Disparu en 2017, Hervé Prudon fait partie de cette seconde génération d’écrivains, avec Fajardie, Jonquet, Pouy, Vautrin et quelques autres, qui s’illustrèrent dans le roman noir et que l’on regroupa sous l’appellation sans doute un peu artificielle de « néo-polar ». Dans tous les cas, il s’agissait de réinvestir les codes du roman noir et policier en y injectant une bonne dose de critique sociale et de réflexion politique radicale. La réédition aujourd’hui de Mardi-gris dans la collection « La petite vermillon » nous permet de (re)découvrir le premier roman d’un jeune homme de 28 ans, livre remarqué et soutenu par Jean-Patrick Manchette à l’époque.
La trame de ce premier roman est en tout point conforme à ce que le lecteur peut attendre du « genre » : un jeune marginal en rupture de ban, la vie grise de la banlieue française et de ses achélèmes, les flics racistes qui tripotent les filles à peine pubères de la cité et une cavalcade sanglante.
Emile Rochette est ce jeune révolté qui doit fuir son environnement lorsqu’il apprend l’assassinat de son pire ennemi, l’ignoble brigadier Gourdon, adepte de la ratonnade et du tabassage de gauchistes. Tout en se réjouissant de cette mort, Emile prétend qu’il n’est pour rien dans le funeste destin de son ennemi et s’enfuit pour échapper à de probables ennuis avec la police. Il se réfugie dans une maison dans le Cantal avec René, un petit loubard pathétique, et se retrouve chez Nana Cool qui les héberge…
La maison où Emile et René atterrissent était jusqu’alors le refuge d’une communauté de marginaux. Désormais désertée, elle symbolise à merveille le reflux des utopies que met en scène Hervé Prudon. Rochette est un révolté mais il n’a désormais plus aucun idéal et se heurte à la fin des grands élans collectifs. D’humeur cafardeuse, l’auteur dépeint une France grisâtre saisie par la crise, une France frileuse où l’on se réfugie devant son poste de télévision pour se recueillir devant Roger Gicquel. Tandis qu’Emile commence à organiser sa fuite, Prudon décrit le repas d’anniversaire de la mère du jeune proscrit. Le tableau est effrayant : un père affalé devant la télévision, le beauf forcément raciste, soutenant par principe des forces de l’ordre, la mère dépassée par les événements, la sœur déjà abrutie par les tâches ménagères et les deux marmots…
C’est exactement ce monde que refuse Emile. Mais là où quelques années auparavant il y avait l’espoir de lendemains qui chantent, un horizon collectif et révolutionnaire, il ne reste désormais plus que des cendres, la survie individuelle et un « no future » assez typique de ces années (Cf. Le mouvement punk en Angleterre).
Dès son premier roman, Prudhon affirme un style où se mêlent un dégoût existentiel et un sens de l’ironie triste se traduisant par un goût pour la digression et le jeu de mots : « Le soleil déclina dans le ciel l’identité d’anciens printemps, des printemps qui ressemblent au naufrage d’une jeunesse… Marx (Karl), Avril (Jeanne), Mai (la débandade), Joint (la fuite)… »
La fuite en avant d’Emile et de son compère René rêvant de coups d’éclat est d’emblée placée sous le signe de la triste fatalité et les événements s’enchaîneront de manière inéluctable.
A travers le portrait de ces personnages à la dérive, Prudon parvient à saisir quelque chose de l’atmosphère de cette France de la fin des années 70. Pas de psychologie ni de grandes considérations sociologiques mais une caractérisation très juste des individus et un style acerbe qui déchire le voile des consciences assoupies.
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Mardi-gris (1978) d’Hervé Prudon
La Table ronde, collection « La petite vermillon », 2019
235 pages, 7,30€
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