Tomi Ungerer – Ni oui, ni non (Ecole des Loisirs)

« Il faut que vous traumatisiez vos enfants sinon ils deviendront tous experts comptables ! »*, prévient, d’emblée, Tomi Ungerer, célébrissime auteur-illustrateur des Trois Brigands et du Géant de Zéralda. Eclats de rire. Le ton est donné dans cette salle de réunion de la Maison de l’Alsace à Paris, où est organisée une conférence de presse pour la sortie de Ni oui, ni non, son dernier livre publié à l’Ecole des loisirs.

A 87 ans, Tomi Ungerer a un esprit vif et alerte. Le corps lui peine un peu. L’œil blessé par la lumière se protège derrière des lunettes, sous un chapeau à larges bords. Mais ce « chapeau-parasol »*, il le fera tournoyer au bout de sa cane en fin de conférence au grand plaisir des photographes et au sien, sans doute. C’est un artiste qui n’aime que les instantanés.

Le livre qu’il présente aujourd’hui ne rentre pas tout à fait dans la catégorie de ce qu’on connaît le mieux en France de son œuvre protéiforme : des contes pour enfants aux larges illustrations accompagnées de quelques lignes de textes.

Fruit d’une collaboration avec Philosophie Magazine et son directeur de la rédaction, l’auteur et journaliste Alexandre Lacroix, Ni oui, ni non a une autre ambition. Ce dernier explique : « Il existe des outils qui répondent aux envies des parents et des pédagogues en terme d’initiation à la philosophie mais rien que les enfants aient envie de lire. »* Alexandre Lacroix conçoit donc un singulier courrier des lecteurs : il demande à des enfants de tout âge de poser des questions de tout ordre, ne retenant que les questions ouvertes, « comme toute bonne question philosophique »* Et pour y répondre, choisit « quelqu’un qui sache s’adresser aux enfants. »* « J’ai juste choisi mon auteur pour enfant préféré. »*

Tomi Ungerer répondra depuis le coin perdu d’Irlande où ce trilingue passionné de voyage s’est installé il y a 45 ans, envoyant textes et illustrations depuis son fax préhistorique.

Quelle fierté pour celui qui se définit comme un ancien cancre d’avoir été sollicité pour travailler dans ce magazine dont il épelle une partie du nom, syllabe par syllabe, pour en appuyer l’importance : « Phi-lo-so-phie » avec une lumière dans les yeux et un grand sourire taquin. Ce dyslexique qui a finit par apprivoiser son handicap et le considérer comme une richesse, déclare, en évoquant sa différence : « ça aide à faire revivre le vocabulaire », lui apportant une fantaisie salutaire.

« Si on explique tout, il n’y a plus de poésie. » La poésie comme carburant, filtre, outil d’appréhension du monde, l’aide à grandir en tant qu’être humain toujours debout, choqué par l’injustice mais pas défaitiste, combatif. « Je suis un engagé volontaire », dit-il pour parler de son militantisme, visible à travers son travail d’affichiste et de satiriste aux USA. Rappelons-nous la très politique « Black Power-White Power » tout comme ses affiches critiques concernant la guerre du Vietnam. Rappelons-nous ses appels à la tolérance, à l’acceptation de la différence de l’autre, notamment dans son conte « Jean de la Lune. »

Ces réponses dans Ni oui, ni non passent d’une précision de grand vulgarisateur scientifique à des formules saugrenues et poétiques. Elles sont parfoi ironiques et cinglantes mais toujours respectueuses. Celui qui déclare avoir toujours pris au sérieux les enfants, leur avoir toujours parlé comme à de grandes personnes, est un éducateur à contre-courant de méthodes politiquement correct actuelles, et avec quelle vigueur !

Il précise comme on décrit un projet pédagogique, concernant cette notion de « traumatisme », qui peut défriser certains : « Je [le] distille. Mon intention est de stimuler. » « La créativité, on la doit à la curiosité. »*. Il a lui-même été marqué par la mort de son père à 3ans ½, puis par la guerre. Puis a été heureusement bouleversé par les découvertes qu’il doit à son frère ainé, cette initiation à la magie du dictionnaire, à la lecture de définitions complexes, avec la découverte par exemple de l’incroyable mot : « anthropophage. »

A travers ses réponses à des questions d’enfants, c’est l’art de vivre, la méthode et l’expérience d’Ungerer qui nous sont donnés à voir, avec cet humour résolument énergique et irrévérencieux : « Je suis devenu un classique parce que j’étais transgressif. » déclarait-il en interview, il y a quelques années. Et si on lui demande aujourd’hui si c’est toujours vrai, il répond : « si j’étais une femme, oui. »* « Je suis quand même un agent provocateur. Pour moi, la provocation est une forme de distraction. »*.

