Ca y est, les premiers flocons sont tombés, les premiers arrêts maladies et nez qui coulent aussi, le gel fige nos envies. On peut le dire : ca sent le sapin. Et qui dit sapin, dit Noël (on fait ce qu’on peut ici pour filer la métaphore bizarre). Et qui dit Noël dit cadeaux. Et qui dit cadeaux dit… livres !

Et comme ce dernier trimestre a été bien chargé, pourquoi ne pas accompagner ces quelques jours vers Noël avec une sélection « extended » de la crème de la crème, pour que chacun, petit, grand, très grand ou tout petit puisse trouver reliure à son pied, et que les parents débordés (on vous voit, on vous comprend) puissent trouver leur bonheur en cette dernière course. C’est parti ?

Épisode 1 🙂

Mélanie Baligand – Les trois petits cochons (La Martinière Jeunesse)

Commençons fort et faisons fi du résumé, vous le connaissez tous, et ne perdons pas de temps pour évoquer notre conclusion : c’est tout simplement l’un de nos coups de cœur de cette fin d’année, si ce n’est de l’année entière.

Un coup de cœur absolu, non pour l’histoire, classique des classiques, mais pour le dispositif plastique de l’ouvrage : paru dans la collection « Le petit théâtre d’ombres », le livre se déploie à chaque page avec en son centre une maison, clin d’œil logique au conte, d’ores et déjà magnifique surgissement 3D au sein du récit.

Mais il suffit, au moment de démarrer l’histoire, de glisser dans l’espace dédié à cet effet son téléphone portable en mode torche pour que la magie survienne : dans le toit et les murs de chaque maison s’illuminent de magnifiques scènes d’une découpe minuscule et élégante, que l’orientation du portable vient projeter au sein de la pièce plongée dans le noir (oui, il faut éteindre avant, faites un effort). Les enfants sont ravis, les parents, éblouis (et un peu vigilants, tout de même pour que le livre ne finisse pas en miettes).

Le conte traverse l’espace et il se joue une sorte de double mouvement extrêmement émouvant : à nos peurs et emportements enfantins répondent alors une sorte d’enfance du spectacle, où l’on se prend à renouer avec le monde pré-cinéma et sa poésie, exagérant le show, montrant du doigt telle ou telle miniature. Et, dans un niveau assez méta, le livre (lui-même une maison de papier et de fiction), sa maison érigée et la propre maison de l’enfant se nouent, en un simple rayon de lumière et de poussière d’étoiles. Magique. (JNS)

 

Sissi Briche – Marcus Capétipoute (Sarbacane)

Connaissez-vous les super-héros ? Ça oui, bien sûr, ils ont nourri vos rêves d’ados et gavent vos vies de popcorn et de SFX baveux dans le multiverse aujourd’hui.

Mais connaissez-vous les Merveilleux ? Ces êtres invisibles, toujours prêts à rendre service, mais refusant la violence comme unique pouvoir. Marcus Capétipoute est l’un d’eux : gosse noir des bas-fonds de Boston au lendemain d’une guerre qui lui a volé son père, il est toujours là, sa cape jaune sur le dos, un sourire sur son visage d’ange. C’était un temps où les papillons volaient à Boston, et ce jour-là, il croise la route de son héros de toujours : Ultra Joe, qui n’en peut plus. Basta la célébrité et la castagne. Marcus, dans un geste naïf, propose de le remplacer. Mais y parviendra-t-il sans super pouvoir et sans violence ?

C’est un album plein de charme, aux magnifiques illustrations au crayon que nous propose Sissi Briche, une belle relecture des super héros à hauteur de gosse, dont on ne peut, sans trop tout dévoiler, que souligner et apprécier deux choses : que son héros principal soit un petit garçon noir, dans une période où, aujourd’hui comme hier, on les garde bien trop souvent pour le second rôle ou les méchants, et qu’elle réussisse, en visitant la plupart des tropes nécessaires d’une quête héroïque (le dilemme, le choix d’accepter la quête ou non, les responsabilités subies ou voulues, l’affrontement, la manière dont la violence se transmet, etc.), à les dénouer d’une manière tout aussi inattendue qu’élégante, qui passe par la poésie.

C’est dans cette manière de coller au minuscule (dans sa résolution, dans le choix de son héros à la marge des fictions habituelles) que l’album emporte vers, oui, le merveilleux. (JNS)

 

Pablo A. Mastro et Ana Suarez – Des histoires plein le ciel (Helvetiq)

De tout temps les hommes… ont été fascinés par les étoiles. Amas gazeux et lumineux nous ramenant à notre finitude et au minuscule de notre existence, songe amoureux de nos nuits moites d’été dans des bras aimants ou en compagnie d’amis et d’un verre frais, guide pour les marins…

On pourrait alors croire, au-delà de sa jolie identité graphique, que le livre de Pablo A. Mastro et Ana Suarez se propose dans un premier temps de nous expliquer, à nous vieux adultes ou jeunes bambins, les origines de quelques noms de constellations connues, de la petite ourse à Orion, des Pléiades à la Croix du Sud.

