Quel dénominateur commun regroupe à la fois un Iphone, une affiche de cinéma ou encore une publicité vantant les mérites pour le corps d’une activité physique ? Toutes ces facettes de notre environnement quotidien s’inscrivent dans une évolution du capitalisme qui tendrait à laisser une part, grandissante, à l’esthétisme. Selon les sociologues Gilles Lipovetsky et Jean Serroy, le capitalisme participerait d’une « artialisation » des marchandises.
Gilles Lipovetsky fut un précurseur en sociologie à travers ses études portant sur les transformations de l’individu évoluant dans une société démocratiques avancée. Dès les années 1980, avec « L’ère du vide, essai sur l’individualisme contemporain », il dévoile les tendances de ce nouvel âge dit post-moderne.
Avec son nouvel ouvrage, « L’esthétisation du monde », il poursuit son étude d’observation de la société. Elle s’appuie, tout d’abord, sur les racines et le développement de ce capitalisme dit artiste. Quels en ont été les signes avant-coureurs ? Il n’y a pas eu de cassure nette mais des indices symptomatiques témoignant d’une évolution irréversible. Des processus d’hybridation dans le domaine des arts et du capitalisme vont entrecroisés pour aboutir à un nouveau modèle. La figure de l’artiste n’a eu de cesse d’évoluer au gré des époques. Des peintures rituelles à l’art dit aristocratique en passant par l’utopisme des artistes inscrivant leur œuvre dans un projet émancipateur, l’art s’est construit en parallèle avec les aspirations de la société. Le déclic viendra avec Andy Warhol. « En se proclamant « business artist », Warhol passe du modèle de la bohème et de l’artiste « suicidé par la société » (Artaud) à l’artiste mondain qui, obsédé par le succès et l’argent, puise son inspiration dans l’univers de la culture de masse, de la mode, de la jet set internationale, dans les images de super stars et de toutes les formes de célébrité ».
Une nouvelle dynamique va également modifier les structures du capitalisme. L’intégration progressive de l’esthétique dans le capitalisme industriel, dans le courant du XXe siècle, va révéler de nouvelles perspectives.
Gilles Lipovetsky et Jean Serroy vont noter les « figures inaugurales » de ce capitalisme d’un nouveau type. Ainsi, ils voient les prémices avec l’ouverture des Grands magasins, sujet d’un des livres de Zola « Au bonheur des Dames ». Cette mise en scène des marchandises va aller de pair avec la part grandissante d’un commerce tourné vers le design. Dès lors, l’ère de la consommation fordiste (une voiture identique pour tous) va laisser place à une recherche d’altérité et de différenciation des produits accentuant, également, l’individualisation des comportements.
Pour étayer leur propos, les auteurs usent d’exemples illustratifs permettant au lecteur d’intégrer des propos parfois complexes. Du cinéma à la publicité, ils traquent les aspects de ce capitalisme artiste. Le paysage urbain s’en trouve notamment affecté ; « Désormais, la ville elle-même s’emploie à se construire comme cité du loisir, de la consommation et du divertissement et ce, par un travail de réhabilitation et d’esthétisation du paysage urbain, par des opérations de piétonisation des centres et de réaménagement des berges fluviales, par des activités d’animation diverses, de mises en image et mises en lumière destinées à créer un environnent plus attractif et plus beau pour une clientèle de touristes et de consommateurs de loisirs. »
Au-delà de son environnement, l’individu va voir son rapport à la consommation modifié. Leur déconstruction du consommateur esthétique vise juste. Les auteurs s’emploient à répertorier les bouleversements dans les modes de consommation ainsi que les nouvelles valeurs morales véhiculées. La valorisation de la subjectivité de chacun, entraîne des stratégies d’apparence individuelle. Il en est ainsi, par exemple, des piercings ou des tatouages. « Là où autrefois la tradition fixait impérativement la manière dont le corps devait être marqué, c’est maintenant l’individu qui choisit de décorer sa peau en fonction de ses goûts, de ses envies, de ses rêves propres. » Dans cet exemple, la marginalité originelle a laissé place à une « mise en scène du corps ».
L’homo aestheticus, est également l’homo festivus cher à Philippe Muray. La fête n’est plus un moment de transgression contre l’autorité mais au contraire « une des formes de l’animation récréative propre aux sociétés de réjouissance illimitée ».
L’essai est passionnant. La méthodologie, claire et efficace, dans l’exposition de la réflexion des auteurs, assure au texte une lisibilité pour le lecteur. De plus, les perspectives mises à jour sont véritablement novatrices. Le seul bémol réside dans l’absence de subjectivité dans l’exposé de leur thèse et donc de critiques sur les nouvelles formes que revêt ce capitalisme.
« L’esthetisation du monde, vivre à l’age du capitalisme artiste »
un essai de Gilles Lipovetsky et Jean Serroy
aux Editions Gallimard.
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