Et si, avec le rire, l’érotisme était la chose la plus difficilement partageable ? De la même manière que nous resterons totalement hermétique à certaines formes d’humour qui feront mourir de rire les autres (et vice-versa), il est incontestable que personne n’aura une perception univoque de l’érotisme, surtout dans le domaine de l’art et des lettres. Au-delà même du classique (et finalement peu intéressant) clivage entre l’explicite et le suggéré, personne ou presque ne partage les mêmes fantasmes, les mêmes désirs et ne réagit de la même manière face aux choses de l’amour et ses représentations.

En littérature, j’aime avant tout que l’auteur ait un style. Pas forcément un « beau » style dans le sens académique du terme, même si je goûte énormément la prose raffinée d’un Pierre Louÿs ou d’un Leo Barthe. Mais qu’il y ait, comme chez Esparbec par exemple, une écriture immédiatement reconnaissable, indépendamment des conventions difficilement contournables du genre.

Dans le cas contraire, qu’elle soit précieuse ou relâchée, cette écriture ne parviendra qu’à égrainer des lieux communs, surtout dans un domaine (la littérature pornographique) où ils sont légion.

Cette longue introduction pour dire que Julia la nuit de Frédéric Béranger manque peut-être un peu de style lorsqu’il s’agit de se confronter aux inévitables scènes érotiques réclamées par le genre. L’histoire débute de manière la plus classique avec la rencontre entre Julia, patronne d’un bar de nuit parisien, et Vincent, un homme à l’allure des plus banales (elle imagine qu’il est banquier, c’est dire !). Entre eux va se nouer une relation passionnelle qui va prendre les chemins de la soumission et du sadomasochisme…

Dans cette première partie, Frédéric Béranger témoigne d’un certain talent pour croquer ses personnages, en particulier Julia, héroïne à la Jacques Sternberg qui ne réprime aucun des désirs qui la tourmentent (la « Bête » qui est en elle) tout en manifestant le plus parfait des mépris pour ses contemporains et une sorte de distance dédaigneuse sur tout ce qui l’entoure. Le récit est plutôt bien mené et certains échanges dialogués se révèlent même percutants. L’auteur trouve un ton assez vivace pour dessiner en quelques traits une situation. A un client lourdingue qui l’accable avec une blague grivoise, Julia répond par le plus glacial des silences :

« Ma mine blasée le fait vite redescendre. Les hommes m’assènent souvent, suite à ce genre de trait d’esprit hilarant, que je suis mal baisée, ce à quoi je m’empresse de rétorquer que je n’y suis pour rien si leurs congénères sont un ramassis de mauvais lécheurs. Là, aucun propos acerbe. »

On regrette donc, pour en revenir à notre bémol originel, que les scènes érotiques soient beaucoup plus convenues et qu’elles ne parviennent pas à nous faire basculer réellement dans l’imaginaire et le fantasmatique. A la trivialité des situations (l’amour furtif dans les toilettes du bar) s’ajoute une langue volontairement familière et grossière qui n’a même pas le charme des « romans de gare » d’antan (qui jouaient à fond la carte de la vulgarité « popu »).

Par la suite, Frédéric Béranger fait basculer son récit, dédié à Julia Ducournau, vers quelque chose de plus insolite, fantastique voire monstrueux (nous n’en dévoilerons pas trop) qui pourra séduire les amateurs d’érotisme plus sombre. Mais là encore, on reste partagé entre un talent indéniable pour conduire un récit et une petite frustration devant des passages érotiques qui ne présentent pas un grand intérêt.

Reste donc un roman assez plaisant mais qui ne parvient pas totalement à transcender par l’écriture les scènes convenues qu’il met en scène.

***

Julia la nuit (2024) de Frédéric Béranger

Éditions La Musardine, 2024

ISBN : 978-2-36490-641-9

173 pages – 17€

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