Dernière ligne droite vers Noël, les mains chargées de présents et de cartes cadeaux de sites à la virgule souriante et aux impôts inexistants, et vous voilà comme nous : penauds, excités, et ne sachant trop que choisir.
Ne cherchez plus, notre série hivernale continue ici, pour vous accompagner dans ses affres et joies.
Lucie Brunellière – « Mon tour du monde imaginaire » (Albin Michel Jeunesse)
Nous vous entendons d’ici : ENCORE un tour du monde.
Certes. Mais dans ce grand ouvrage aux traits retro, la belle idée de Lucie Brunellière, c’est d’avoir organisé le monde que s’imagine et se raconte une petite fille d’une cabane toute nordique (la faute sans doute, au goût retro et Hygge), non en espaces réels et définis, mais en topographie : la mégalopole, la montagne, l’océan, le littoral, les tropiques, la savane, le désert, etc.
Et si, au-delà de la beauté des pages, des chocs entre paysages surpeuplés de détails et grands espaces vides, on craint un peu que l’ouvrage ne se vautre dans les clichés attendus par Epinal et consorts (le citadin pressé, l’Africain dans sa brousse etc.), on remarque bien vite que quelque chose ne colle pas dans ces paysages : des chameaux y croisent des cowboys, des cités africaines longent des caravanes en métal, une datcha cause à un chalet en rondins…
Et les dernières pages de l’ouvrage, sorte de carnet de bord, éclairent le fond de ce beau projet : « les maisons que j’ai visitées », « les gens que j’ai rencontrés », « les animaux que j’ai approchés », « les véhicules que j’ai croisés », etc.
Dans les rêveries de la jeune fille, le monde n’est que variété et fil d’Ariane : et ce terrain de jeu, poétique, n’est autre qu’un grand paysage qu’il s’agit d’unifier.
Comment habiter sa case créole, sa caravane, sa chaumière, sa minka, sa tente. Comment croiser un yeti, un vulcanologue, un peintre, un cultivateur de riz, observer un fou de Bassan, comment toucher un sapin, observer l’Arbre des Morts, naviguer en chalutier, zigazguer en tuktuk, déraper en motoneige : comment habiter la terre, tous ensemble, tous humains. Tous unis. (JNS)
Marie-France Painset et Judith Gueyfier – « Un très beau jour » (Editions Didier Jeunesse)
Pas facile, sans verser dans la naïveté, de parler des premiers jours de bébé, ou des derniers de l’attente. Certains y parviennent admirablement, comme Julie Bonnie dont nous avions célébré la douceur de ses « Chansons d’amour pour mon bébé ».
C’est le cas aussi de ce court poème parsemé d’allitérations et de scansions, de Marie-France Painset, que l’on voudrait, lui aussi, chanter, comme une douce ritournelle qui dit aussi bien l’intime que l’infinité des paysages et des sensations.
A ces mots doux comme du miel, que rythment le duo « Viens Petit viens / le monde est beau », Judith Gueyfier ajoutent des dessins à l’hyperréalisme qu’on croirait dans un premier temps suranné ou un peu raté dans leur premier degré, mais qui petit à petit, par un simple jeu de décalage (aux strophes des moments de maternité et paternité, à la ritournelle de simples mais magnifiques paysages ou animaux) parviennent à redoubler la poésie et la tendresse du texte, comme autant de snapshots volontairement apaisés de ces instants précieux.
Rien de franchement novateur ou étonnant, ici, mais une douceur bouleversante, comme une tendresse, dont on ressort rasséréné. Et quand la répétition murmurée du « Viens petit viens » atteint la prière, donnant l’impression d’assister à toute la ouate de l’amour infini d’une naissance, on ne peut que l’admettre : décidément, le monde est beau. (JNS)
Et aussi.
Gerard Lo Monaco – « Voyage en train » (Albin Michel Jeunesse – Trapèze)
Il y a des objets-livres qui se suffisent à eux-mêmes et qui disent toute la beauté de chaque art. Ainsi en est-il du beau travail de Gérard Lo Monaco, génie du pop-up, et qui perpétue ici sa série entamée avec « Voyage en Mer », contant en un grand leporello, 4 scènes majeures de l’évolution du rail (le verso permettant d’acquérir les informations nécessaires) : de la précurseur « Rocket » de 1829 (20 km/h en moyenne) au TGV en passant par le célèbre Flying Scottman ou le métro de New-York,
Si l’objet joue moins sur les volumes que les impressionnants paquebots du précédent, on retrouve ici toute la finesse et la patte de celui qui a été formé aux côtés de Jérome Savary et qui, arrivant de Buenos Aires, fit ses armes en tant que créateur de décors de théâtre.