Alors lisez pour vous-même, lisez à vos enfants, ses réponses ouvertes à des questions ouvertes. Elles sont un merveilleux carburant, un exemple de vitalité. Elles allument l’œil et font rire aux éclats des grands-mères, sont lues sérieusement dans le métro par de grandes filles de 9 ans, à qui il faut alors préciser ce qu’est le big-bang devant le regard attendri de passagers aux aguets… Vous voyez comme j’ai sérieusement testé pour vous cet ouvrage.

N’attendons pas d’avoir son âge pour vivre nos vies aussi pleinement qu’il vit la sienne.

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Les citations suivies d’un « * » sont tirées de la conférence de presse et non du livre.

 

Sylvain Alzial et Hélène Rajcak – Panthera Tigris (Rouergue)

Sous ce titre outrageusement savant se dissimule une œuvre à la malice et l’ironie fort réjouissantes.

L’argument est tout simple : au XIXe siècle un éminent professeur « furieux » de s’apercevoir que le tigre du Bengale est une lacune à sa connaissance se rend illico en Inde. Il se voit accompagné d’un jeune guide modeste, un chasseur expérimenté connaissant la région sur le bout des doigts, « qui n’a jamais lu un livre de sa vie ». A chaque fois que le jeune homme s’apprête à prononcer la phrase « Monsieur vous savez, les tigres de cette forêt sont… », le scientifique l’interrompt à grand renfort de rhétorique scientifique, de preuves historiques irréfutables et de citations, de mots latins, de classifications, typologie, catégorisation… Tout est dans la science ? A l’instar de l’animal sauvage, Panthera Tigris s’attaque à la morgue et à la certitude théoricienne qui impose toute vérité comme scientifique.

Il était une fois un monsieur qui savait beaucoup de choses.

Panthera Tigris ridiculise ces mines de savoir, ces « messieurs qui savent beaucoup de choses ». Combien le savoir est peu de chose sans la sensibilité, la respiration, l’appréhension de l’univers et l’amour d’y appartenir. Incapable de regarder et d’écouter, notre héros aurait bien mieux fait de rester chez lui à consulter les ouvrages de sa bibliothèque ! Il se laisse bercer par sa connaissance, arrosant son interlocuteur de son pédantisme terminologique oubliant les bienfaits de la démarche empirique qui suggère que pour connaître le monde, il faut le vivre avant de l’étudier.

En parfaite complémentarité avec le texte de Sylvain Alzial, les illustrations d’Hélène Rajcak sont  jubilatoires. Elle s’adonne à la représentation apparemment très sérieuse et très mimétique de planches en noir et blanc inspirées des gravures encyclopédiques du siècle des lumières, à l’heure de la vulgarisation scientifique. Souvent très instructives, elles apportent la connaissance au lecteur tout en ajoutant des touches parodiques, envoyant voler la théorie selon laquelle la science est exacte et toute vérité à démontrer. Dès la première planche, représentant le cerveau du savant, décor et ton sont plantés, nous invitant d’emblée à ne pas être dupes. (1 – cerveau du savant / 2 –Zone de mémorisation ; 3/ Zone de lecture rapide…) Le conte philosophique de Sylvain Alzial sera donc éducatif et formateur au sens le plus large, usant de causticité et d’impertinence.

En regard, la page de droite constitue un joli contrepoint, racontant et illustrant la promenade du professeur et de son guide, sous forme d’envers du décor, soulignant la prétention de l’homme en montrant les personnages comme de bien petites choses dans une nature immense qui les avale. La finesse du trait rappelle celui d’un Maurice Sendak au dessin pur avec ses couleurs aquarelles, qui explorent diverses gammes de vert, jusqu’au gris et brun, qui dépassent des contours. Et lorsque le tigre tant attendu fait irruption dans le dessin, c’est la présence d’un orange fluo qui nous l’indique, lorsqu’une queue apparaît à l’angle de la page. La présence de cette couleur symbolique, couleur du danger, couleur de la réalité sauvage, de la liberté animale échappant à la taxinomie, à la catégorisation, fait voler en éclat le discours scientifique, et le confrontant au danger lui expose ses limites. Le royaume de la preuve s’écroule, et les planches scientifiques avec, les auteurs s’en donnant à cœur joie en matière de pastiche salvateur.

