De quoi la guerre menée par les États-Unis, depuis les attentats du 11 septembre 2001, est-elle le nom ? L’attaque sur le territoire américain s’apparentait à une déclaration de guerre. Mais l’engagement, militaire et moral des États-Unis, ne se limitera pas à une riposte contre Al-Qaïda en Afghanistan. Il va revêtir les aspects d’une guerre souterraine, sans frontières et s’affranchissant allègrement des principes moraux et juridiques.
Jeremy Scahill est journaliste pour le magazine américain The Nation. Il est l’auteur d’une enquête sur l’ascension de l’armée privée Blackwater. Il est également à l’origine d’un site internet The Intercept, connu pour avoir diffusé les révélations d’Edward Snowden.
Avec ce nouveau livre, il met en lumière la stratégie militaire adoptée par Georges Bush et renforcée par le démocrate Barack Obama, prix Nobel de la paix en 2009. Aux institutions militaires classiques va s’ajouter la mise en place de forces spéciales, le Joint Special Operations Command (JSOC). Dans ses rangs se retrouveront les élites des forces spéciales américaines. Autonome vis-à-vis de la CIA, la mainmise de l’exécutif sur ses opérations est totale. Ses actes sont volontairement dissimulés. « Avec nos forces spéciales, nous avons la possibilité de faire la guerre dans l’ombre, sans trop de surveillance du Congrès. » La chaîne de commandement conventionnelle est rompue. Désormais, le pouvoir politique dispose d’une armée. « Vous avez un exécutif doté d’une autorité nouvelle, autorisé à livrer combat pratiquement n’importe où sur la planète s’il le juge nécessaire », explique un militaire. De manière explicite, une source militaire affirme sans fard : « Le monde est un champ de bataille, et nous sommes en guerre. Les militaires peuvent donc aller où bon leur semble et faire ce qu’ils veulent pour remplir les objectifs de sécurité nationale définis par quiconque occupe la Maison Blanche ». Dès lors, les assassinats ciblés, les bombardements par des drones ainsi que le secret entourant ses opérations vont constituer la pierre angulaire de cette nouvelle forme de guerre. Le JOSC, tel Frankenstein échappant à son créateur, établit lui-même les listes des personnes à assassiner qui seront signées par le Président tous les mardis rebaptisés pour l’occasion « les mardis de la terreur ».
A travers cette passionnante enquête, Jeremy Scahill met également en lumière l’impact sur l’image des États-Unis de cette guerre occulte. Pour étayer son discours, il alterne les formes. Il enquête, analyse, recueille des témoignages mais également relate des faits. Avec un sens de l’écriture certain, il rapporte un dramatique accident au Pakistan. Une famille, par ailleurs opposée aux talibans, fête la naissance d’un nouveau-né. En plein milieu de la nuit, alors que la fête bat son plein, les forces spéciales interviennent et massacrent les participants. Les balles seront ensuite retirées des corps pour effacer toute trace. Les enquêtes, diligentées par l’OTAN et l’ONU, n’aboutiront pas. Néanmoins, cette bavure avérée met en lumière la réalité de cette armée secrète. Contrairement au but poursuivi, « le programme d’assassinats ciblés alimente la menace même qu’il a pour fonction de combattre ».
Au-delà des victimes civiles, les États-Unis se rendent responsables d’un bouleversement politique au sein des pays où ils interviennent. Il en est ainsi en Somalie où leur action va contribuer au renforcement d’Al-Shabbaad, une filiale d’Al-Qaïda. En effet, à l’origine, ce groupuscule se trouvait isolé au sein d’une coalition de tribus, les Tribunaux islamiques. Jeremy Scahill démontre comment l’intervention armée de l’Éthiopie, poussée par les États-Unis, va assurer la prédominance des radicaux sur les autres groupes. En mettant sous tutelle des chefs d’état, les États-Unis ne font qu’attiser le dépit des habitants. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, leur maladresse stratégique se joue de la souveraineté des États rendant contre-productive leur détermination.
Jeremy Scahill livre une enquête passionnante sur la désastreuse politique militaire et diplomatique de la plus grande puissance du monde. Un changement d’orientation est essentiel. En effet, de cette interminable guerre ne peut sortir qu’une recrudescence des « ennemis de l’Amérique ».
Dirty Wars le nouvel art de la guerre
Un livre de Jeremy Scahill
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