Nathalie Soussana, Jean-Christophe Hoarau, Béatrice Alemagna – Comptines du Jardin d’Eden (Didier Jeunesse)
Les éditions Didier rééditent parfois quelques titres de leur incontournable collection de livres-disques consacrée aux comptines du monde, comme c’est le cas de ce « Comptines du jardin d’Eden », sélection de 28 comptines juives. Les premières notes de l’interprétation très inspirée de « Erev sehl Shoshanim » nous immergent instantanément dans la mélancolie et la tristesse d’un peuple. Le parti pris d’alterner voix d’enfants et d’adultes offre un pont entre les âges susceptible d’éduquer l’ouïe enfantine. L’ensemble baigne dans un calme enveloppant, enchaînant classiques (« A la una », « Dona,dona ») et morceaux moins connus. En fin d’album les explications toujours très instructives des origines des chansons, rappellent combien l’écriture populaire se nourrit régulièrement de la tragédie collective et individuelle. Elle constitue un moyen cathartique d’atténuer la douleur en la poétisant, voire de la délivrer en la sublimant. Telle une magnifique consolation. L’introduction nous éclaire sur les 4 langues des comptines, leur construction et leurs origines, entre l’hébreu, le yiddish (appelé aussi judéo-allemand – langue au rayonnement incroyable stoppée par l’Holocauste), le judéo-espagnol, et l’arabe.
L’intérêt de chaque titre de cette collection tient aussi bien entendu au choix de l’illustratrice. C’était une aubaine que de voir Béatrice Alemagna se plier à cet exercice et opérer avec autant d’inspiration la rencontre de 2 univers. Il s’agit d’une belle osmose où la douceur de la mélodie trouve son écho dans celle des visages et des corps ondulants. Si Chagall est une référence évidente, ne réduisons pas l’illustratrice à un mimétisme auquel elle est étrangère.
Pour Comptines du Jardin d’Eden, Béatrice Alemagna utilise une technique qu’elle semble avoir aujourd’hui plus ou moins abandonnée. Ici, elle travaille énormément sur des collages de motifs. Elle s’adonne à toutes sortes de découpes de journaux, magazines, de textures. Une fois les collages terminés, elle ajoute au feutre détails et précisions. Ce qu’elle dessine et colorie crée des zones plus contrastées. Chaque page est un assemblage de formes et de contrastes de couleurs vives/sombres mises en miroir. Les couples s’étreignent, les petites filles dansent, les jeunes femmes prennent leur bain. Il y a un jeu fantastique sur la disproportion, lorsqu’un costume de mariée envahit l’espace avec le visage de la jeune femme tout petit au-dessus et l’époux échappé hors du cadre dont on ne voit pas la tête. Dans l’utilisation symbolique des formes, la rondeur d’une lune se fait prémisse de la maternité. Le ventre de la future mère dans sa robe rouge éclatant occupe toute une page, comme une haute colline, tandis que le reste du corps et son visage, se poursuivent en vis-à-vis sur l’autre page. Un subtil dialogue s’affirme graduellement, créant une fluidité inattendue, un réseau de correspondances esthétiques faisant pleinement confiance au dessin pour être capable de raconter à lui seul une histoire. Le rond et l’ovale dominent et, comme des jeux de marelle, des napperons brodés rouges accueillent les personnages. Les oiseaux s’y envolent. Les fleurs y poussent. C’est évidemment ce qu’il y a de plus précieux chez Alemagna, cette feinte du figuratif lorsque les matières s’entremêlent et que l’art décoratif et l’art plastique s’invitent à la fête. Une belle manière de faire déborder le réel vers le rêve, l’imaginaire, et d’affirmer sa liberté créatrice.
O.R.
Frédéric Marais-Thierry Dedieu–Bob & Marley – La Nuit (Seuil Jeunesse)
A quoi reconnaît-on la réussite d’un album ? Parfois, à ce qu’il inspire au public auquel il est destiné. Je connais une fillette de 7 ans dont la seule vue de la couverture du dernier opus de la collection des « Bob & Marley » a déclenché l’envie d’inventer une nouvelle aventure de nos 2 héros aux noms en clin d’œil jouissif. Joignons-nous à elle pour célébrer la drôlerie de ces deux ours si attachants.