Finalement, Panthera Tigris raconte un peu la même histoire que celle de Dersou Ouzala d’Akira Kurosawa, mais un Dersou Ouzala où le géographe n’aurait pas écouté la sagesse du vieux trappeur et pas su entrevoir en son regard la beauté du monde. Car comme le montre symboliquement la magnifique quatrième de couverture, le professeur, ce petit homme, se cache du danger derrière son livre, percé de deux trous pour regarder : regarder le monde juste par le prisme de l’écrit.  L’arrogant savant en tirera une leçon qu’on espère profitable. A travers cette fable humaniste pleine d’humour, les auteurs offrent une magnifique leçon de vie, à l’encontre de tous les porteurs de vérités indétrônables, de tous ceux qui s’imposent comme les éternels détenteurs du savoir, légataires de la stupidité de l’intelligence.

OR

Joe Todd Stanton – Le Secret du Rocher Noir (L’Ecole des Loisirs)

Le Secret du Rocher Noir laisse tout d’abord une première impression ambivalente avec son esthétique quelque peu schématique qui lorgne vers le graphisme des mangas ou de certains films d’animation tels que Le Chant de la Mer ou Brendan et le Secret de Kell : l’héroïne a de gros yeux rond et un nez en « L ». ; ces décors et ces personnages très stylisés apparaissent comme presque sommaires. Le jeune Joe Todd Stanton, auteur-illustrateur britannique est un grand fan du Voyage de Chihiro de Miyasaki ; nul doute qu’il assume cette parentèle avec une branche du 7ème art. Il est aussi bien inspiré par le 8ème, d’ailleurs. L’illustrateur se veut utilisateur d’une « ligne claire » et fait largement référence sur la couverture originale de son livre à celle d’Hergé pour l’aventure de Tintin sur l’Île Noire.

Le papier épais, avec un grain un peu fort, donne de la présence au dessin. Et même si décors et figures sont simples, les expressions sont soignées. Le travail de colorisation qui accompagne le dessin au crayon ne dissimule pas l’utilisation de Photoshop. Même pour les allergiques aux traitements par ordinateur, il est convaincant. Il donne du relief, du mystère aux longues et sombres nuits d’orage de cette côte hostile de la Grande-Bretagne. Par des effets choisis, il cherche à se rapprocher d’un rendu « fait main ». tel un coloriage rapide. L’écume des vagues est esquissée à grands traits, il donne du « moussu » aux nuages. Mais le travail des ombres, surtout, plus ou moins appuyé évoque, par exemple, cet éclairage par halo d’une lampe tempête.

A défaut d’être originale ou inventive son illustration touche et révèle un vrai pouvoir d’attraction en nous plongeant allègrement dans ce bout d’Angleterre embrumée. L’histoire sonne juste, celle d’une force de la nature – le rocher noir – inconsciente du mal qu’elle peut faire, alors qu’elle-même est blessée par les êtres humains. Comme il est pertinent de placer cette aventure en un territoire marin, propre à la naissance d’histoires et de mythes forgés de tout temps pour pallier des méconnaissances, justifier des terreurs.

Limpide, le récit évite l’excès démonstratif.

Derrière la simplicité des termes, « rocher noir » convoque la force des contes de l’enfance, cette époque où un coffre à jouets peut être habité par des monstres et où le noir fait peur et dissimule, c’est bien connu, des secrets.

Erine, la petite fille au centre du récit n’est pas de ces enfants-là. L’inconnu ne l’effraie pas. Il éveille sa curiosité. Telle l’héroïne des récits de quêtes initiatiques de la légende arthurienne, elle ne s’arrêtera pas avant de connaître la véritable nature de ce rocher noir qui fait tellement peur aux grandes personnes ! Quand elle voudra transmettre sa vérité toute neuve, on ne la croira pas. Cela arrive souvent aux enfants. Il lui faudra agir, affronter d’autres dangers pour sauver son nouvel ami. – Et, à l’instar des héros mythiques rien ne la découragera !

Curieuse, ne se laissant pas abattre, allant de l’avant, les qualités de cette petite fille peuvent être également celles d’un petit garçon. Il est agréable de rencontrer un livre dont le héros est une héroïne et qui s’adresse tout autant aux deux genres.