Car si on regrette un instant que le livre ne soit « que » cela (4 scènes, aucun message caché), on est saisit par le fait que les trains n’occupent jamais le centre de l’image, cachés bien souvent à l’arrière-plan, éléments d’un décor plus vaste, organisé en couches enchevêtrées et successives de 3, 4 ou 5 profondeurs parfois.
Car dans le fond, dans ce beau voyage, ce n’est pas tant le moyen qui compte, que le paysage : celui des époques, d’un monde qui accélère ses liens, d’un temps qui se réduit et parfois fuit, dans la douce nostalgie qui infuse les teintes douces et froides de ce diorama intemporel.
Les calèches disparaissent peu à peu, la fumée laisse place à la fée électrique, et les pavés n’accueillent plus les malles lourdes ou les haut-de-forme, mais des casquettes et des Samsonite, et les enfants qui courent pour attraper leur train de vacances sont sans doute les trains des bambins qui rejoignent le quai, dans une ligne continue qui prend toute sa poésie en se déployant tout au long de la table (attention aux doigts des petits l’ouvrage est aussi sublime que forcément fragile)
A défaut de pouvoir voyager, ouvrons avec douceur une fenêtre sur notre passé. (JNS)
Ramona Badescu et Benjamin Chaud – « Pomelo imagine » (Albin Michel Jeunesse)
Pomelo est de retour : et aujourd’hui, il rêve. Il imagine ce que c’est qu’être un autre, ce que c’est qu’hier, qu’être papa, que dans « imagine » il y a « image », il pense à Babar, aux Maximonstres, à des cailloux qui parlent, à des extraterrestres. Parfois même, en douceur, le spectre de sa disparition arrive, celui de la solitude, des cauchemars, la pollution. Mais bien vite reviennent les gâteaux fous, les fleurs, la téléportation, des fruits fantastiques, être une fille, des trésors cachés.
C’est un ouvrage fantasque et exalté que nous proposent Ramona Badescu et Benjamin Chaud, avec un Pomelo qui continue ses aventures questionnantes et truculentes.
Et si on est toujours charmé par les dessins et l’univers, si on se questionne parfois, un peu ébouriffé ou perdu dans ce grand maelstrom sans queue ni tête (qu’on conseillerait presque de ne lire que par portions d’une ou deux pages à la fois, tant il est roboratif et sans structure, donc désarçonnant), on savoure tout de même la douce folie des auteurs, qui tissent, dans cet hommage discret aux héros de l’enfance (Babar, Elmer, Pinocchio, Le petit prince, Gros-lapin) un éloge poétique et loufoque à la fiction et à la liberté ultime. Celle de rêver, d’imaginer, de nourrir sa vie de rebonds, d’interrogations, de virages : un homme qui rêve ne peut pas être enfermé. (JNS)
Katy Wiedemann et Dr. Jennifer Z Paxton – « Anatomicum » (Casterman)
Dans une période aussi propice à l’oubli de soi (dans le confinement comme dans le virtuel), et à ce moment-clef où le mot virus reprend toute sa puissance, il est grand temps de prendre soin de la machinerie qui nous porte tous en ce bas monde, avant de redevenir poussière parmi les poussières.
C’est ce que propose, en sourdine, le très beau « Anatomicum », grand voyage décomposant en multiples planches d’une précision à la fois incroyable et surannée (hommage, sans doute, aux premiers auteurs de planches anatomiques) notre grand navire.
Oeil, foie, tissus, cœur, vaisseaux, nerfs, système urinaire ou reproducteur, os, ligaments, dents, c’est le grand musée de l’humain, célébrant à la fois la beauté et la fascinante complexité de ce qui nous semble acquis, et dont le travail de dissection a pourtant servi de base à une évolution séculaire de la médecine, la sortant de l’obscurantisme des humeurs pour la plonger dans une approche systémique et une mécanicité à laquelle une des planches rend hommage – en montrant en parallèle articulation et engrenages de machines.
Si on est immédiatement saisi de vertige face à l’incroyable densité des dessins, et qu’on plonge avec une délectation totale et vaguement écœurée dans ces rapports d’échelle parfois impressionnants et la complexité ahurissante de certains réseaux, (l’intérieur d’un foie, ou le travail quasi géographique des nerfs du corps), on se questionne toutefois, à la lecture des textes, sur le public destiné à la publication.