Mais, bien malin, comme le sous-tend son titre, ce beau texte (d’un soutènement scientifique et éthnographique impeccable) prend brusquement le parti, non de la science, mais des histoires, explorant les civilisations et les tribus de notre petit bout de terre, et leur relation aux rêves des galaxies. Ce sont les Inuits qui voient les étoiles comme des fenêtres dans le ciel, les Sumériens qui allaient aux étoiles comme au spectacle, avec les galaxies comme actrices, les kazakhs pour qui la grande ourse n’a rien d’un plantigrade mais est un noble destrier attaché à l’étoile polaire, etc.

En explorant les horizons de notre planète (le livre, comme un clin d’œil, s’ouvre sur un planisphère d’étoiles et se conclut sur notre planète où brille chacun des peuples évoqués), l’ouvrage parvient, de manière dynamique, à offrir ce qu’il y a de plus beau : dans cette infinité de l’univers, il y a l’infini de nos songes. Dans le noir entre deux étoiles, l’espace de nos histoires. Et dans la lumière qui brille, la chaleur de rêver ensemble. (JNS)

 

Hervé Tullet – Faut pas confondre (Seuil Jeunesse)

Énorme coup de cœur aussi pour ce drôle d’ouvrage, réédition d’un phénomène d’édition à sa sortie en 1998, et œuvre d’un drôle d’artiste multiple, œuvrant entre la France et les USA, et qui travaille depuis des années des œuvres ludiques, où l’épure prédomine, jusque dans les couleurs, le minimalisme des formes, dans des étranges livres où le parcours du lecteur importe plus que l’histoire ou la morale (coucou, certains livres de notre sélection).

Ici, comme le titre l’indique, « faut pas confondre » : le jour la nuit, le haut, le bas, les oranges et les citrons, les chiffres et les lettres. Avec à chaque fois, une petite fenêtre au creux de la page qui dévoile et emporte vers la page suivante du duo.

Oui, bon un imagier à destination des plus petits quoi. Que nenni, ça serait insulter le talent de Tullet, qui parvient systématiquement à trouver des illustrations à la fois naïves et dynamiques qui ouvrent le contraste en une véritable narration ou un espace nouveau : commencer et finir voit quelques traits devenir un schéma complet saturant la page, face à face et côte à côte un simple changement de perspective, feu rouge qui devient feu vert laisse passer tous les véhicules de la page de gauche à celle de droite, etc.

Mais surtout, il emporte, au milieu des « basiques », le petit lecteur vers l’inattendu : que ce soit avant/après qui voit une maman enceinte laisser place à un petit bébé, une simple saturation de l’espace avec des pièces et une main tendue pour le contraste riche/pauvre, un nuage en pleine nature qui devient la poussière d’usine pour nuage/fumée, un papa qui s’en va et reparait couvert de cadeaux pour partir/revenir, un dessin de frangins devient un cliché dans dessin/photo, ou dans le plus absurde endroit envers où un homme finit par marcher sur la tête, chaque double page se révèle un voyage vers le conceptuel ou la narration, parfois touchant au plus émouvant.

Dans une double page, un poisson rouge dans son bocal sort de celui-ci : à la vie succède la mort.

C’est ainsi que va « Faut pas confondre », brassant avec la légèreté d’une promenade les concepts les plus anodins (oui/non) aux plus complexes, matière à une réflexion qu’elle soit narrative ou plastique, et à une rêverie dynamique qui emporte dans un même geste adultes et enfants. (JNS)

 

Agnès Mathieu-Daudé – Londinium tome 1 (M+ l’Ecole des loisirs)

Bienvenue en dystopie, bienvenue en uchronie : à Londinium, sans doute dans un XXe siècle un peu fantasmé, les animaux et les humains vivent enfin en paix.

Les uns ne mangent plus les autres, et les uns et autres ne se mangent plus en paix. Un équilibre de paix précaire, obtenu, entre autres, grâce à l’administration de drogues de synthèse permettant d’inhiber aux prédateurs leurs instincts les plus carnassiers et meurtriers.

Oui, mais, sous le dôme, des évènements étranges commencent à se produire : les renards retrouvent leurs instincts, les roux sont brusquement discriminés (en UK, va falloir taffer), des vols absolument bizarres se produisent, et une loutre disparait.

