On ne peut que remercier les éditions AAARG ! d’avoir eu la sagesse et l’intelligence de publier en France ce petit bijou qu’est le BORB de Jason Little. Dans un style graphique à l’opposé de son précédent Motel Art Improvement Service (un récit plutôt sympathique sur le road-trip à vélo de la charmante Bee), Jason Little s’attaque ici à la vie de Borb, clochard de son état. Ce qui rend cet objet fascinant, c’est bien que Little ne s’attache pas à aller chercher les causes de cet état de fait (seules quelques pages font allusion à cet avant), il ne se place en sociologue de la question SDF, mais c’est en tant que spectateur qu’il construit son récit et qu’il nous invite à le découvrir. Sèche, cradingue, touchante, drôle parfois, la vie de Borb s’égraine aux rythmes de ses beuveries et de sa quête infinie d’un moyen afin de ne plus ressentir la dureté de la rue.
La construction narrative de ce petit format est absolument impeccable. Chaque page, divisée en quatre cases, est en soi une mini histoire, qui pourrait se suffire à elle-même, retrouvant l’efficacité et, lorsque cela fonctionne, la radicalité du format strip. Ici, la découverte d’une bouteille de parfum jusqu’au rot final rempli de fleurs, là un endormissement la tête dans un carton jusqu’à l’ensevelissement sous la neige ou encore ici l’affectation d’un logement pour finir sur une cuite bien méritée. Une vie qui se construit, brinquebalante, autour de petits rien et de grandes souffrances, de joies éphémères et de cicatrices durables, une vie en noir et blanc qui s’assombrit progressivement pour finir sous le quai du métro où l’idée même de survie devient problématique.
BORB, que l’on peut lire comme la rencontre du Blob (cette substance étrange qui se répand dans la ville, vue notamment dans le film de Chuck Russell sorti en 1988, lui-même remake de celui de 1958) et du Burp, interjection marquant le rot de bonheur lâché par notre clochard après chaque ingestion heureuse de liquide, est un livre indispensable par ce qu’il laisse voir de l’Autre, de celui que l’on croise tous les jours, de celui que l’on ne voit même plus à force de le voir, de celui dont on ne connaît rien, de celui qui nous rappelle chaque jour ce que nous sommes. Et ce n’est pas beau à voir.
Publié le 05/11/2015 aux Éditions AAARG !
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