Thierry Dedieu, auteur-illustrateur au talent pléthorique (Voir nos chroniques de Les Bonhommes de Neige sont Eternels de Si j’étais ministre de la culture, ou de La tirade du nez ) est, ici encore, à la manœuvre. Il a découpé dans du bois les gabarits des deux ours, leur donnant ce côté mal dégrossi. Nous découvrons petit Bob, cet expansif ronchon comme un Joe Dalton ; en plus chou, toutefois. Marley, paternel et patient, complète ce duo contrasté et leur permet de traverser des aventures qui sont autant d’étapes, de passages nécessaires à l’enfance. La complicité entre Dedieu et son compère également auteur-illustrateur, Frédéric Marais, n’est sans doute pas étrangère à la réussite de ce duo.
Dans ce nouvel album Bob est confronté à une question angoissante et ô combien métaphysique : Et si le jour ne revenait plus ? Si le noir n’avait plus de fin ? Rien ne vaut l’expérimentation pour venir à bout d’une si importante question : Bob tentera de surveiller la nuit jusqu’au lever de jour pour vérifier qu’il advient.
Les tons, les couleurs ne sont pas classiquement aimables. Ils prolongent le côté bourru des personnages : les bruns et verts foncés dominent comme dans une forêt un brin hostile.
Le traitement humoristique du sujet fonctionne parfaitement. Mon cher public de 7 ans a beaucoup aimé la chute et ce que pouvait laisser voir et faire comprendre un simple regard d’ourson aux mouvements très limités mais très explicites ! Le langage corporel complète ainci les dialogues, introduisant la notion de non-dit. Les ours réagissent de façon silencieuse à ce que dit leur compère, aidant l’enfant à se définir comme différent de l’adulte par cette distance, ce quant-à-soi.
Le regard introduit un complément d’information. Marley, par exemple fait un clin d’œil au lecteur que Bob ne voit pas ou ne sait pas interpréter. Ou encore, le même Marley, la page suivante, est étonné que Bob l’ai pris au pied de la lettre et se poste, regard perdu vers l’horizon. Ici le regard donne un autre sens au texte, le contredit et cette distance vis-à-vis du texte provoque le rire.
Alors, n’hésitez plus ! Et partez immédiatement en balade avec ce nouveau duo de choc. Vous reviendrez de bonne humeur et peut-être un peu moins « bêtes ».
« Animalement » vôtre.
A.D.
Pauline Kalioujny – Voilà L’Eté (Seuil Jeunesse)
Oui, Pauline Kalioujny a bien raison ! Pour accompagner le superbe Voilà l’hiver, l’illustratrice nous propose son petit frère estival. La méthode est un peu la même, ce plaisir du toucher, de la matière, de la linogravure à saisir sous les doigts. L’art du découpage, d’utiliser ses mains pour ouvrir des portes en papier et découvrir les petits secrets du décor (lézard surpris à faire sa sieste…). Mais pour l’illustratrice, le livre animé n’est pas un gadget. Décidément, Pauline Kalioujny conçoit plus que jamais le livre comme générateur de sensations où le plaisir de la vue s’accorde à celui du toucher. Mais si son graphisme est reconnaissable en un clin d’œil, avec ses adorables petites bouilles et ses petites filles aux visages gourmands à l’allure de petits lutins, elle ne se contente pas de répéter le procédé, cherchant toujours à faire évoluer son art. On remarquera tout d’abord son magnifique travail sur les bleus, du très sombre au très clair, poussé jusqu’au vert, pour épouser la structure liquide maritime, la vaste étendue où flotte ce petit corps heureux avec ses cheveux épars. Quel magnifique bleu nuit aux effets pigmentés que celui d’une mer loin des stéréotypes de la clarté et de la transparence. D’une grande simplicité – quelques lignes à peine – le texte n’est cependant jamais niais. Il épouse autant la sensation enfantine qu’il ravive les souvenirs d’enfance , tel un passé de petite fille remontant à la surface. Les phrases incitent à ce bercement, à cette féérie, cet apaisement. « Laissons-nous flotter comme des petits bouchons ». Cette utilisation de l’impératif rappelle les appels à la liberté de Promenons-dans les bois. Le monde est beau, féerique, étrange, profitons de sa beauté et « partons à la découverte de ce monde étrange ». La brièveté du livre n’empêche pas le temps de s’y suspendre merveilleusement, inspirant notre propre désir de « lézarder au soleil ou dans la fraîcheur de l’ombre ». Autre grande nouveauté chez Pauline K., ces teintes ensoleillées, même si l’orange renvoie à nouveau à celui qui dominait dans « promenons-nous dans les bois ». Pauline Kalioujny ose une palette inattendue, allant même jusqu’au noir pour les flots. Voilà l’été célèbre un mariage de couleurs qu’on croyait antinomiques, comme combattant l’une avec l’autre, créant parfois un effet de fausse sérénité – jaune, bleu, vert, et blanc – la surexposition et la sous-exposition s’associent avec énergie qu’on pensait impossible. Les formes se détachent, dans des espaces blancs, où les cheveux ondulent tels des vagues, où les poissons ont l’air de voler autant que les oiseaux derrière la fenêtre, comme une réminiscence de Max Escher. Le plaisir instantané, aigu et éphémère, explose tout autant que le temps suspendu. Une petite fille qui mange des fraises, qui se baigne. Et puis la beauté de la voir dormir, avant qu’elle n’aille se replonger dans les vagues et côtoyer une merveilleuse sirène. La communion permanente avec la nature, avec la vie est intrinsèquement liée à l’appel de l’imaginaire. Le parfum qu’on respire ici a l’odeur de la joie simple et pure de l’enfance. Lorsque la petite fille semble se fondre à la respiration naturelle, au milieu de ce qui nage, vole, rampe, Voilà l’Eté se fait l’éloge d’une osmose magnifique avec le vivant.
