est classique puisque Guérif procède de manière chronologique, déroulant la biographie de Cain avec force détails et s’arrêtant ensuite sur chacune de ses publications. Cain naît en 1892 mais il ne publiera son premier roman qu’à l’âge de 44 ans. Auparavant, il aura été un journaliste en vue. L’une des forces de Guérif, c’est de parvenir à établir des liens entre la vie de l’écrivain et son œuvre. Même des passages qui pourraient paraître plus anecdotiques finissent par nourrir, bien plus tard, ses livres. Je pense à ce moment où Cain, professeur, se fait séduire par une très jeune adolescente et refuse ses avances (« Je vais réfléchir, lui dis-je. Mais j’ai surtout réfléchi à combien j’allais aimer la prison pour hommes de l’État de Pennsylvanie. »). Guérif souligne à quel point cette question de l’homme mûr séduit par des très jeunes filles allait ressurgir dans son œuvre romanesque : « Refusant ce qu’il accordera plus tard à beaucoup de ses personnages – succomber à une Lolita- Cain préfère prendre la fuite. Il abandonne Easton, retourne à Baltimore et retrouve son poste de journaliste. »

De la même manière, Guérif montre très bien comment le travail de journaliste de Cain allait ensuite nourrir ses livres, lui permettant de les ancrer dans une réalité bien précise et de fournir aux lecteurs des détails aussi précis que véridiques.

L’événement qui va faire basculer la carrière de James Cain, c’est bien évidemment la publication du facteur sonne toujours deux fois en 1934, « livre unique » selon Guérif qui évoque à son propos « la concision du style, la rapidité du rythme. » Dès sa parution, le roman reçoit de nombreux éloges et en 1936, les deux éditions de poche dépassent le million d’exemplaires vendus. Un mois après, la MGM acquiert les droits pour un film qui ne pourra être tourné qu’en 1945. Guérif revient sur les différentes adaptations du roman, la première, française, de Pierre Chenal (Le Dernier Tournant en 1939), celle « pirate » (« les droits n’ont pas été achetés, sous prétexte que l’Italie était alors en guerre avec les États-Unis. Mais la situation n’a jamais été régularisée par la suite ; la MGM fit donc interdire la diffusion du film […]) de Visconti en 1942 (Ossessione), la fameuse de Tay Garnett avec John Garfield et Lana Turner « qui ne suscita pas l’enthousiasme de Cain, qui quitta la salle avant la fin de la projection » et enfin celle de Bob Rafelson en 1980 avec Nicholson et Jessica Lange.

Les liens entre Cain et le cinéma furent compliqués. Si les droits de ses livres furent souvent achetés, ils avaient du mal à passer les fourches caudines du code Hays en raison des thèmes abordés (la prostitution, par exemple) et ce mélange de violence et d’érotisme qui les caractérise. D’autre part, les studios achetèrent les services de Cain pour qu’il rédige des scénarios ou en rafistole certains. Mais ces relations furent houleuses, l’écrivain abandonnant souvent la tâche en cours. C’est d’ailleurs lors d’un de ces emplois à Hollywood qu’il croise Fitzgerald le temps d’une rencontre assez insolite.

Cain sera néanmoins mieux servi par le cinéma lorsque Billy Wilder adapte Assurance sur la mort, en éliminant « le côté « gothique » de l’histoire » et en faisant appel à Chandler qui s’intéresse avant tout « à l’histoire policière et à la vraisemblance des dialogues ». Si le réalisateur et le scénariste « trahissent » un peu le roman, c’est pour néanmoins signer un jalon incontournable du film noir et « c’est la première fois que James Cain ne se sent pas trahi ».

Toujours en relatant les événements de son existence (la Seconde Guerre mondiale, ses relations avec les femmes…), François Guérif passe ensuite en revue les divers romans et nouvelles de l’auteur. Du célèbre Mildred Pierce que Michael Curtiz portera à l’écran en 1945 à ses derniers romans où l’essayiste se montre plus sévère ; l’étude se révélera très complète, analysant les thèmes et motifs fétiches de Cain (le rôle du destin, les arnaques à l’assurance, la tentation incestueuse…). Si l’on devait faire une petite réserve, elle concernerait les résumés des romans. Autant ils sont plutôt concis au début, autant Guérif a tendance à les raconter de A à Z en n’omettant aucun rebondissement par la suite. Lorsqu’on n’a pas lu les œuvres en question, on peut trouver ce souci d’exhaustivité un brin fastidieux là où un bon résumé indicatif aurait largement suffi.

Mais cette broutille n’empêche pas l’ouvrage de rester une référence, un modèle de monographie intelligente et instructive. Et même lorsqu’on n’a pas lu un seul roman de Cain, elle offre un panorama intéressant du siècle qu’il a traversé, d’une certaine idée de la littérature qu’il illustre et d’une œuvre qu’on a désormais envie de découvrir plus en profondeur…

***

James M. Cain (1992) de François Guérif

Marest Éditeur, collection « Marest bis », 2024

ISBN : 979-10-96535-66-8

230 pages – 8,90 €

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A propos de Vincent ROUSSEL

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