Avec ses treize enfants, c’est plutôt à la tête du Ministère des Affaires Familiales que l’on aurait imaginé Rakesh Ahuja, qui prend cependant très à cœur ses responsabilités de Ministre de l’Aménagement urbain. Tendrement mégalomane, il commande le chantier des « autoponts » censés révolutionner le trafic routier à Delhi, mais s’occupe surtout à ménager sa position auprès du SPM (Super Premier Ministre). Démissionnaire chronique et par là auteur de dramatiques missives, ce stratège n’a pas son pareil pour avancer ses pions sur l’échiquier gouvernemental et familial. Mais face à Arjun, son fils aîné adolescent, la conduite à tenir est plus incertaine lorsque Rakesh décide de lui révéler de lourds secrets…Indien de vingt-six ans émigré aux Etats-Unis, Karan Mahajan signe ici son premier roman, haut en couleurs. Le thème des blessures familiales est abordé avec une délicatesse touchante, croisant le ton enlevé d’une critique politique burlesque que l’on accueille dans de grands éclats de rire. C’est assurément l’humour qui porte le style du jeune écrivain affectionnant la rencontre des extrêmes : l’abracadabrant frôle la sincérité, la laideur appelle le désir, et le rêve se fraye un chemin dans la pagaille.

Les portraits du père et du fils sont particulièrement réussis, notamment dans l’idéalisme héréditaire qu’ils partagent sans le savoir, tout comme leur (non-)aptitude à diriger. Car le pouvoir n’est ici qu’un jeu destiné pour l’un à se détourner des jupons de sa femme Sangita, pour l’autre à conquérir la belle Aarti. Naviguant entre la fable et la saga, Karan Mahajan décrit leur naïveté commune d’un œil malicieux mais profondément respectueux de ce qu’il semble considérer comme une composante de la richesse pure de l’âme. Les Ahuja père et fils font ici figures de chevaliers au cœur noble dans une réalité un peu trop étroite à leur goût, ce qui ne les empêche pas, tout en brodant, d’assumer leurs responsabilités.

A l’opposé et en toile de fond, une Delhi natale pour l’écrivain et patrie de son héros, émigré repenti et revenu du rêve américain par la force du drame. Démographie galopante, densité, perte de contrôle, corruption et manipulation y composent le paysage, peuplé d’individualistes qui savent pourtant se rassembler lorsqu’il s’agit de manifester contre la mort subite et fictive d’un personnage de sitcom. Mais la plume que l’on sent possiblement acérée voire emplie d’un certain ressentiment reste ludique dans la critique et préfère se concentrer sur le sort de la maisonnée Ahuja, à une échelle bien plus importante : celles des valeurs.

Aux Editions Philippe Picquier.

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