Jonathan Franzen aura mis neuf ans à écrire Freedom. Entre la publication de son roman publié en 2001 « Les Corrections », et « Freedom » paru en France à la fin de l’été 2011. Neuf ans au cours desquels nombres d’événements ont entamé l’image grandiloquente de l’Amérique et vraisemblablement ôté à l’auteur son ironie. « Les Corrections » s’amusaient encore d’une structure familiale pour apporter un regard un tant soit peu humoristique au travers de la société américaine. Freedom balaie sans complaisance le cadre familial pour s’attacher aux individualités issues d’une société sur le déclin.
A travers un réalisme poussé parfois à l’extrême, Franzen retrace la vie d’un couple, Walter et Patty, et leurs enfants, Joey et Jessica. Avec un magnifique chapitre inaugural marquant la fin de l’apogée des Berglund tant au niveau des relations de voisinage qu’au sein même du couple (« Je ne crois pas qu’ils aient encore compris comment vivre » dira une voisine suite à leur départ), il nous invite à retracer le parcours de ces individus pétris dans le moule bon teint du progressisme américain.
Chaque partie du livre prend précisément appui sur le point de vue d’un des personnages. Patty rencontrera Walter, homme affable et transi d’amour pour cette dernière, à la faculté en même temps que son meilleur ami rockeur et désirable à souhait, Richard. Elle fondera une famille avec le premier tout en enfouissant dans ses tréfonds le désir inavouable pour le second. Freedom parle de la difficulté de vivre dans une société où le désir supplante la raison, où l’âge adulte ne s’affranchit pas toujours des comportements adolescents. La plénitude de Patty restera temporaire : le temps d’élever ses enfants, avant que ces vieux démons ne réapparaissent et que l’ombre de Richard devienne un poids inexpiable.
Le récit des personnages s’organise autour de l’année 2004, ponctué par l’élection de Bush à la présidentielle et la guerre en Irak. De la débâcle idéologique des démocrates américains face à « hégémonie culturelle » des conservateurs, l’auteur nous plonge dans les doutes de ces hommes se voulant de gauche mais ne sachant plus par quel moyen faire ce qu’ils considèrent le bien. Walter se fourvoiera dans ses contradictions en s’associant avec une industrie du charbon afin de mettre en œuvre une fondation environnementale destinée à la préservation des oiseaux. Symptomatique de ses dissensions, il restera balloté entre sa conviction d’arrêter la procréation et son désir d’enfant avec sa séduisante secrétaire. L’impossible équation entre ses opinions politiques et ses envies illustrent les tourments dans lequel le plonge la liberté de faire et d’agir.
Les enfants qui s’inscrivaient lors du précédent roman dans la lignée familiale cherchent à s’extirper par tous les moyens de l’influence de leurs parents. Joey converti à la doxa républicaine partira habiter chez sa voisine dont les parents représentent l’idéal type de l’électeur conservateur. Il cherchera ensuite à se lancer dans les affaires via une société américaine faisant du business entre l’Irak et le Paraguay. Une jeunesse, émancipée des parents mais cherchant ailleurs une autre famille d’accueil tant sur le plan affectif que politique, qui veut montrer ses forces à travers son indépendance tout en ne pouvant absoudre ses faiblesses.
A travers ces personnages, c’est l’affaire d’un pays qui doute de lui-même, de ses valeurs, de son modèle, partagé sur ses acquis et ses aspirations. Un pays fracturé entre les classes, les races…où l’émergence des Tea-Parties est à lui seul le signe d’une radicalisation inédite de ces citoyens. La liberté ne suffit plus à faire le bonheur, Franzen l’a compris et nous livre un roman de qualité sur notre époque.

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