Anne Herbauts – « Quand Hadda reviendra-t-elle ? » (Les Albums Casterman)

Avec cette précieuse douceur qui la caractérise, Anne Herbauts aborde un sujet grave, celui de l’inconcevable disparition de l’être cher, du vide qu’il laisse et des poussières de mémoire qu’il dissémine.
La dédicace suggère la disparition d’une grand-mère à travers le regard d’un enfant mais in fine la délicatesse des mots s’étend à tous nos disparus, à l’immensité de la perte, ce paysage en jachère, et la difficulté à l’affronter.  Car si l’enfant se demande « quand reviendra-t-elle » et l’adulte « comment lui répondre », la portée des questionnements est plus universelle encore : c’est bien de notre propre angoisse autour de la question du « comment ferons-nous ? » avec ces lendemains sans eux, qu’il s’agit. Les phrases poétiques toutes simples d’Anne Herbauts touchent à l’essentiel avec de superbes dessins-haïkus pour les soutenir. Elle étudie à la fois le vide si grand des lieux lorsque son occupante n’y sera désormais plus, leur nudité et surtout les nombreuses traces de vie accumulées. Ce sont ses traces à elle, celles du quotidien : sardines encore posées sur une table témoignant de la disparition toute récente, comme si la mort l’avait surprise ; bouteille d’eau, fruits murs, cuisinière, tout comme cette corbeille en papier non vidée, ou cette liste de courses, ce calendrier 2019, immobilisant l’événement dans l’instantanéité, témoignages paradoxaux de la vie – et du passage brutal au silence, de l’énergie à l’immobile.

Mais ce sont aussi les petits objets laissés par celui qui aimait : les jouets du petit garçon, éparpillés un peu partout dans l’appartement, un petit camion perdu dans la cuisine au milieu des fruits, des revues sur le sol, des crayons de couleur, des cartes abandonnées comme preuves d’un jeu en cours, autant de détails de vie stoppée en plein élan. Pourtant cet inventaire significatif ne traduit pas juste l’interruption, mais aussi la permanence des lieux, des objets, des photos qui restent, permanence des souvenirs jamais éteints qui témoignent d’une survie de l’être aimé disparu dans cet ailleurs de l’âme, de la pensée des autres. Ça n’est pas pour rien que même morte, c’est Hadda qui raconte l’histoire, continuant à réconforter les vivants, les rassurant sur l’avenir, leur capacité à surmonter et à prendre leur envol.

Les magnifiques dessins Annie Herbauts épousent la plupart du temps le point de vue de l’enfant qui se balade – une perspective, à sa hauteur – notamment sur ces envahissants carrelages qui prennent parfois les trois quarts de la page, enchainements infinis de motifs qui ajoutent à l’étrangeté graphique de l’œuvre, composant ainsi de drôles de natures mortes, ce qui est plutôt inhabituel en illustration jeunesse. On ressent sous nos pieds la froideur de ces géométries abstraites mais les mots viennent réchauffer « Je suis là mon enfant, va, tu as ma confiance »

Pièce par pièce, Anne Herbauts continue sa visite sans que jamais n’apparaisse un seul humain, et pourtant l’humanité, le signe du vivant y est partout dans Quand Hadda reviendra-t-elle ? et tout l’amour qu’Hadda a légué laisse derrière elle pour l’éternité. (O.R.)

 

Anouck Boisrobert et Louis Rigaud – « Lou Là-Haut » (Hélium)

Depuis toujours Lou rêve de Loup. Tant et tellement qu’elle part à sa rencontre. Pour se donner toutes les chances de faire sa connaissance, elle étudie tout sur lui et tout autour de lui, en particulier son milieu naturel. La voilà qui part vers lui. A mesure qu’elle grimpe dans la montagne, qu’elle progresse dans son ascension et sur le chemin de sa rencontre, le livre déploie ses trésors.

Le texte, délicat et sensible, est ciselé comme de la prose poétique. Il est écrit à la première personne. Il est le récit d’une aventure intérieure et extérieure, pas à pas, comme extraite d’un journal, avec ses petits détails et ses secrets affleurant. Chaque mot est juste et fait frissonner.

La grande beauté concrète du livre est l’harmonie du texte avec le travail du découpage en volume. Les pop-up sont singuliers. Tout se déplie en une fois mais chaque double page est constituée de quatre épaisseurs de papier. Chacune est solidaire de toutes. Ce qui donne à chaque page ouverte une profondeur de champ inattendue. Une profondeur qui fait écho aux strates géologiques du terrain en même temps qu’aux strates du cœur de Lou, aux strates de sa pensée, de son amour, de son espoir.

