Avec
« Entre ciel et terre » et
« La tristesse des anges » respectivement parus en 2010 et 2011, « Le cœur de l’homme » complète une saga islandaise qui raconte l’apprentissage de la vie par celui qui est nommé « le gamin » et dont on ne connaît pas le nom. Pour qui a lu les deux précédents volets, celui-ci est une étape incontournable dans la narration, mais pourra difficilement constituer une lecture isolée tant les allusions au passé sont nombreuses.
Après avoir quitté les pêcheurs, le gamin avait échoué dans cette maison atypique, tenue par deux femmes et un aveugle, où devait se dérouler son instruction. Celle-ci a été interrompue par un voyage dans la neige en compagnie du postier et il s’en est fallu de peu pour qu’ils y laissent leur vie. De retour à la maison, le gamin peut-il reprendre les choses telles qu’il les avait laissées ? C’est sans compter l’apprentissage des rencontres faites sous la neige, des rapports humains, de la mort à nouveau, et une personnalité qui se dessine peu à peu… Ni simple retour ni véritable nouveau départ, cette étape est sans doute la plus importante des trois, car elle est la plus existentielle : quelle est la voie du bonheur ? « Un antique traité de médecine arabe affirme que le cœur de l’homme se divise en deux parties, la première se nomme bonheur, et la seconde, désespoir. En laquelle nous faut-il croire ? »
Beaucoup plus long, introspectif et statique que les deux précédents romans, celui-ci se déroule sur la terre ferme et autour du village. Dans une assemblée de (trop) nombreux personnages, le gamin incarne la figure du libre-arbitre et agit comme un révélateur au contact de ses voisins. La nature humaine est au centre du récit, source de dilemmes, de choix délibérés et d’instinct. On y retrouve l’écriture savoureuse de Stefánsson, toujours simple et délicate dans l’approche des hommes, ici moins binaire qu’auparavant, puisque son anti-héros a grandi. Mais dans cette communauté presque hostile qui vit à la dure, il y a peu de place pour la poésie et les nuances. Le gamin, déjà mordu de lecture depuis longtemps, dérange ou inspire : « L’art possède le dangereux pouvoir d’engendrer le rêve d’une vie meilleure, plus juste et plus belle, le pouvoir de réveiller la conscience et de menacer le quotidien. »
Dans le cadre de cette suite initiatique, c’est d’amour dont parle surtout l’auteur, sous toutes ses formes, de l’amour de son prochain à l’amour charnel, de celui qu’on tente de raisonner à celui qui perce sous la neige en dépit de tout, celui qui pardonne, celui qui transporte, qui inspire… « L’enfer n’existe pas, seule existe la solitude, toute chose se flétrit autour d’elle, les herbes de la vie se fanent et nous frémissons rien qu’à cette idée. » On retiendra la tendresse qui unit le foyer adoptif du gamin, la fraicheur de son étonnement lorsqu’il prend conscience d’y avoir sa place, tout comme la beauté mélancolique de ses échanges épistolaires avec cette femme rousse qui le hante : « je pense aussi parfois à la pluie en Chine ».
Décidément à part, l’écriture de Jón Kalman Stefánsson traduit un regard attentif et sensible sur le monde. Si son art est à l’honneur parmi ces paysages islandais, l’âpreté de cette vie rythmée par la pêche, sa portée est universelle dans son talent à mettre de la poésie entre la vie et la mort. On ne saurait que recommander la lecture de ses trois romans, prioritairement des deux premiers ou uniquement de
« La tristesse des anges » s’il fallait n’en choisir qu’un.
« Une caresse, un frôlement peuvent en dire plus que tous les mots du monde, c’est vrai, mais la caresse s’estompe au fil des ans et alors nous avons à nouveau besoin des mots, ils sont nos armes contre le temps, la mort, l’oubli, le malheur. Lorsque l’homme a prononcé son premier mot, il est devenu ce fil qui tremble éternellement entre malveillance et bienveillance, entre ciel et terre, entre paradis et enfer. »
Traduit de l’islandais par Eric Boury.
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