Jacqueline Woodson, E.B. Lewis – « Un petit geste » ( Editions D’Eux)
Maya vient arrive dans une nouvelle classe en cours d’année. Maya ne porte pas des vêtements comme tout le monde, elle a même l’air pauvre. Pauvre et différente. Aïe. Ca ne plaît pas. Ni à la classe, ni à sa compagne de table, qui décide immédiatement de lui être hostile. Elle se met à l’ignorer. Elle se met à l’accabler de petites vexations, avec la complicité tacite de la classe. L’humiliation est l’ordre du jour.
Puis arrive une leçon, et enfin une prise de conscience. C’est là toute l’importance du texte de Jacqueline Woodson. Il n’est pas que le récit d’une mise à l’écart. Il est le récit d’une injustice délirante en voie de transformation. Jacqueline Woodson, lauréate du prix Astrid Lindgren et du prix Christian-Andersen, est douée d’une observation de sociologue. « Un petit geste » aborde la thématique de l’exclusion sociale (pourquoi l’éditeur parle-t-il d’intimidation ?) sujet traité par de nombreux auteurs et cinéastes, de Truffaut (L’argent de poche) à Dino Buzatti (Pauvre petit garçon) en passant par Jeanne Benameur (Les demeurées), entre mille autres. Avec Jacqueline Woodson, la chute du traitement ne se termine pas contre un mur. Elle ouvre une porte, celle de la réflexion amorcée à l’école, grâce aux enseignants. L’illustration aquarellée est au service du texte, ni plus ni moins, elle est sage et académique. Elle est juste la reproduction fidèle de photographies, celles qui ont servi de support. Un moyen de signifier la neutralité la plus discrète, la plus feutrée ? L’oeil glisse sur l’illustration sans s’accrocher. C’est un peu comme dans les films de Rohmer, où l’acteur est sommé de ne pas « jouer » sa partie, en restant atone. Il n’y a donc pas « dialogue » entre le texte et les images ; tout comme il n’y a pas de passerelle toute faite entre le singulier et le consensus ? Il faudra tout faire pour que ce beau fragment d’étude sociale arrive jusqu’aux enfants.
Philip C. Stead et Erin E.Stead – « Une musique pour Madame Lune » (Editions D’Eux)
Crayonnés sur des aplats de couleur légers, les dessins de l’album ont un peu la tonalité jaunie des ouvrages publiés autrefois par les éditions du Rouergue. Ils ne manquaient pas de charme, d’ailleurs Et ils donnaient à certains lecteurs d’intenses envies de dessiner. Le trait est à la fois dépouillé, soigné et enfantin.
Dès le début de l’histoire, on comprend qu’il est question de vie rêvée. Harriet, dite « Harri » est une musicienne timide et solitaire, et manifestement contrariée de l’être. Son violoncelle est dessiné tout transparent. Existe-t-il vraiment, ou est-il la symbolisation de sa timidité, « objet » attirant les regards sur elle dès qu’elle en joue ? On sait très vite que l’héroïne Harriet s’invente une vie plus douce, avec des personnages dont elle est l’interlocutrice active. A force d’inventer sa vie, Harri est devenue cette sorte de personnage dont on dit qu’ils sont sur la lune. D’ailleurs, elle y est si bien qu’elle se l’invente amie, cette Lune. Amie qu’elle décide de materner.
A travers le prisme des affabulations de Harriet, les accents les plus marqués de sa personnalité nous parviennent, démultipliés. Si on s’en donne la peine, on devine aussi ce qui n’est pas dit : qu’elle est perdue et fragile, isolée dans son monde. Sans en avoir conscience, elle met en situation ce qui la préoccupe le plus : jouer de son « instrument » devant un public. C’est à dire exister au milieu des autres. Avec une naïveté et une candeur un peu appuyée, Une musique pour Madame Lune explore la délicate thématique de la place à se construire dans le monde. Et de la fragilité psychique qui a besoin d’être secourue.