Le résultat est qu’on se trouve devant une œuvre d’art. Ce duo de créateurs, que l’on connaît depuis une douzaine d’années chez Hélium, réalise aujourd’hui un objet d’une unité étourdissante. Quelle évolution depuis Popville ! Quelle subtilité esthétique encore acquise depuis Océano. Plus que jamais on constate que sans une imagerie talentueuse et inspirée, sans intention artistique pour compléter, accompagner un texte, un album illustré n’existe pas. Il est très habituel que le travail des illustrateurs soit relégué au second plan, après l’achat d’un livre. Journalistes, critiques, enseignants parlent très peu des images, trouvant plus abordable ou plus facile de ne « travailler » avec les enfants que la matière du texte. Manque de culture artistique, imperméabilité des adultes aux arts graphiques, paresse intellectuelle ou timidité ? Adultes, osez vous pencher sur un album illustré en considérant son texte AVEC ses images ! Avec un pop-pop, cet effort est plus immédiat et ludique, profitez-en.

Grâce à Lou Là-Haut, on connaît un émerveillement qui ne s’épuise pas, parce que son unité est inentamable. C’est un album qu’on a envie de garder près de soi, pour tirer profit de toutes les forces qu’il donne. (P.V.)

 

Richard Jones – « Tout petit ours » (Albin Michel Jeunesse)

C’est lundi, un petit garçon dit qu’il a trouvé un ours polaire dans son jardin. Un ours si petit qu’il tient dans sa main. Mais le lendemain, petit ours a un peu grandi. Le petit garçon le loge alors dans sa poche, où il lui dit qu’il sera en sécurité, et qu’il ne doit pas avoir peur. Ils font connaissance et s’amusent ensemble, et le tout petit ours continue de grandir. Une très jolie histoire qui fait écho à Mon lion blanc, publié chez Albin Michel en 2017. Même connivence enfant/ animal, même esthétique. Le lion aidait une petite fille à s’ouvrir au monde. Ici, un grand petit ours permet à un petit garçon de prendre soin d’un autre que lui. Un petit garçon qui tient un rôle d’adulte responsable. Une inversion des rôles pour que l’enfant comprenne mieux ce qu’un parent fait pour lui ? Pour qu’il se sache encore mieux écouté, mieux aimé ? Une très belle idée mise en images sobrement, avec des peintures aux formes géométriques et aux couleurs douces. Un album à trouver au pied d’un sapin de Noël, cela va de soi. (P.V.)

 

Dave Eggers et Woodrow White – « Soyons des Jaguars » (Ecole des Loisirs)

C’est avec plaisir qu’on découvre un album illustré à la démarche totalement picturale, avec un dessin libre et sans contour noir. On pense à Nadja, à son chien bleu. C’est un plaisir aux couleurs éclatantes qui nous dépayse des aplats colorés du moment, et des formes synthétiques réalisées au pochoirs. Ces « peintures » sont sans doute en partie réalisées sur tablette avec un bon logiciel. Peu importe, car ce n’est pas vraiment la technique qui compte, c’est plutôt le parti pris artistique. Un petit garçon voit sa grand-mère pour la deuxième fois. Elle est venue le garder. Il lui trouve un drôle d’air, avec ses longs cheveux très blancs. Il n’est pas très rassuré. Bientôt sa grand-mère l’invite à faire une grande balade. Une grande et longue balade pour les jaguars aux yeux d’or qu’ils vont être. Car oui, elle lui propose une métamorphose, un voyage dans l’imaginaire qui semblera prendre pied dans la réalité. Vaillamment, tous deux traversent des paysages sauvages à la beauté renversante. Intrépides heureux et philosophes, ils gravissent des montagnes et boivent de l’eau « au goût de clair de lune ». Le grand jaguar transmet sa connaissance de la vie au petit. Avec un texte d’une poésie réjouissante, dont nous pouvons profiter grâce à la traduction subtile de Rosalind Elland-Goldsmith, nous sommes transportés dans un univers aussi inattendu que les images de l’album. Chaque page tournée est une surprise et une joie. (P.V.)

  

Hélène Cao et Arnaud Merlin / Mathieu de Muizon – « La grande histoire de La Musique » (Bayard Jeunesse)

Bayard nous offre un album très intelligent et didactique qui fait la synthèse de l’histoire de la musique de ses origines à aujourd’hui.

