En matière d’albums jeunesse les grandes forêts cachent parfois de bien jolis petits arbres, comme en témoigne cette petite maison d’édition bien plus confidentielle que L’Ecole des Loisirs ou Albin Michel, pour ne citer qu’elles. Basée en Alsace, Elitchka – « petit sapin » en bulgare – s’est en effet donnée pour mission de promouvoir les contes bulgares en France essentiellement à travers deux de leurs représentants parmi les plus connus là-bas Anguel Karaliitchev et Edvin Sugarev, deux auteurs au ton très différent qui dressent un éventail varié de ce que fut la culture populaire enfantine dans le pays.
Anguel Ivanov Karaliitchev (1908-1972) (Sont également parus Une larme de maman, La luciole et le hibou) reste probablement le plus populaire en Bulgarie. Comparé souvent à Andersen, il raconte en général des histoires à la beauté classique, celles qu’on écoute au coin du feu, des histoires douces avec des animaux, des petites filles perdues dans la neige, des mots caressants qui apaisent avant d’aller se coucher. C’est exactement le cas des 3 textes de Neige et Contes de Noël dont les héros en culotte courte vivent dans une modeste maison perdue au milieu de la nature, entourée de bois. Tous les ingrédients du conte à l’ancienne sont là, avec ces élans candides, la mamie attentionnée qui fait des gâteaux, un gentil vieux monsieur barbu qui sauve du froid, que l’on prend volontiers pour le père Noël. Féérique, certes, mais avec un certain don pour la double interprétation, celle qui permet toujours de garder un regard sur la réalité. Cette idée de la capacité du conte à inventer le sortilège pour émerveiller les enfants, tient presque de la mise en abîme. Lorsque l’histoire de cette galette trop chaude qui s’enfuit (« Vous vous souvenez du classique Père Castor « Roule Galette » ?) et discute avec les animaux pour échapper à leur gueule, sort de la bouche d’une grand-mère malicieuse, elle expose d’emblée la vérité du conte, celle qui invite à modifier la réalité pour lui insuffler la magie.
-Tu nous diras la vérité, n’est-ce-pas ?
– A propos de quoi ?
– De ce que tu nous as raconté hier soir, que la galette irait soi-disant faire le tour de son champ de blé ?
– C’est la vérité, mon enfant ! Mamie ne ment jamais !
Sans atteindre le symbolisme du Conte de Noël de Dickens, au-delà de la gentillesse du conte, l’arrière plan social saute aux yeux. Il s’agit bien de familles d’humbles, ou la maman est « ouvrière dans la fabrique de papier et doit travailler nuit et jour pour gagner de l’argent et acheter pour ses enfants des habits, du pain, du bois de chauffage ». Ici résonne justement toute la densité immémoriale d’un conte émergeant directement de la voix des plus pauvres, de sa capacité à servir de remède à la dureté du quotidien, à mettre un baume sur la misère, en affirmant qu’au-delà de la violence du destin, subsiste encore la beauté des choses et des rapports entre les êtres, tout autant l’amour d’une mère que la générosité émouvante d’un chien.
Les dessins d’Elisabeth K. Hamon fidèle collaboratrice des éditions, plongent dans la blancheur laiteuse et enveloppante, presque floutée, où la perception ne passerait qu’à travers les flocons. La vie y émerge du flou, des teintes effacées un peu à la manière du petit hérisson perdu dans le brouillard chez Youri Norstein. Animaux, humains, créatures fantasques s’y insèrent dans le décor, et parfois s’y dissimulent telles des petites graines souriantes et malicieuses, faisant leur cavalcade à l’intérieur du dessin.
