Guillaume Orignac –  » Rire au temps de la honte, une histoire de Louis CK « 

En moins de 140 pages, Rire au temps de la honte, une histoire de Louis CK dresse un portrait saisissant de l’Amérique schizophrène, prise entre ses multiples contradictions en évoquant la figure complexe d’un des mentors du Stan Up, Louis CK. Rattrapé par la vague #MeToo, ce génie comique vénéré par tout le monde, voit sa carrière s’arrêter net en Novembre 2017. Peu connu en France, il a néanmoins fait quelques brèves apparitions au cinéma dans Blue Jasmine, Dalton Trumbo ou encore American Bluff. Les amateurs de séries le connaissent pour Louie et Oh my god. Il a aussi réalisé trois longs métrages inédits dans l’hexagone.  L’affaire ne date pas de la veille. Plusieurs femmes ont accusé l’humoriste de se livrer devant elles à des exhibitions sexuelles. Plutôt que de nier, dans un exercice d’autoflagellation masochiste et/ou d’honnêteté honteuse, il reconnait les accusations confessant son plaisir quasi pulsionnel de se masturber devant la gente féminine. Un aveu qui au fond ne devrait étonner personne puisqu’il étalait ses obsessions et déviances à l’intérieur même de ses spectacles, véritables exutoires d’actes condamnables. Plutôt que de disparaitre de la scène médiathèque, il va continuer à se montrer devant un public de moins en moins nombreux, non pour tenter de se justifier mais au contraire perdurer dans ses pires travers. Mais ce qui faisait rire par le passé effraie au présent. Objectivement aussi drôle, ses performances à nu, ne provoquent qu’indignation à l’heure de l’éclatement de la Cancel Culture.

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Dans un exercice de funambule périlleux, constamment dans une position complexe en refusant de se soumettre aux diktats de la pure idéologie, ennemie de l’intelligence, Guillaume Orignac, déjà auteur d’un remarquable David Fincher ou l’heure numérique, signe un ouvrage passionnant et complexe, ne prenant pas parti dans son analyse d’une Amérique schizophrène. Il revient aux origines du Stand Up, à sa fonction quasi cathartique d’exposer à la lumière la part la plus sombre et dégradante qui sommeille en chacun de nous. Il ne fait pas l’impasse sur l’un des maîtres de la comédie, Lenny Bruce et son histoire tragique.

Il invoque la dimension excessive et sans tabou de ce comique de scène prenant à parti les spectateurs dans une histoire séculaire en poussant la réflexion jusqu’à notre époque contemporaine qui voit cet « art de l’excès » disparaitre à cause notamment des nouvelles technologies. Il explique très bien comment, par exemple, comment l’intrusion des smartphones ont fragilisé ces spectacles, où en enregistrant un extrait, dépossédé de son contexte, une vanne peut devenir insultante.  Très intelligemment, il écrit : « Ce qui faire rire à l’intérieur d’une salle peut susciter colère et indignation à l’extérieur, une fois la blague découpée et arrachée à son milieu naturel » (page 88).  Mais ne nous y trompons pas, à aucun moment, Guillaume Orignac ne fait l’apologie de Louis CK, se gardant bien d’écrire une hagiographie propre à susciter bien des polémiques. Il réussit néanmoins à expliquer la nécessité de la honte par le rire, le danger d’abolir aussi la distinction entre cette même honte et la culpabilité, inquiet de l’évolution d’une société propre sur elle, aseptisée et trop respectueuse. Il reste à la bonne distance, préférant analyser l’évolution du rire à travers le temps, pointant les limites de l’excès mais aussi le risque actuel de l’autocensure permanente.

Découpé en quatre chapitres aux titres très explicites – Nu devant les femmes, nu devant la loi, Nu et Confession – , Rire au temps de la honte, une histoire de Louis CK se dévore comme un roman, grâce à la pertinence du propos, la clarté de son écriture quasi documentaire et la richesse des informations délivrées.

Après le formidable Jim Carrey l’Amérique démasquée d’Adrien Denouette et en attendant prochainement Speedracer, les Wachowski de la lumière à la vitesse de Julien Abadie, la maison d’Édition Façonnage dirigée par Jérôme Ditmar poursuit, comme indiqué sur le site « sa conception singulière d’essais la conception d’essais graphiques décryptant le monde à travers l’histoire de la pop culture et ses mutations ».

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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