O.R.
Marie Saarbach – Le Vent se Lève (Seuil Jeunesse)
Saisir ces instants où le soleil brille, où le vent se lève, où l’orage éclate avant que le calme ne reprenne ses droits, telle est la ligne de ce bel album de Marie Saarbach qui, en onze planches à la gouache et avec une économie de mots bienfaisante, fait danser les couleurs et les effets graphiques au gré d’un phénomène météorologique saisi dans toute sa simplicité. Le parti-pris du cadrage unique – un coin de maison, un arbre et un jardin – à l’intérieur duquel l’ambiance et le style graphique évoluent, revêt l’aspect ludique de la recherche de ce qui en quelques secondes a changé, stimule l’attention aux détails, nous invite à explorer du regard la scène en mouvement qui s’offre à nos yeux qui s’immergent et à nos doigts qui feuillettent. Le phénomène achevé, on sait que l’on n’a pas tout vu, alors on se repasse l’histoire à l’envers, puis à nouveau dans l’ordre initial, et ainsi à l’envi. N’est-ce pas là le cycle immuable de la nature ? Cette nature souveraine qui porte en elle l’éternel recommencement, comme les saisons qui se succèdent, comme le ciel aux multiples visages. Au milieu de ce décor, une petite fille blonde et son chien sont pris dans la tourmente. Composée de peu de détails – visage, mains et pieds sont plus tracés que dessinés – la petite fille est expressive dans ses gestes, qu’il s’agisse du jeu, du réconfort à son compagnon canin ou du repos. Ses postures adoptent le mouvement du ciel, et subtilement la métaphore de la tempête, autant chargée de grosses gouttes de pluie que d’émotions, se fait jour. La pratique du collage – ses contours au crayon à papier et certaines découpes mettent en évidence le procédé et font écho à l’expressivité des superpositions de papier de Munch – donnent une impression de candeur, et une vraie présence au personnage, au sein de ce décor très travaillé, ce fonds graphiquement riche, aux aplats jamais uniformes, mais striés, grattés parfois, dirait-on, peut-être tamponnés, à l’image de cette herbe verte dont les nuances sont figurées non pas par des brins dessinés mais par les effets du pinceau, ou du séchage. La palette de couleurs est à la fois simple et vaste dans ses déclinaisons, avec ces bleus et ces verts s’assombrissant progressivement, comme désaturés, le gris et le noir s’insinuant au plus fort de l’orage. On se laisse surprendre également par ce passage du figuratif à l’abstrait, le climax météo épousant la forme de rayures, de pois ou d’ondulations, la dispersion de la brume prenant alors l’allure de formes souples et segmentées évoquant les entrelacs colorés de Miró. Souplesse des formes et géométrie des lignes alternent ici parfaitement, ou se marient parfois dans certaines illustrations, créant des effets tantôt tranchés tantôt très doux. En regard de chaque illustration, et comme par contraste avec le style foisonnant des images, quelques mots descriptifs, réduisant le phénomène à sa plus simple expression, accompagnent l’histoire en douceur, d’étape en étape. Le mystère, quant à lui, s’invite sous la forme d’un fil non pas rouge, mais jaune. Zigzaguant au pied de l’arbre, puis tenu comme un cordon de cerf-volant, il perd tout réalisme pendant la tempête en formant des angles droits. Parfois à peine discernable, il s’en ira au loin sans que l’on ne sache jamais ce qu’il était. Ainsi disparaissent, réapparaissent, passent ou changent plusieurs motifs, dans Le Vent se lève. Derrière l’apparente simplicité de l’ensemble se déploie une superbe profondeur, tant graphique que sensorielle. Plonger dans un monde, le temps d’un orage ne faisant que passer, pour à la fin rayonner. Le vent s’est levé, l’album s’est refermé, mais pas tout à fait.
