James Salter – « Et rien d’autre »

 

Tempus fugit (mélodie passagère)
James Salter, Et rien d’autre, éd. de l’Olivier
(trad. Marc Amfreville)
Œuvre crépusculaire, récit d’apprentissage et éloge de la lecture, Et rien d’autre, marque le retour de James Salter au roman, après presque trente-cinq ans de silence. Silence ? Depuis Un sport et un passe-temps, publié en 1979 (la version française était parue en 1995 aux Éditions de l’Olivier), Salter n’a malgré tout cessé de publier des récits, des nouvelles et des scénarios qu’il lui est même arrivé de diriger. Figure culte, scénariste, académicien et universitaire reconnu ainsi qu’ancien vétéran de guerre, il est devenu un de ces writer’s writer célébré par la plus exigeante critique américaine, même si sa figure demeure relativement peu connue en France.
Son retour au roman, donc, se fait dans ce livre de plus de trois cents pages autour de la vie de Philip Bowman. Son histoire, qui s’étend des années 1950 jusque dans les années 1980, est celle d’un jeune marine, vétéran de la guerre du Pacifique, qui doit simplement choisir sa vie d’adulte dans le nord-est américain.
Enfant unique de parents divorcés à une époque où cela était encore étonnant, Bowman n’a de liens familiaux qu’avec sa mère. Etudiant à Harvard, il décide, après une tentative ratée de journalisme et un coup audacieux, de devenir éditeur.
Philip Bowman, malgré sa beauté et sa prestance dans l’Amérique des années 1950, n’est pas le Don Draper de l’édition américaine. Ce n’est pas une figure exemplaire d’ambition, et encore moins un mâle alpha. Héros ordinaire, Bowman découvre le milieu de l’édition, aime son travail, tombe amoureux d’une belle femme et construit son avenir dans la métropole new-yorkaise.
Sa vie sexuelle, non-existante dans sa jeunesse et après tout banale, ne s’épanouit qu’après l’échec de son premier mariage. Il deviendra, l’âge aidant, un amant remarquable, paraît-il, un séducteur à la libido respectablement vorace voire vengeresse.
Après la publication de Et rien d’autre aux Etats-Unis, le livre a été qualifié par une critique féministe (?) comme sexiste et froid. C’est que Philip Bowman, à la fois naïf et cruel, beau et maladroit, égoïste et généreux, n’est pas d’un romantisme désarmant. C’est que les femmes l’abandonnent, traîtresses, inconstantes, pragmatiques. C’est que cet homme, impassible, voit souvent la vie lui filer sous le nez sans se révolter. En cela, Philip Bowman semble humain, bien trop humain.
C’est donc un roman d’initiation que nous propose Salter, mais le roman d’un apprentissage ininterrompu, pour un homme mûr que l’on accompagne, au milieu des histoires minimes de ceux qui l’entourent. La sienne ne l’est pas moins.
La tragédie sentimentale se raconte avec la simplicité des faits ordinaires. Tout survient, puis s’efface. L’amour, l’argent, les modes. Les amis, la mère si patiente et si belle. Le temps fuit, et Philip Bowman perd les illusions. Sans désespoir ni pathos : Bowman reste un homme serein, qui prend en charge son destin et assume chacune des choses qui lui adviennent. En cela, on peut dire qu’il s’agit de l’histoire d’un homme ordinairement heureux.
La manière si tranquille et si élégante qu’a James Salter de bombarder le quotidien sans aucun artifice le situe pourtant parmi les plus grands auteurs de notre époque, sans oublier que la solidité de sa prose est servie par la qualité de la traduction de Marc Amfreville.
Quand on lui pose la question sur l’expérience la plus importante de sa vie, Philip Bowman parle de la guerre du Pacifique, qui avait été l’occasion, pour Salter, de s’adonner à une écriture virtuose et cinématographique. La vie, les ramifications de la fiction alimentent une narration élégante et limpide. En toile de fond, le paysage littéraire américain après la Seconde guerre mondiale. Comme souvent dans ses récits et romans, Salter fait dans Et rien d’autre une référence amoureuse à l’Europe des cercles intellectuels de Londres, de Francfort et de Paris. Mais ce livre est surtout un hymne à la lecture.
Tout passe. Philip Bowman est le héros ordinaire d’une solitude qui n’a rien de triste. Bien au contraire, cette solitude rend possible la beauté de tout ce que Bowman préfère dans la vie : la lecture.
« Les grands éditeurs ne sont pas toujours de grands lecteurs et les bons lecteurs font rarement de bons éditeurs, mais Bowman se tenait quelque part au milieu. Souvent, tard dans la nuit, quand la ville dormait et que le bruit de la circulation s’était évanoui, il restait à lire. Vivian était déjà allée se coucher. Il ne gardait qu’une lampe sur pied allumée près de son fauteuil, et un verre à portée de main. Il adorait s’absorber dans sa lecture avec pour tous compagnons le silence et la couleur ambrée du whisky. Il aimait aussi manger, rencontrer des gens, parler… mais lire était un plaisir toujours renouvelé. Ce qu’étaient pour d’autres les joies de la musique, les mots sur une page l’étaient pour lui. »

 

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