C’est que n’hésitant pas à reproduire sa rigueur dans les pages accompagnant chaque planche, chaque notice, malgré un tutoiement de rigueur, se perd bien souvent dans des terminologies aussi obtuses pour un jeune lecteur que « liquide synovial » ou « neurone somatique ».
C’est à la fois la beauté et la limite d’un tel ouvrage : si on se délecte avec humilité de la connaissance infinie qu’il recèle, son exercice hyperréalisme ennuie un peu, en retirant à chaque élément sa fonction (utilitaire).
Le livre finit par ouvrir totalement le flanc à une approche purement mécaniste ou esthétique, à un moment où, si on imagine l’ouvrage destiné à des adolescents, on aimerait en percer les secrets de fonctionnement. Il aurait fallu alors, qui sait, quelques schémas sur les pages de gauche, quelques décompositions d’usage, qui apporteraient du ludique face à l’inertie éblouissante de la page de droite.
Restera la beauté esthétique du geste, la précision et la variété fascinante de son inventaire, que l’on se plaira à feuilleter comme une encyclopédie, pour, à défaut de la saisir ou la comprendre, se rappeler l’orfèvrerie qui nous permet d’être en vie. (JNS)
Sandra Laboucarie et Charline Picard – « Les merveilles de la nature » (Tourbillon, éd. Bayard)
On a beau faire, les livres pop-up recèlent presque intrinsèquement une fascination. Parfois dans des propositions complètement folles et poétiques (les exemples sont nombreux, et ils le seront dans notre série hivernale), parfois même dans le plus classique.
C’est le cas avec « Les merveilles de la nature », qui nous offre un minuscule tour du monde, à un moment où notre horizon se restreint : du grand canyon à la forêt amazonienne, de la Chine à la barrière de corail, c’est autant de diorama et de variétés de paysages qui fascineront les enfants par leur profondeur.
Certes, on a déjà vu ça mille fois, mais l’émerveillement reste intact, d’autant que l’éditeur ajoute fort à propos un petit système d’élastique qui permet d’utiliser chaque scène comme un éphéméride à disposer sur le bureau ou meuble de la chambre, renouvelant pour l’enfant la possibilité de se plonger dans la rêverie miniature.
Seul petit regret, habituel : une impression en Chine, et donc un livre qui se retrouve à faire le tour du monde, contribuant à son extinction alors qu’il veut en célébrer les merveilles. (JNS)
Claire et Hugo Zaorski – Alice et Alex (Editions Sarbacane)
Ce n’est pas grand-chose, et c’est pourtant tout : chez le tailleur où chacun de ces fashionista venait se faire un nouveau vêtement, Alice croise Alex. « Un coup de froid ? Non, un coup de cœur. »
« Revenez la semaine prochaine », dit le tailleur : ainsi commence le décompte des jours, la puissance de l’attente, les pulsions de l’absence, les moments de doutes qui séparent l’amoureux de l’être aimé (et qu’il espère aimant en retour).
Et la belle idée de Claire et Hugo Zaorski, dans cet album flamboyant, c’est de lier les amants par les pages : à gauche, celle d’Alice, à droite, celle d’Alex. Et au centre ? Le cœur battant de leurs angoisses, leurs envies, leurs désirs.
Chaque univers se répond donc, par un jeu de mimétisme amusé, de rebond, de sentiments similaires mais qui ne peuvent se dire, touchants parce que claudiquant l’un et l’autre.
Dans cette comédie romantique de gens bien beaux et où l’amour n’est jamais aussi puissant que lorsqu’il est incertain, on savoure surtout avec les yeux : paysages luxuriants, quelque part entre la jungle moderne et la gravure de mode du début du siècle dernier, mélangeant flore, faune (les animaux y traversent sans problème au passage piéton), et élégance parfois vaniteuse de la mode.
On regrettera simplement une narration étrange, qui, en exprimant de manière aussi frontale l’hésitation amoureuse et l’angoisse des premiers rendez-vous, place cet album dans une position bancale : destinée par son format, son univers et son rythme aux plus jeunes (l’éditeur parle même de 5 ans), mais déroulant avec une simplicité directe et quasi adolescente des tourments qui ne viendront que bien plus tard.
Qu’importe tant Alice et Alex semble confirmer progressivement la patte des Zaorski, leur « touche ». Des amoureux évanescents et un peu trop propres, il restera ce monde, sublime et chamarré, à la traversée émerveillée et poétique, qui fera battre le cœur de chacun du souvenir du temps où l’amour était tout. (JNS)
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