A.J.
Piotr Karski – La Mer ! (la Martinière Jeunesse)
Dessiner les rides d’un vieux loup de mer, voici une proposition qui donne d’emblée envie de plonger dans l’univers de Piotr Karski. Le dessinateur utilise les couleurs traditionnellement associés à l’univers maritime : bleu profond, rouge tirant sur l’orange, auxquels s’ajoutent blanc et noir. Ces couleurs sont ici violemment contrastées et nous explosent à la figure. Les volumes sont bien délimités dans des formes simples facilement saisissables mais le dessin lui-même est captivant, les personnages sont saugrenus, singuliers, les animaux et les décors précis. Le dessin saisit par sa force, sa joliesse, sa drôlerie. Le goût pour les boucles et les spirales de Piotr nous évoquent des bas-reliefs celtiques gravés dans le granit, cette pierre si friable à l’eau qu’il faut beaucoup de rondeur à ses dessins pour subsister.
La précision scientifique des thèmes abordés et de leurs traitements, textes et images mêlés, est une des grandes forces de ce cahier. Il n’est pas que jeu, il est description d’un univers. Bien sûr, on vous parle pirates et cartes au trésor et c’est par cet aspect qu’une partie de mon cher public de 10 ans s’est d’ailleurs saisi du cahier. Mais sont décrits également forces des vents, digestion du phoque, fosses marines et partie immergée de l’iceberg.
Les jeux ou activités proposés sont souvent des outils d’appréhension du réel : comme ces exercices qui vous entraînent à vous sentir pieuvre. Les jeux sont d’une grande variété : plateaux type jeu de l’oie, dessin à compléter mais aussi construction de méduse ou de sous-marin en plastique, ce dernier permettant d’expérimenter ce que cet engin doit à la plupart des poissons. Je ne rentrerais pas dans le détail, vous seriez perdus. Mais n’ayez pas peur, quand c’est l’auteur qui l’expliquent, c’est très simple.
Ce cahier se donne à prendre par tous les bouts avec une fébrilité enjouée. Pari gagné par l’auteur et illustrateur polonais qu’on sent amoureux inquiet de la conservation de cet univers à la porte de chez lui, depuis la mer baltique qui est sa voisine, et dont il nous recommande, par exemple, d’aller voir les épaves sous-marines.
Enfants, attentions ! Vos parents vont vous piquer ce cahier-jeu, le gribouiller pour se mettre en train avant de faire des trucs casse-pied et rechigner à vous le rendre. Défendez bien vos pages ; qu’il vous en reste !
A.D.
Hwang Misun – Mon amie Momo (Piquier Jeunesse)
Momo est ce qu’on appelle une grosse mémère. Le type de chatte dont on ne devine jamais ce qu’elle pense. Nos élans égocentriques nous incitent à déduire qu’elle est peut-être trop orgueilleuse pour laisser paraître qu’elle aime la compagnie des hommes. Hwang Misun a deux chats dont une Momo, justement, qui lui a sans doute servi de modèle et son joli livre témoigne d’une fine observation du comportement animal.
A travers le regard d’une petite fille, elle s’interroge très simplement sur la cohabitation de l’homme et de l’animal domestiqué et en particulier de l’ennui de ce dernier, laissé seul dans l’appartement toute la journée, passant sa vie à déambuler dans un espace clos. Notre petite héroïne à travers ses questions naïves pointe sans le savoir les vrais dilemmes, à savoir si notre propre amour pour les animaux ne les prive pas surtout de leur liberté. En plein élan anthropomorphique, la jeune narratrice aime tellement Momo qu’elle s’interroge sur l’amour qu’elle lui porte en retour. Le besoin d’amour est-il propre à l’humain ? L’air de rien, Mon amie Momo tape très juste, tout en s’adaptant à l’écoute des plus jeunes, sans leur donner une vision lénifiante du rapport humain/animal. Momo, en quelque sorte, nous venge des chatons mignons. Hwang Misun capte parfaitement les expressions insaisissables de ces chats impénétrables : font-ils la gueule où adorent-t-ils notre compagnie ? Ses mouvements, ses postures, son regard interrogatif, sa tête levée pour demander on ne sait quoi. Pas de trace de ronronnement chez Momo qui a toujours une mine boudeuse, se tient régulièrement à distance dans l’appartement – mais jamais très loin non plus – et qui revient malgré tout régulièrement se frotter aux humains pour jouer ou se faire câliner.