L’environnement dans lequel la fillette évolue est discrètement évoqué : une mère, célibataire ou veuve, l’élève seule grâce à son activité de marin pêcheur. Une communauté solidaire de villageois-pêcheurs les entourent, où d’autres femmes marins existent. Tout est montré sans être dit. La thématique de la préservation de l’environnement n’arrive pas tout de suite, la position antisexiste ne matraque aucun message. La curiosité pour un mystère inquiétant est première dans l’aventure et c’est beaucoup plus fort. L’auteur, par modestie peut-être, ou plus sûrement par souci d’efficacité préfère effacer ces intentions derrière l’histoire.

Puisse cette petite fille, amoureuse d’une nature libre à préserver, faire des émules.

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Peter Sis – Robinson (Grasset)

Peter Sis, c’est tout d’abord, une infinie douceur, un dessin caressant au pouvoir presque magique. Par l’entremise de cette douceur, il évoque régulièrement les constructions les plus complexes : la fragilité de l’être comme une promenade apaisante. Le propos de Robinson pourrait paraître gentil ou naïf, mais ce serait négliger combien Peter Sis, au-delà de cette bienveillance inhérente, impose un imaginaire subtil, délicat et d’une richesse discrète, notamment grâce à un agencement très allégorique des tonalités de couleur. Comment souvent, l’auteur va remonter aux temps de l’enfance, et le retravailler, le réinventer par la mémoire, l’inspiration créatrice, le récit, le rêve. Ici, Sis raconte donc un souvenir d’enfance apparemment anodin qui pourtant continue de le hanter.

Avec ses camarades de classe, il aimait jouer aux pirates et à chaque mardi-gras, c’était inlassablement ainsi qu’il venait déguisé… comme tous les autres. Lorsque cette année-là sa mère lui proposa de changer et lui confectionna un costume de Robinson, les rires et les moqueries des copains provoquèrent sa fuite. Reclus dans sa chambre, pris de panique, il s’enfuit dans un semi-délire sur une île déserte, son île. Sans aller jusqu’à parler de trauma enfantin, il existe des moments apparemment insignifiants de la vie qui vous marquent au point de forger votre moi. Toute proportion gardée on pense à la résilience étudiée par Boris Cyrulnik et notamment la dimension salvatrice et cathartique de l’art, lorsque le dessinateur, l’écrivain, le musicien ou tout autre créateur libère ses hantises, se confrontant, dialoguant, ou réglant ses comptes avec son passé en le sublimant dans l’œuvre.

Le dessin épouse d’abord les formes d’une vie idyllique rappelant notamment Madlenka et sa vision de l’enfance urbaine. Petits bambins perdus dans les espaces immenses, minuscules dans un grand vide, une grande ville. Comme à son habitude, Sis transforme régulièrement les pages en parcours ésotérique et initiatique ; les pavés tarabiscotés deviennent des cases énigmatiques lorsque la place où jouent les enfants ne se transforme pas en mer accueillant leur radeau. Il joue avec des surfaces qui prennent des allures kafkaïennes. Certes, le voyage n’est peut-être pas aussi énigmatique et vertigineux que dans Les 7 clés de Prague, pas de golem à l’horizon, mais Sis reste un éternel amoureux des de la kabbale et de ses signes. Il ne reniera jamais ses origines tchèques soyons-en-sûrs. Les perspectives explosent et paraissent si libres, n’obéissant plus aux lois de lagravité, et nous pouvons marcher sur la tête si les arbres et les maisons se dressent verticalement. Les cadres qui entourent les dessins principaux établissent un espace magique, de petites figures gravitant pour élargir le champ thématique et symbolique et ouvrir sur le fantastique. Hypnotique, chaque planche ouvre au vagabondage – comme reconstituant la mécanique de l’errance mentale. On se dit toujours qu’il y a quelque chose à décrypter, mais en fait, le mieux est de s’y laisser glisser. Les changements de tonalité revêtent une valeur symbolique ensoleillée et bleu ciel pour le bonheur d’une vie entre copains, avant que le bleu ne s’assombrisse après le rejet du groupe pour plonger dans la solitude d’une chambre presque grise, où les teintes illustrent le chaos intérieur de l’enfant paniqué. Le lit, alors se muera en bateau-livre entremêlant rime visuelle et sonore autorisant l’invention d’une île en bleu et vert : l’encre s’en-fuit ; libre, elle déteint dans son eau. L’aquarelle retranscrit probablement le mieux cette sensation d’imagination sans borne. L’arrivée dans ce lieu fantastique laisse place à un foisonnement qui accueille d’autres couleurs, sature l’espace, peuplé par un merveilleux bestiaire, foisonnement traduisant l’infinie créativité de l’enfant. Le dessin s’expose alors comme une mise en abyme qui figurerait toute la force de l’Art, sa valeur d’affranchissement.

