Gerard Chaliand – « La pointe du couteau »

L’Histoire semble s’incarner dans les traces de Gérard Chaliand tant ses périples restituent la géopolitique des conflits de la seconde moitié du XXe siècle. A travers une soif de liberté inextinguible et une insatiable curiosité, il parcourut le monde à la découverte d’autres cultures avec comme conviction, chevillée au corps, la lutte des opprimés. Ses Mémoires restituent son formidable parcours. Son engagement ne se confondra pas avec une foi absolue dans un dogme. Au contraire, il se méfia toujours des oripeaux idéologiques dans lesquels s’empressèrent de se couvrir ses camarades restés à paris. A ce titre, il voit dans Mai 68, auquel il consacre deux pages, une agréable manifestation dont l’importance lui semble relative l’échelle du monde. « Nous ne vivons pas les mêmes rêves dans la cage de nos espérances » conclut-il.
Dès son plus jeune âge, une seule passion le tenaille : l’aventure. « J’avais lu Cendrars et je voulais réaliser mes rêves coute que coute ». Né dans une famille aux origines arméniennes, son grand père mourut les armes à la main après avoir opposé une vive résistance aux turcs de Mustapha Kemal. Sans doute, cette pugnacité lui sera transmise. Ses premiers engagements se manifesteront ,d’abord en métropole, au sein du Reseau Jeanson, aidant le FLN algérien. Il participa, un temps, au journal crée par Jacques Verges, Révolution Africaine. A la fin de l’aventure algérienne, c’est grâce à l’éditeur François Maspero qu’il put réaliser ses rêves. La liste est longue des confins qu’il traversa ; Guinée, Colombie, Syrie, Vietnam, Cuba…Dans ces années de guerre froide où la tension dans les pays satellites est palpable, il suivit, parfois avec une peur contenue toujours avec un sang-froid exemplaire les luttes de libération nationale. Il rencontra les personnages marquants de ces années de poudre : Ernesto Guevara en Algérie, Georges Habache fondateur du FPLP ou encore Yasser Arafat.
Grace à une écriture saisissante, Gérard Chaliand amène le lecteur à la rencontre de ces personnages historiques. Il se dégage une émotion manifeste quand, par exemple, ses souvenirs s’attardent sur Amilcar Cabral, père de l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert, assassiné en 1973 ; « Toi, Amilcar, tu auras connu les années d’espérance. Celles où l’on lutte pour devenir libre. Peut-être es-tu mort au moment où le destin te transformait en figure exemplaire, avant que le pouvoir, qui sait, ne vienne ternir ton image. L’Afrique, tu ne l’as pas vue, plus tard, celle de dirigeants souvent monstrueux jusqu’à la caricature bouffonne, celle des conflits dans lesquels on se déchire avec une aveugle cruauté. » Au-delà du roman d’aventure classique, Gerard Chaliand dévoile ses doutes, ses tristesses (notamment lors de la disparition de son père) mais également sa passion pour les femmes apparaissant comme un interlude enchanteur au milieu du fracas et de la fureur des hommes.
Il en va ainsi, notamment, quand il revient en Algérie, en 2009. Malgré ses dires, la mélancolie d’une époque point au détour d’une phrase. « Tout aurait pu familier et lointain à la fois, comme un cortège déjà vu, mais sans visage, si je n’avais eu la chance de rencontrer, grâce au conseiller culturel, trois ou quatre Algériens et Algériennes qui me permirent de renouer le fil de ce qui fut , un jour, jadis, une ville où l’on pouvait voir inscrit sur les murs ,avec insolence et candeur : « Un seul héros, le peuple ! ».

Malgré cette vie façonnée par l’expérience du terrain et ses rencontres atypiques, Gérard Chaliand n’oublia pas de garder un regard lucide sur les évènements. Les prédictions qu’il fit en tant que journaliste se révélèrent être fondées et ce, malgré, la réticence du milieu intellectuel. Sur le devenir de l’Algérie indépendante ou sur l’opportunité d’un foyer révolutionnaire en Amérique Latine après la mort de Guevara, ses prises positions firent preuve d’un courage intellectuel, rare pour l’époque. Sa relative objectivité lui permit de montrer les limites des combats révolutionnaires à travers le monde dans les années 1970. La nation qui n’est « belle qu’opprimée » dessert souvent, en bout de course, les intérêts de ceux qui combattirent pour elle.
La pointe du couteau relate les souvenirs tragiques d’une époque désormais révolue. La révolte des pays colonisés permit au monde d’exhaler un souffle de liberté allant de La Havane à Alger en passant par Hanoi. A travers ses Mémoires, Gérard Chaliand, redonne vie à ces hommes qui firent l’Histoire. Ils rendent compte, avant tout, d’un homme au destin admirable qui s’était promis de vivre libre.

 

La pointe du couteau
un livre de Gérard Chaliand
Aux Cercles Points

                         

 

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A propos de Julien CASSEFIERES

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