Nous détaillons ci-dessous le contenu du premier chapitre du livre, pour donner un aperçu précis de sa richesse documentaire :

Partie 1 : Petite histoire de la musique
Page 8 – Au temps de la préhistoire
Page 9 – La Grèce antique
Page 10 – Au Moyen Age
Page 12 – A la Renaissance
Page 14 – L’Europe baroque
Page 16 – Vienne à la fin du 18è siècle
Page 18 – Le siècle du romantisme
Page 20 – De la Belle Epoque à la Seconde Guerre mondiale

Il est question plus loin de la variété musicale, et ça commence par le blues pour se terminer par le rap. Puis on passe en revue les instruments, on fait un détour par l’opéra. Ensuite on découvre le rôle de la musique dans nos sociétés.
Pour finir par un aperçu du vocabulaire musical, puis un lexique de noms propres et communs.
Cette encyclopédie illustrée est un outil de qualité pour entrer dans l’univers de la musique. Avec ses dessins de style BD mis en couleurs avec des aplats vifs, on entre dans cette lecture avec facilité. Et on mémorise ! A offrir absolument, aux enfants comme aux adultes. (P.V.)

 

Janik Coat et Bernard Duisit – « Bouh ! » (Hélium)

De ce petit album (15 x 18 cm) rempli de 7 pop-up, je n’ai pas su retirer les doigts. Entre Orso, le petit ourson bicolor qui joue à Halloween, et toutes ses intentions piquées d’onomatopées, j’avoue, j’ai eu un peu peur… C’est pour ça que j’ai bien aimé. Mon petit frisson de frayeur a roulé sur les pages comme une araignée en boule, « bouh ! » mais il a sauté du fantôme à l’ogre en frétillant ! C’est tout de même stupéfiant. J’ai tellement actionné les tirettes que mon index frôle la tendinite, et tellement tiré les languettes que j’ai bu trop de grenadine. Et maintenant je m’en vais fricasser pour mes copines chauve-souris, une tranche de potiron aux maracas avec une pointe d’ail. (P.V.)

 

 

 

Thierry Lenain et Manon Gauthier – « Elle sera toujours là » (Editions D’eux)

Les éditions D’Eux rééditent Elle sera toujours là, et c’est une bonne chose, car nous aimons beaucoup le travail et la poésie de Manon Gauthier. Quand on se plonge dans cet album, on se rappelle soudain les collages de Lino, des 400 Coups. On est reconnaissant à ces maisons d’édition québécoises pour leur grande sensibilité à l’art du collage qu’ils savent si bien publier.

Les collages de cet album sont d’une expressivité remarquable. Ils sont magnifiquement mis en valeur par une photographie des découpes qui laisse les bordures apparentes. Ce qui donne à chaque scène un relief très dynamique. Une présence tactile immédiate et sensuelle. Le style inimitable de Manon Gauthier fait du bien. Ses coups de crayon et ses coups de pinceau sont vigoureux, le geste de l’artiste y est toujours perceptible. On peut dire que la moindre trace de sa gestuelle est mise au service du texte. Ici, c’est particulièrement éloquent. Thierry Lenain a eu bien de la chance de croiser Manon Gauthier sur sa route. Avec son texte poignant, hommage vibrant et intemporel aux mamans, il nous touche en plein cœur. Un album devenu un classique, parce qu’il tutoie, avec son sujet et son traitement, l’universel comme aucun autre. (P.V.)

 

Anne Herbauts – « Matin Minet à l’intérieur » (Ecole des Loisirs)

Matin Minet et son ami Hadek, joli petit charançon qu’il héberge sous son toit, sont à l’intérieur de la maison, parce qu’il neige. La maison est perchée dans un arbre, elle est en bois mais douillette. Il neige, mais à l’intérieur il fait bon, car Matin Minet fait du feu dans la cheminée. Hadek, lui, lit. Il a une réserve importante de livres. Les jours passent et Matin Minet commence à s’ennuyer. Il faut dire qu’il n’a pas vraiment d’autres occupations que les tâches ménagères et l’attention portée à Hadek et au dehors.

C’est alors qu’arrive un petit retournement de situation. Un retournement inattendu qui changera sûrement la vie de Matin Minet.

Ce petit livre d’Anne Herbauts, qui fait suite au Point du jour, est réalisé avec la même poésie délicate que le précédent. Aquarelle, petits dessins expressifs, écriture attentive. Une série qui prend forme et à laquelle on s’attache. Hadek et Matin Minet sont devenus des amis. On prendrait volontiers de leurs nouvelles plusieurs fois par an. (P.V.)

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