L’île constitue toujours – y compris dans les classiques de jeunesse – le lieu symbolique idéal pour matérialiser la mécanique du cerveau. Qu’on se souvienne de Max et des maximonstres de sa conscience ! Poussé par la peur, sous l’emprise du rejet, le petit héros de Sis s’écrie : « Je n’avais qu’une envie : partir ». C’est ce qu’il fera. Sis, file l’allégorie du Robinson et le processus de construction à l’intérieur de l’île devient l’écho métaphorique de l’édification de l’identité. « J’ai construit un abri pour me protéger du vent et du soleil ». Savoir donc se soustraire au groupe pour mieux pouvoir s’y intégrer ensuite constitue une forme d’aveu autobiographique. Imposer un moi particulier, sans se laisser imposer de stéréotypes collectifs. C’est la force individuelle dont Peter Sisfait l’éloge. S’imposer comme un être pensant, et pensant différemment constitue l’un des moteurs de l’amitié. L’autre parmi les autres. Oh, ce n’est qu’une petite histoire toute simple, un souvenir intime, mais elle nous appartient à tous et constitue une grande leçon de vie. Le contact avec son moi insulaire fait de nous tous des Robinson, à la fois portés par notre solitude et avides de dialogue : luxuriante, parfois inquiétante, source de vie, l’île souligne la vigueur d’un esprit qui ne connaît pas de limites.

OR

Gaëtan Dorémus – Tout doux (Rouergue)

Depuis la couverture de l’album, un ours nous accueille, regardant l’azur d’un air doux avec un sourire franc et rêveur

Gaëtan Dorémus fait partie des illustrateurs qui savent donner du caractère à leurs personnages, qui dessinent des animaux anthropomorphes tout en leur conservant leur part animal. Il esquisse prestement des personnalités : ours bourrus, bruts de décoffrage ou plus discrets et sages.

Il adopte ici un parti-pris graphique : deux couleurs uniques, le rouge, le bleu, plus un peu de marron foncé sur fond blanc, ce dernier étant utilisé en tant que lumière comme en aquarelle. Le dessin est réalisé uniquement avec des crayons de couleurs et offre un trait très présent, soulignant le visage expressif de l’ours bleu exposé à bien des aventures. En effet, le jour où il perdra sa maison, il partira en voyage jusqu’à trouver un nouvel havre de paix.

La première double page laissait craindre un livre didactique, basé sur une opposition chaud/froid un peu binaire ou une leçon un peu lourde sur les conséquence du réchauffement climatique. Il n’en est rien. Gaëtan Dorémus préfère en faire un point de départ, un prétexte à raconter une histoire.  Et quel meilleur moyen pour permettre à un enfant curieux de se confronter au monde que d’offrir ce léger décalage qu’est la fiction ? Qui permet l’humour, l’émotion.

On est loin de tous ces ouvrages poussifs et laids qui envahissent le monde de l’album jeunesse en affichant leurs prétentions pédagogiques pour séduire les parents, les caresser dans le sens du poil (d’ours) mais qui ennuient les enfants (et certains chroniqueurs de ma connaissance, suivez mon regard louche). Avouons-le, trop nombreux sont les ouvrages pauvres de contenu, dépourvus d’inventivité, d’ardeur, de courage, de vraie compréhension des enfants. Sans saveur. Les auteurs et illustrateurs n’en sont pas toujours la cause, qui voient certaines de leurs propositions torpillées à coup d’exigences marketing ou de délais qui hélas rendent leurs ouvrages lisses et semblables.

On a envie de citer Ungerer (pour son livre « Ni oui, ni non », voir plus haut), fondateur s’il en est de la littérature jeunesse d’après-guerre : « Si on explique tout, il n’y a plus de poésie ».

L’auteur-illustrateur et la maison d’édition du Rouergue l’ont bien compris et nous offrent un livre soigné à l’impertinence tonique.

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