« Que les pauvres aient le sentiment de leur impuissance, voilà une des conditions de la paix sociale ». Cette citation de Maurice Barres ouvre le journal de François Ruffin. Certes, une relecture de la notion de « pauvre » s’impose. Il conviendrait d’y inclure la classe dite moyenne si bien cernée par Olivier Adam dans Les Lisieres. Néanmoins, elle pourrait, aisément, servir de maxime aux dirigeants de l’Union Européenne tant l’apathie semble être le sentiment le mieux partagé par ses citoyens. L’hégémonie culturelle du libéralisme empêche toute résilience de l’action politique. Dans le même temps, l’individualisme apparait désormais comme une norme indépassable, fragilisant ainsi des sociétés déjà fragmentées.
François Ruffin, journaliste à Fakir et au Monde diplomatique, débute son journal par un constat d’impuissance devant la prolifération des fermetures d’usine dans sa région d’origine. A travers son activité professionnelle, il fut amené à rencontrer ceux pour qui la « désespérance sociale » n’est pas un vain mot. En effet, les licenciés de Continental, Gooydyear, furent les premières victimes d’un marché dérégulé conduisant les entreprises à investir dans des pays à faible cout du travail. Il parcourut la France. Au fur et à mesure, ses convictions s’affinèrent. « Je pourrais continuer comme ça longtemps, je songe. Je pourrais, rien que pour les boites du coin, aller témoigner de ma solidarité tous les quatre matins. Et alors, qu’est-ce qu’elle changerait, ma solidarité ? A quoi elle servirait ma compassion ? A rien. Parce qu’ils ne pèsent rien nos bons sentiments. Rien contre la logique. Une logique simple. La logique d’une calculette. » De cet état des lieux, François Ruffin émet une hypothèse. La mise en place d’un frein au libre-échange via un protectionnisme aux frontières pourrait endiguer ce phénomène conduisant à une paupérisation du pays. Son journal est le récit de ce combat. Un combat qu’il va mener sur le terrain, dans les medias, au sein des partis pour faire connaitre ce levier politique trop longtemps discrédité. Conscient des difficultés, il expose, dans un style stimulant et engagé, les avantages et les limites de ce moyen d’action. « Mon protectionnisme n’a rien d’un idéal. Juste une arme, un outil. Pour desserrer l’étau, sortir de ce moulin disciplinaire, restaurer une marge de manœuvre. Et nous redonner la liberté de nous choisir, ensemble, une destinée ». Il réfute, également, les termes de poujadisme ou de nationaliste qui sous couvert d’amalgame condamnent par avance toute discussion.
Le choix d’écrire un journal est judicieux à plusieurs égards. De par la proximité crée de facto avec le lecteur tout d’abord ; il permet un étalage sans fard des états d’âmes et des sentiments de l’auteur tout au long de son « enquête ». Il évite la complexité d’un essai certes riche et juste mais souvent lourd. Enfin, il permet de suivre, chronologiquement, l’auteur dans ses pérégrinations. Ainsi, François Ruffin relate sa rencontre avec des économistes comme Jacques Sapir ou Emmanuel Todt ou encore des douaniers lui faisant part de l’évolution de leur métier. Il se confronte également à de nombreux politiques ou patrons réticents à l’idée de protectionnisme. Au fur et à mesure de l’avancée de son journal, sa conscience se forge, son idée se précise. Il lève la « chape de plomb » taisant bien souvent, cette notion.
Avec ce journal, François Ruffin apporte un éclairage séduisant et vivifiant à ce concept de protectionnisme. Loin d’une quelconque utopie, Ruffin choisit un pragmatisme en phase avec la réalité. Ainsi, face à une classe dirigeante appelant à une intégration européenne, sans cesse plus poussée, préjudiciable au courage politique au sein d’un pays membre, son récit apporte un souffle d’optimisme. Il témoigne aussi de l’engagement d’un homme qui refuse la résignation.
Un livre de Francois Ruffin
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).