Après une parenthèse avec la Commune de Paris, Hervé Le Corre revient au roman noir avec son nouveau livre, Traverser la nuit. A l’image de ses précédents livres, Hervé Le Corre ne fait pas dans la demi-mesure pour narrer ses histoires. Ici, le lecteur n’est pas ménagé mais, au contraire, bousculé par cette immersion dans son univers. Disons-le tout net : c’est âpre, violent et sans espoir. Personne n’en ressort complétement indemne.
Les héros sont cabossés, marqués indéfectiblement par des fractures béantes qui ne cessent de s’élargir. Il y a d’abord le commandant Jourdan plombé par des années de service au sein de la police judiciaire ; des années à enquêter sur des scènes de crime sordides, dénicher des criminels aux tares insondables pour arriver à ne plus faire le distinguo entre sa vie professionnelle et sa vie intime. Habité par son métier, il en oublie parfois les règles élémentaires pour résoudre les affaires. Dans le Bordeaux actuel, un tueur égorge sans mobile apparent des filles aux profils divers. Des dossiers oubliés ressurgissent. L’atrocité des actes se rajoute à la folie. Qui est cet homme ? Par quel mal mystérieux peut-il être hanté pour procéder à de tels actes de crime ?
La rencontre de Jourdan avec Louise sera déterminante et, peut-être, la seule lueur d’espoir du roman. Elle aussi patauge dans un monde clos où sa destinée, maudite, semble lui être assignée à l’avance. De ses parents décédés ne lui reste que de vagues souvenirs brouillés par des années de drogue et d’alcool. Son seul bonheur réside dans la présence de son jeune fils, Sam. Elle rêve parfois d’autres choses mais se contente de faire des ménages pour subvenir à leurs besoins élémentaires. Une menace pèse sur son quotidien. Son ex-petit ami revient par intermittence, sans prévenir, se rappeler à son bon souvenir avec, en guise de message, des coups et des menaces. L’humiliation, les passages à tabac la font vivre dans une angoisse permanente. Pourtant, l’abattement et la peur des conséquences l’empêchent d’agir. Elle subit les coups de son ex comme le reste de sa vie sans jamais pouvoir infléchir le cours des choses.
Au-delà de ses personnages aux allures d’automates brisés, c’est également le procès sous-jacent d’une société à la dérive rongée par l’individualisme. Les déterminismes tragiques de ses personnages révèlent ses failles profondes. Leurs faillites individuelles découlent de ce moment singulier où chacun semble se replier vers soi. Ainsi, une nostalgie à peine voilée pour les générations précédentes transparaît dans ces lignes. Pourtant, si Hervé Le Corre a perdu ses idéaux, sa colère, intacte, surgit et se répand à satiété dans une verve tranchante. « Jourdan regarde autour de lui la ville dans la nuit, les silhouettes tranquilles des passants, ses bâtiments, ses éclairages, les voitures qu’il croise, les feux aux carrefours égrenant, imperturbables, leur code de couleurs, tout cet ordonnancement, ce décorum nocturne, opérationnel de la civilisation industrielle, et il se demande comment tout ça tient encore debout, tous ces réseaux, cette énergie, cet assemblage complexe, tant cela lui semble relever d’un château de cartes auquel on en rajoute sans cesse une autre puis une autre en pariant sur la stabilité de l’ensemble. Il est persuadé, Jourdan, que ça va se casser la gueule, que les lumières s’éteindront, que les images saturant les écrans, les voix surgies du lointain n’arriveront plus nulle part, perdues dans d’infranchissables distances comme ces oueds absorbés par le désert. Il ne sait pas quand ni comment mais il est sûr que ça se produira, chaos climatique, incendies géants, épidémies, les conjugaisons du pire sont déjà imprimées, leurs règles implacables connues de tous, au futur exclusivement. Temps barbare vers quoi on apprend encore des enfants à marcher. »
Réaliste et férocement pessimiste dans sa vision du monde, le roman d’Hervé Le Corre emprunte les codes classiques du roman noir pour sublimer son récit. Son intrigue passionnante et ses personnages attachants font de son nouvel opus un moment délicieux malgré sa crudité.
Traverser la nuit
Hervé Le Corre
Éditions Rivages
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