Avec Edvin Sugarev, auteur très engagé, né en 1953, ayant un rôle politique politique important actuellement (également parus Une histoire de Dragons, Conte lent en Rouge), on entre de plein pied dans une littérature jeunesse satirique qui joue la carte de l’allégorie politique cinglante et à peine cryptée sur le sort réservé à l’artiste sous le communisme. Un chat, artiste peintre provoque le bonheur de tous en peignant en toute liberté de magnifiques œuvres sorties de son imaginaire, fresques et dessins de toutes les couleurs. Mais il attire les foudres d’un monarque tout puissant dont le royaume interdit de peindre ce qui ne représente pas le réel. Il est emprisonné et condamné à être pendu, mais une petite fille décide de le libérer, en commençant par libérer ses dessins à l’aide d’une baguette magique. Totalement basé sur la puissance du double sens de la fable, sous la forme d’un conte, Le Chat peintre n’est rien de moins qu’une ode à la liberté créatrice sous toutes ses formes et contre tous les pouvoirs totalitaires, ceux qui torturent les créateurs pour leur imposer un bâillon. Mais comme le mentionne l’une des pages du livre, il suffit de couper la deuxième tête d’un dragon sur un dessin, pour que le lendemain une troisième ait poussé. Les dessins en noir et blanc de Bearboz, élève de Gilles Bachelet, également reporter à Charlie Hebdo, illustrent en tout simplicité et classiquement le beau texte de Sugarev. Il rend également hommage à ses pairs en glissant par ci par là des allusions à Charb, Cavanna, Franquin, Trondheim et quelques autres. On est dans un dessin dans une mouvance très « magazine bd » très accessible, agréable, mais parfois un peu trop accrochée littéralement au texte. On est de tout cœur avec ce chat, combattant de tous les pouvoirs. L’écriture, la peinture, tout Art survivra aux despotes, à toutes « les grosses calebasses vides bien que couronnées » … et que vive le fantastique pour écraser toutes les dictatures, les éléphants à dix trompes, les baleines multibosses. L’Art, c’est l’anarchie du bonheur. L’œuvre se libère d’elle-même en un joyeux chaos ou les personnages dessinés aux pinceaux s’embrassent d’eux-mêmes sur les murs, et ou tous sortent dans la rue crier bien fort la victoire de l’imaginaire sur l’horreur du réel.
Les éditions Elitchka font aussi la part belle aux contes plus anonymes, ceux que l’on réécrit pour ne pas perdre la tradition orale perpétrée de génération en génération, de grand-mère en grand-mère bordant sa petite fille au seuil du sommeil. En lisant Maritchka et Marie, on s’aperçoit combien les contes font le tour du monde et s’influencent les uns et les autres, proposant une littérature du dialogue universel. Avec cette histoire de petite fille dont la mort prématurée de la mère ouvre sur une nouvelle vie avec une belle-mère qui privilégie sa fille et maltraite sa belle fille, on retrouve en effet bon nombre de détails d’autres histoires mythiques. Une jeune fille transformée en servante comme dans Cendrillon, des graines semées qui ne permettront pas de retrouver le chemin dans la forêt comme dans le Petit Poucet, ou encore l’apparition d’une mystérieuse vieille femme qui attire Maritchka dans sa maison comme dans Hansel et Gretel par exemple. Mais l’intérêt tient aussi aux dissimilitudes, aux variations. Ici la sorcière tient plus de la vieille magicienne bienfaitrice qui reconnaissant la beauté de la petite fille et sa générosité lui offre la réalisation de tous les souhaits. De plus dans ce conte, comme en témoigne le destin des deux demi-sœurs, les conditions sont changeantes et à mille lieues d’une vision manichéenne qui prédestineraient les êtres aux mal, chacune peut devenir autre, rattraper ses erreurs – sauf la mythique marâtre – la richesse n’étant ici absolument pas le but à atteindre. C’est donc un très beau conte poétique, très doux que celui de Marie et Maritchka, avec sa rivière ensorcelée et sa Baba sans Yaga, que servent parfaitement les dessins naïfs d’Elisabeth K. Hamon avec ses filles aux gros yeux gentils et aux lèvres charnues dessinées à la craie. Son dessin joliment suranné qu’on croirait parfois sorti des livres des années 60-70 participe à cette sensation de retour aux vieux livres perdus de notre enfance.
On espère que les éditions Elitchka continueront à exhumer ces vieilles histoires et nous inviter à d’autres voyages dans le temps et l’espace.
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DIMITROVA Elitza
magnifique !