A travers une trilogie réunie dans un seul livre intitulé Récit des marais rwandais, Jean Hatzfeld se veut le témoin d’un des plus grands drames du XXe siècle à savoir le génocide au Rwanda en 1994. Rapportant le témoignage des survivants tutsis dans un premier livre (Dans le nu de la vie), il va ensuite interroger les bourreaux hutus (une saison de machettes). Enfin, il reviendra sur les lieux du drame afin d’observer les effets de la politique de réconciliation nationale (La stratégie des antilopes).
Le génocide au Rwanda aura duré 3 mois et causé la mort à près d’environ 800 000 personnes. L’assassinat du président hutu va déclencher cette vague de massacres initiée par les extrémistes hutus. Dès lors, la folie des hommes va laisser libre cours à toutes les atrocités possibles et imaginables.
Dans une autre vie, Jean Hatzfeld fut journaliste. Il couvrit notamment la guerre en ex-Yougoslavie pour le journal Liberation. Récits des marais rwandais ne relève pas du journalisme classique. Sa subjectivité assumée rompt avec les codes journalistiques. Le récit de Jean Hatzfeld n’en demeure pas moins passionnant et ce à plusieurs égards. Par son existence, il constitue, ainsi, un précieux outil de mémoire pour l’humanité. « L’histoire du génocide rwandais sera longue à écrire. Cependant, l’objectif de ce livre n’est pas de rejoindre la pile d’enquêtes, documents, romans, parfois excellents, déjà publiés. Uniquement de faire lire ces étonnants récits de rescapés. » Par les témoignages recueillis, il apporte un éclairage irrécusable sur les massacres souvent oppressant pour le lecteur. Enfin, par sa liberté de ton et d’approche, l’écriture de Jean Hatzfeld apparaît comme un modèle entre sensibilité et véracité des faits.
En 2000, il s’est rendu dans les collines de Nyamata à la rencontre des rescapés. Il va parcourir, avec à ses côtés le photographe Raymond Depardon, ces paysages mêlant aridité et marais, sol désertique et forêt. C’est là qu’il va rencontrer ces survivants parfois interloqués d’être encore en vie mais tous meurtris au plus profond de leur chair par le génocide. « Après le passage du génocide, il subsiste, enfouie dans l’esprit du rescapé, une blessure qui ne pourra jamais se montrer en plein jour, aux yeux des autres. » dira Sylvie Umubyeyi, assistante sociale, recrutée par une agence canadienne et chargée de trouver les orphelins à travers les collines.
Pour les vivants, la mémoire leur occasionne de terribles souffrances. En effet, durant ce mois meurtrier, la condition humaine s’apparenta à celle d’un animal traqué. L’instinct les poussa à se réfugier durant des jours entiers accroupis entre les papyrus des marais ou dans les forêts avoisinantes. Témoins de scènes où la barbarie a rejoint la folie humaine, la cause de leur mutisme repose, également, sur le mystère de ces tueurs. Si la cause « technique » du déclenchement du génocide est connue, rien n’explique rationnellement ce déchaînement sans fin de violences. Janvier Munyaneza « Ma première sœur a demandé à un Hutu de connaissance de la tuer sans souffrance. Il a dit oui, il l’a tirée par le bras sur l’herbe et il l’a frappée d’un seul coup de massue. Mais un voisin direct surnommé Habizimana, a crié qu’elle était enceinte. Il lui a déchire le ventre d’un trait de couteau. Voilà ce que des yeux ont vu sans se tromper ».
Ce qui amène Jean Baptiste Munyabkore à préciser « Ce qui s’est passé à Nyamata, dans les églises, dans les marais et les collines, ce sont des agissements surnaturels de gens bien naturels ». De cette tuerie surnaturelle, la parole des bourreaux éclaire peu ou pas du tout. Ils reconnaissent, pour la plupart, avoir été pris dans une spirale collective effrénée. Mais, ce que souligne Jean Hatzfeld est juste ; il y une différence notable entre les soldats d’une guerre dite classique et les coupables d’un génocide. Les premiers gardent, pour la plupart, des stigmates de la guerre. Les seconds au contraire semblent « incapable de reconnaître l’atrocité de ce qu’ils ont fait » A ce stade, la réconciliation nationale ressemble à un vœu pieux voulue par le gouvernement. En effet, la cohabitation entre bourreaux et victimes reste d’autant plus délicate que pardonner nécessite que l’autre reconnaisse ses actes.
Le livre de Jean Hatzfeld est bouleversant d’effroi. Par son style et sa façon d’agir, il a su rapporter des témoignages empreints de sincérité. En tentant d’être proche de ces êtres humains, son travail d’écriture restitue une chose bafouée lors de ces mois dramatiques : la dignité humaine.
Un recit des marais rwandais
un livre de Jean Hatzfeld
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