Ichiko est infirmière à domicile. Elle s’occupe, avec sérieux et de manière extrêmement attentionnée, d’une vieille femme malade. La famille de celle-ci  la considère quasiment comme l’une de ses membres. Tout paraît normal, positif dans la vie professionnelle et sentimentale d’Ichiko, mais un événement dramatique va faire inexorablement descendre cette femme aux enfers, faire basculer son existence du côté sombre,

Soupçonnée d’un méfait qu’elle n’a pourtant, de toute évidence, pas commis, Ichiko perd brutalement tout : son emploi, son appartement, le fiancé avec qui elle s’apprête à se marier. Une part de sa raison, aussi, car elle n’arrive pas à se faire entendre – elle donne parfois l’impression de hurler sa douleur sans qu’aucun son ne puisse sortir de sa bouche ! -, se sent prise dans un implacable piège.

Le nouvel opus de Kōji Fukada, qui tient du thriller et du film fantastique, se déroule en deux temporalités dont les représentations alternent : le drame amenant l’infirmière à une situation de paria, d’une part, et, d’autre part, ses tentatives, à partir de cette situation, pour reprendre pied, en même temps que la préparation et réalisation d’une vengeance contre la personne qui à grandement contribué – par amour, c’est cela qui est paradoxal – à lui enfoncer la tête sous l’eau.

Deux temporalités, donc, mais aussi deux niveaux de réalité : celui du monde dans lequel vit effectivement Ichiko et celui de sa subjectivité – rêves, cauchemars, désirs, hantises… Le travail de structuration narrative effectué par Kōji Fukada lui permet de brouiller les frontières, de faire perdre au spectateur ses repères.

Est appréciable, dans ce film, la prestation de l’actrice principale, Mariko Tsutsui – déjà impressionnante dans Harmonium (2016). Tsutsui réussit a faire passer son désarroi, son épuisement, sa déraison, mais aussi son pouvoir de séduction, à travers les mouvements de son corps, grâce à une gamme variée d’expressions du visage. Mais il est regrettable que les scènes fantastico-mentales manquent d’originalité, soient dénuées de force visuelle – par exemple la scène de l’enfoncement dans les eaux d’un lac d’une Ichiko transformée en femme-aux-cheveux-verts (une référence à Joseph Losey ?)…

On retiendra la charge contre les médias qui harcèlent tout individu suspecté par la police, la dénonciation d’une société – la société japonaise, en l’occurrence – qui considère comme coupables les victimes de délits, d’abus, voire même tout citoyen, et fait en sorte que ceux-ci se sentent d’eux-mêmes fondamentalement condamnables. De ce point de vue, le comportement d’Ichiko est étonnant. En racontant des événements d’ordre sexuel la concernant, en étant incapable de mentir – ne serait-ce que pour se défendre, se protéger -, elle donne des verges afin de se faire battre.

L’Infirmière n’est pas un grand film, et c’est loin d’être le meilleur Fukada – nous avons bien davantage apprécié le fort poétique Au revoir l’été (2013) -, mais son intérêt vient de sa relative insaisissabilité, au-delà des clichés que l’on peut y déceler. En ce sens, les tentatives faites dans le cadre de sa promotion pour attirer le spectateur nous semblent peu convaincantes, voire discutables : les remarques que l’on peut lire dans le dossier de presse, que l’on peut entendre de la bouche même du réalisateur, concernant les conditions d’existences très difficiles des infirmières au Japon, notamment en temps de Covid, dont la représentation constituerait le sujet ou l’un des sujets de L’Infirmière ; et également la formule se voulant légèrement choc placée sur l’affiche français, qui voudrait donner à l’héroïne la dimension d’une femme peut-être autant manipulatrice que victime. Certes, le film dont le titre original signifie « Profil » veut montrer qu’Ichiko en a probablement plusieurs. Mais la manipulation, dans son sens négatif, vient d’ailleurs, à notre avis…

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