En prenant pour décor de son dernier roman la Commune de Paris, Hervé Le Corre, par sa sensibilité, renoue avec cette « mélancolie des vaincus », distinguée par Enzo Traverso. En effet, s’il n’est pas utile de le présenter, tant son œuvre fut à de maintes reprises saluée par la critique et le grand public, Hervé Le Corre fait revivre les dix derniers jours de la Commune avec émotion et tendresse. Dix jours tragiques où le sang du peuple de Paris emportera avec lui un certain espoir dans l’avenir.
Dans l’ombre du brasier met en scène une galerie de personnages singuliers, dont l’auteur suit, tour à tour, leur destinée incertaine : Nicolas et ses compagnons, engagés dans la défense de la ville, mais également Antoine Roques, ouvrier du livre reconverti en commissaire de la Commune de Paris désigné par le peuple ou encore Caroline, infirmière et compagne de Nicolas.
Au milieu de ce peuple en arme, Pujols, rescapé de L’Homme aux lèvres de saphir, n’a pas renoncé à ses vices criminels. Après s’être inspiré des Chants de Maldoror pour donner une contenance à ses assassinats, Pujols participe désormais à un trafic lucratif de femmes. Dans cette ville crépusculaire, il ajoute de l’horreur au drame collectif. Enlevant et séquestrant des femmes, il se charge de les revendre à un entremetteur. L’histoire se cristallise et s’accélère quand il kidnappe Caroline. Antoine Roques s’engage à élucider cette disparation.
Au sein de ce Paris assiégé, où la mort rode sur des barricades précaires, ces individus se démènent le cœur en bandoulière et le courage au firmament. Leur chance de survie est limitée. Enfermée dans une cave, Caroline est prise au piège. Les événements se bousculent, les Versaillais progressent et les espoirs de survie s’amenuisent… Un parallèle s’établit avec, d’un côté, cette quête inespérée pour retrouver Caroline et le fol espoir, recouvert de cendres et de sang, de la Commune. Une foi traverse ses personnages les amenant, non pas à fuir la ville, mais à accomplir les missions qu’ils se sont assignées.
« –Vous risquez d’être pris et fusillés pour une promesse ? Pour une fille que vous ne connaissez pas, dont personne ne semble se soucier ? C’est insensé ! Courageux, sans doute, mais fou.
-Vous savez, Paris est perdu. Thiers nous envoie peut-être soixante mille hommes et nous ne sommes, en face, que dix mille, au plus. Mal organisés, mal commandés. Des barricades ont poussé partout, construites sans aucun plan d’ensemble : la plupart seront contournées. Encore heureux si certaines ne se font pas face. Et pourtant, derrière chacune d’elles, il y a des hommes, des femmes, aussi, ils ne sont parfois qu’une poignée, persuadés qu’ils pourront tenir et qu’ils repousseront l’ennemi. Ils pourraient tous rentrer chez eux et écouter, les volets clos, défiler les troupes de Versailles. Ils auraient probablement la vie sauve. Ils verraient grandir leurs enfants, ils vieilliraient tranquilles, chacun chez soi, le soir devant son assiette de soupe. Et pourtant, ils restent là. Ils attendent l’assaut. Je ne sais pas s’ils sont courageux ou fous. Je ne sais pas bien, aujourd’hui, la différence entre ces deux mots, dans les circonstances présentes. La seule chose que je sais, c’est qu’ils font ce qu’ils ont à faire. Ce qu’ils croient non pas raisonnable, mais juste. Ils savent l’issue. Ils connaissent la fin. Mais ils ont l’espoir. De vaincre. D’en sortir vivants. Persuadés, sinon, de ne pas mourir pour rien. Voilà ce qui nous mène, nous autres. Ça n’est certainement pas raisonnable. »
Hervé Le Corre fait renaître sous sa plume cette addition de courages scellant la promesse collective du peuple de Paris. Pourtant, ces personnages ne relèvent pas du modèle héroïque classique. Au contraire, au-delà de l’incarnation véritable du mal avec Pujols, tous semblent fragiles et presque hésitants, pris dans un tourbillon bousculant leurs choix. La férocité mais également la tendresse surgit chez ces hommes du peuple. La guerre les entraîne dans des tréfonds de désespérance quand la mort survient sans prévenir pour leurs compagnons. L’écriture d’Hervé Le Corre n’est jamais aussi belle que lorsqu’il s’agit de décrire ces drames intimes. La figure cathartique de Clovis, complice initial de Pujols qui décide soudainement de sauver Caroline, illustre cette fragilité humaine dans le mal comme dans le bien.
Enfin, il convient de saluer la description de la ville par Hervé Le Corre s’attachant aux moindres détails avec minutie et précision. C’est une véritable plongée dans ce Paris aux sentiments exacerbés par l’urgence. Là où l’étude historique se contente de décrire, le roman d’Hervé Le Corre donne la parole à ces vaincus encore debout : c’est la force et la réussite de ce roman à tout point remarquable.
Dans l’ombre du brasier
Hervé Le Corre
Editions Rivages
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Stéphane Furlan
Bonjour et merci pour cette chronique ! Je viens juste d’achever ce roman et il a réussi à me transporter pendant la Semaine sanglante. On sent que l’auteur a réalisé un important travail de recherche historique qui lui permet d’offrir un décor apocalyptique au développement d’une intrigue tout aussi efficace. J’en sors un peu groggy et surtout très ému. Un grand moment de lecture !