Paule Brière et Claude K. Dubois – « Arthur et Malika » (Editions D’Eux)
Un petit album qui commence un peu comme une chanson, celle chantée par Renaud et Axelle Red : « Manhattan – Kaboul ». Sauf que la chanson finit mal, mais pas l’album. Oui, le début, ça pourrait être ça, la description de deux mondes lointains, de deux vies singulièrement différentes. On passe de l’une à l’autre à chaque page. Et là, on peut dire que la distribution des mots est égalitaire, chacun étant raconté à son tour, sans que la lumière n’éclaire plus une vie que l’autre.
Arthur et Malika sont les chanceux de la chanson-livre, ou plutôt du livre- chanson. Comme s’ils s’étaient laissé portés par un bon vent. C’est peut-être parce qu’il y a cette attention délicate du partage des mots, qu’on devine la douceur au loin. On sent très vite que l’histoire prend une route consolatrice. Les dessins de Claude K. Dubois ont la délicatesse des mots de Paule Brière, de son motif narratif. Le trait mouillé d’aquarelle enveloppe l’album de douceur et de modestie. C’est qu’il faut savoir s’enchanter des petites choses, dans un monde où le bonheur de vivre est si fragile, si précaire. Oser chasser l’amertume juste avec du sucre. Un doux album à lire et relire quand le réel râpe trop le cœur.
Caroline Magerl – « Maya et Mine » (Editions D’Eux)
Maya donne à manger à une chatte perdue. Pour l’attirer jusqu’à elle, Maya sait trouver les arguments : une voix douce et des sardines à l’huile.
Maya est sans âge, elle est comme une princesse dans une chambre sous les toits. Elle semble vivre seule. Oui mais elle a un boa… en plume. Une jolie trouvaille organique qui joue à la virgule, au point d’exclamation aquarellé. Cette ponctuation graphique et colorée est un trésor. Un de ces trésors que peut s’offrir un auteur illustrateur, une autrice illustratrice, car dans la représentation de la symbolisation, on n’est jamais mieux servi que par soi-même.
Chaque image de cet album apporte un moelleux qui fond les mots dans la couleur, et crée des liens caressants. Mine ne s’y trompe pas, qui suit bientôt Maya poliment, puis affectueusement. Les deux créatures sont si bien ensemble qu’elles se réservent l’une et l’autre des surprises. La narration textuelle est aussi poétique qu’est drôle la narration graphique. Les cliques de chats débusquées chez l’habitant sont si pittoresques qu’on y revient et revient encore. La nature pétille, elle envoie dans l’espace mille apostrophes d’encre de Chine, juste pour le plaisir de les inviter dans le bleu du ciel, ou dans l’herbe verte. On rit, on soupire, on sourit. Mademoiselle Caroline Magerl est une artiste, c’est comme ça. Elle nous offre un délicieux album poétique qui pourrait bien inspirer Quentin Blake.
Corinne Boutry et Anne Villeneuve – « Pierre qui roule » (Editions D’Eux)
Peut-être que le titre fait référence à cette très ancienne expression « Pierre qui roule n’amasse pas mousse ». Qui veut dire que celui qui roule sa bosse en faisant mille choses n’amasse pas de biens. Au sens propre comme au figuré. Ici, la pierre roule en flouant ceux qui courent après elle : ils ne gagnent rien à la rattraper, assurément. Mais on se demande si celui qui a commencé à la faire rouler n’est pas le plus perdant de tous. Car non seulement il trompe ses amis, mais il dévoile un coeur indifférent à leurs efforts pour lui faire plaisir.
L’album se regarde comme un dessin animé. Les personnages sont croqués dans le mouvement, traits larges et effilés, coloriages numériques, séquences rythmées. On a l’impression de courir soi-même. Quand, un peu essoufflés, on s’aperçoit que les choses tournent mal, on retient sa respiration.
On rit, oui. Mais en même temps on se demande si un grand coeur peut ranimer un coeur de pierre. Là est la question, la vraie question. L’enfant nous rappelle chaque jour que l’intelligence du coeur a toujours raison. Alors gageons que ce vif album saura faire du bien « là où ça fait mal ».
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