Jérôme Leroy occupe une place atypique dans le monde du néo-polar français.
Cet avatar, surgi avec les livres du regretté Jean-Patrick Manchette dans les années 1970, a poursuivi son chemin avec des auteurs comme Didier Daeckninckx, Thierry Jonquet, Jean-Bernard Pouy ou encore Patrick Raynal. Une amitié, souvent ancienne, au sein de mouvements d’extrême gauche a pu attirer les critiques de contempteurs médisants. De ces accointances émergent, néanmoins, une littérature profondément audacieuse. Ces auteurs vont insuffler un souffle de fraîcheur, sortant ainsi le « roman noir » de sa torpeur. L’importance du milieu social ainsi que son interaction avec les personnages sont les traits communs de ce genre littéraire. A cela s’ajoute également une idéalisation parfois grossière, partagée par les auteurs, des combats antifascistes.
Jérôme Leroy, marxiste à l’ancienne, partage dans les grandes lignes les convictions politiques de ses confrères mais écrit également à Causeur (le magazine d’Élisabeth Levy). Il s’oppose aux valeurs défendues par le Front National mais, à travers son récit, il ne fait pas le choix de la diabolisation rituelle. Non, il nous propose plutôt un récit à l’intérieur de l’extrême droite. Complaisant pour certains, inutile pour d’autres, Jérôme Leroy a choisi la littérature pour tenter de cerner les ressorts moraux de cet engagement politique radical.
Le récit se déroule principalement au cours d’une nuit. Une nuit où tout va basculer. La France allait mal et ce depuis des années déjà. « Ils avaient tous peur, les Français, de toute manière : la beurette maquilleuse avait peur, le petits Blancs avaient peur, les cadres délocalisables avaient peur, les mômes des cités avaient peur, les flics avaient peur. Les profs de collège de ZEP, les toubibs en visite dans les HLM déglinguées, les retraités pavillonnaires, les ados blancs des zones urbanisées avaient peur. Les Chinois avaient peur des Arabes, les Arabes avaient peur des Noirs, les Noirs des Turcs, les Turcs des Roms. Tous avaient peur, tous avaient la haine. Et d’abord la peur et la haine les uns des autres. »
Des émeutes meurtrières dans les quartiers populaires ravagent le pays. En toile de fond, des négociations sont sur le point d’aboutir entre un parti d’extrême droite et le gouvernement. Cette même nuit, les destins des deux hommes, pourtant si proches durant un quart de siècle vont irrémédiablement se dissocier. Mais le temps d’une nuit, leurs souvenirs communs vont ressurgir. Leurs histoires s’agrègent avec celle du parti. L’un est le mari de la présidente du parti, il tend à entrer au gouvernement. L’autre, responsable du service d’ordre du parti se sait traqué, dans une lutte à mort. Pourtant, lui, Stanko, fut l’un des plus fidèles au parti: à maintes reprises contre les gauchistes ou pour protéger un candidat dans une élection en difficulté il n’hésita pas à braver les dangers. Mais c’est pourtant lui, dans une ironie de l’histoire qui se retrouve terré dans une chambre d’hôtel, attendant le coup de grâce, alors même que le parti pour qui il consacra sa vie est aux portes du pouvoir.
Antoine a rejoint le parti d’extrême droite à la fois par amour mais également par dandysme. En effet, c’est par goût de la provocation qu’il se plait à déclamer Drieu La Rochelle et autres auteurs tendancieux. Il fait ses premières armes au lycée où par ses rencontres et sa renommée il fréquente la jeunesse d’extrême droite. Sa nuit, lui, il va la passer à se remémorer les escapades amoureuses avec Agnès, les vives tensions politiques au sein du bureau politique tenu alors par le père. « Louise Burgos croit qu’elle a gagné. Louise Burgos croit que le vieux loup est mort. Ce qui va se passer, c’est que je vais faire le mort et, quand elle s’approchera pour être bien certaine que je ne bouge plus, j’attaquerais. A la gorge. L’homme est un loup pour l’homme. Pour la femme aussi. » Mais surtout, l’amitié fusionnelle avec Stanko l’obsède constamment. Le Bloc c’est d’abord une grande histoire d’amitié qui tourne mal.
La plume de Jérôme Leroy se veut incisive dans le ton, brute pour témoigner des pensées de ses personnages. Mais, elle rend également compte de la tendresse affleurant chaque individu. Au détour des lignes, l’auteur souligne également les errements de la gauche dite traditionnelle. Il mentionne l’abandon, par cette dernière, de son combat originel : la défense des classes populaires. Il fustige le pire aspect de l’héritage de mai 68, « les friqués et lyriques, qui condamnaient la génération suivante à bosser comme stagiaires à vie en bloquant l’horizon historique, en répétant obsessionnellement que, grâce à eux, on vivait dans le meilleur des mondes possibles ». En se plaçant du « mauvais » côté, l’auteur souligne aussi les limites inhérentes à tout parti politique dés lors qu’il accède au pouvoir. La nécessité d’une certaine respectabilité éclipse inévitablement la radicalité des premières années. Au delà des mots, c’est à travers le renouvellement des hommes que le changement s’opère.
« Le monde n’est, jusqu’à preuve du contraire, que le siège des pires injustices, le lieu d’une violence protéiforme, la frontière entre le bien et le mal est floue, les tenants de l’ordre sont en fait des « anarchistes du pouvoir » » (Selon les mots de Pasolini). Par ces termes choisis, Jérôme Leroy dépeint le cadre d’écriture de tout roman noir. Son livre respecte ses préceptes à la lettre. Son récit reste passablement sombre sur l’état du pays et profondément désabusé sur la nature humaine. Avec Le Bloc Jérôme Leroy signe un récit captivant de bout en bout. Un récit profondément ancré dans un réel anxiogène.
Le Bloc
un roman de Jerome Leroy
Editions Gallimard
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