Après avoir étudié la gravure en plus de l’illustration, Hwang Misun collabore avec d’autres artistes à des projets de peintures murales. Elle est également éditrice de tissus. Sa connaissance de l’Art décoratif profite pleinement à « Mon Amie Momo », dans un sens du motif – poils compris – précision de la ligne, du relief, un talent certain pour faire ressortir les dimensions palpables des objets : une table, un tapis, les froissements d’une nappe. Les choses se détachent sur les aplats dans un contraste saisissant. Le livre utilise un mélange parfaitement réussi de dessin et de collages numériques. Ce qu’il y a de plus réussi est probablement tout cet aspect géométrique qui domine, vers une forme d’épure, cet aménagement dissymétrique de l’espace, avec de très beaux effets de perspectives et de profondeurs. Les couleurs laissent aussi la part belle au sombre faisant ainsi ressortir l’idée d’intérieurs dans lesquels ne passe quasiment pas la lumière du jour. On apprécie aussi son utilisation des couleurs complémentaires, en particulier de magnifique fonds bleus canard avec ce rouge captivant le regard. Belle utilisation du noir également lorsque le chat griffe malencontreusement la gamine : c’est la page qui est déchirée, et la petite fille apparaît, à travers trois grandes striures.
Un bémol, cependant : on regrette un certain déséquilibre entre le traitement de l’humain et celui du décor. Si le chat est très expressif – malgré un recours un peu systématique à un effet « gros yeux » très bd, l’approche du visage, que ce soit celui de la mère ou de la fille, paraît beaucoup plus classique et désuète.
Mon amie Momo se met régulièrement à hauteur de chat pour adopter sa perception, nous montrant ainsi des vues limitées aux chaussons, aux mains des humains, un peu comme lorsqu’un livre de peintures nous offre les détails d’un tableau. Parfois nous ne sommes pas loin de l’anamorphose. Comme les maîtres peuvent apparaître démesurément hauts aux chats ! Finalement, à moins d’être sur nos genoux, ce sont nos pieds qu’ils voient le plus souvent !
Autre idée intéressante, alors qu’habituellement dans l’illustration jeunesse le chat s’avère souvent asexué, là, il s’agit clairement d’elle, de Momo, la chatte lunatique. Une féline, avec son identité propre. Peu importe qu’elle soit taciturne, nous on l’aime déjà et il est difficile de ne pas tomber sous le charme du livre de Hwang Misun.
O.R.
Hervé Tullet – Un Livre / cahier jeux Points-Points (Bayard jeunesse)
Comme c’est régulièrement le cas désormais, ce second cahier d’activités de notre sélection est associé à un livre. Les maisons d’éditions surfent ainsi sur le succès d’un album, en créant ensuite un cahier d’activité associé. Si cette pratique permet de retrouver le plaisir d’un graphisme réussi et des personnages attachants, l’exercice ne renouvelle pas toujours la portée de l’univers du livre premier ou son intérêt pédagogique.
Jolie mise en abyme, le livre en question s’intitule Un livre. Ce succès international est ici réédité sous un format carré et cartonnée qui le rend plus accessible aux plus jeunes. L’ouvrage présente des points aux couleurs primaires – rouge, jaune, bleu – couleurs vives et claires ; puis sur chaque page, une consigne : secouer le livre, par exemple. – Les utilisateurs du livre découvrent à la page suivante, les conséquences de leur action sur l’organisation des points dans la page : déplacement, multiplication, grossissement. Hum, bien sûr, vous et moi savons que même sans remplir les consignes, le résultat sera le même, mais le jeu est saisissant. Ce livre fonctionne déjà comme un cahier d’exercices presque abstrait, montrant l’intérêt que peut porter un enfant à un livre qui ne lui raconte pas d’histoire, au sens propre comme au figuré. Il prend le jeune lecteur au sérieux et lui demande de faire de même, de croire en l’illusion d’une action car ce livre permet à l’enfant, ainsi, de se découvrir acteur de son environnement. Faire les choses « pour de faux » est souvent riche d’enseignement, cela prépare, entraîne à faire « pour de vrai ».
Sur le même principe d’un lecteur-acteur du livre qu’il est en train de lire, nous vous recommandons, également, l’album « Petit bruit dans la nuit » de Sabine De Greef
Moins original dans son rapport au lecteur, le cahier-jeu de Un livre reste d’une qualité rare : c’est une déclinaison tourbillonnante de cercles et boucles à réaliser, rappelant les exercices de maternelle de notre enfance dans un rapport à l’art non-figuratif, qui propose de chercher plutôt à composer qu’à reproduire.
A.D.
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