Bref, ca se lézarde de partout, et c’est forcément une affaire pour Arsène, notre lapin (oui, Arsène lapin) à redingote, détective un peu barbouze (et aimant par-dessus tout l’argent) quelque part entre Alice in Wonderland et Sherlock Holmes, consommation de substances illicites à la clef (le lucernum, qui bizarrement le détend bien et le met d’humeur radieuse, ce qui n’est rien par rapport à ces camés de renards, mais CHUT). Ce qui, vous en conviendrez, est assez osé pour un personnage principal de livre jeunesse.

C’est dire si l’ambiance se voudra brumeuse, qu’elle s’échappe de la ville ou de la fumée d’Arsène, dans ce beau roman introductif (Lonidinium sera une saga, et la longue mise en place de l’intrigue le fait ressentir) d’Agnès Mathieu-Daudé.

Beau, parce qu’ayant l’intelligence de ne jamais prendre ses jeunes lecteurs pour des imbéciles, multipliant les références jazz, blues et cool, amenant dans sa drôle de noirceur un humour un peu flegmatique, et brassant, mine de rien, des éléments extrêmement contemporains sous la SF animalière : la relation au vivant, bien sûr, aux animaux, à l’étranger (la distinction entre ceux du dôme et ceux des faubourgs, les liens à l’immigration), mais aussi la désagrégation de la façade d’une société faussement égalitaire (les ultra riches se cachent pour chasser) et la montée lente des extrêmes dont, tiens, tiens, nous faisons tous l’expérience.

Le rythme, d’abord lent, posant base à base les clefs de l’univers et des personnages truculents (mention spéciale à Johnny le géant des Flandres), se révèle enlevé dans le dernier tiers du récit (parfois trop), prenant le risque de ne pas accrocher initialement un lecteur avide de sa dose de rebondissements.

Mais on ne peut que conseiller de s’accrocher, tant on ne peut qu’applaudir cette proposition d’un univers tout à la fois canaille, inquiétant, drôle et exigeant : bienvenue dans la montée du fascisme avec des lapins. Vive la Résistance des loutres, et vivement la suite (du récit, pas du fascisme). (JNS)

 

Et aussi…

Anne Cortey et Herbéra – L’Envol de Miette (A pas de loups)

Annoncé comme un voyage initiatique, cet album déploie l’étendue du huis clos comme dans l’huis d’un ciel clos. Entre petit frère et rencontre d’un prince charmant, qui s’incarne très vite en une sorte d’autre frère, mais grand. Voilà une histoire dont les tenants et les aboutissants sont mystérieux.

On avait beaucoup aimé « Dans la forêt », de Herbéra, publié il y a deux ans chez Memo. Là, une Miette supposée s’envoler au moindre vent, représentée avec de lourds contours noirs ? C’est comme une contradiction. Mais la nature est tentante et luxuriante, elle promet d’être la plus belle des échappatoires. (P.V.)

 

 

Charline Le Maguet – Le secret de Soro (Bayard)

Musa et Soro sont deux amis musaraignes, jouant chaque jour dans la campagne et le long du lac que bordent des fleurs. Mais aujourd’hui, Soro est bien silencieux. Il évoque simplement un secret.

Un secret que Musa, grâce à la tendresse de son père et à sa grande écoute, va réussir à percer, pour que puisse être puni l’adulte qui a fait du mal, et se panser les plaies et que les jeux reprennent dans les champs fleuris.

Paru lors de la Journée des Droits de l’enfant, « Le secret de Soro » est typiquement le genre d’album qui appelle la détestation : absence totale d’histoire, dialogues solennels et n’ayant aucun autre but qu’une éducation (Tu sais il faut le dire si quelqu’un t’a fait du mal, ) à la fois à la vigilance et à la parole contre l’inceste.

Pourtant, on ne peut réellement l’exclure de cette sélection, par sa capacité à évoquer, non sans gros sabots certes, un sujet éminemment complexe, trop commun et surtout trop tu. Si on se questionne tout de même du lectorat voulu (est-ce qu’on va réellement en librairie pour dire « tiens je voudrais un livre pour parler d’inceste de manière frontale ? », non c’est pour un cadeau), il n’en reste pas moins un livre nécessaire, donc, non pour sa capacité littéraire, mais comme un outil, et dont il faut applaudir l’existence. (JNS)

 

François David et Sylvie Serprix – De drôles de choses (Motus éditions)

Trente drôles de choses dites avec des mots et dessinées avec le pas de côté, pour les voir mieux et les découvrir autrement. Des liaisons inventées, des bouts de ficelle assemblés. Avec François David, on s’amuse toujours avec les mots, on les décortique pour les manger mieux, comme le gastronome qu’on serait devenu, petit à petit, à le lire et relire encore et toujours. (P.V.)

« La parasol c’est contre le soleil

Le paravent c’est contre le vent

Le parachute c’est contre la chute

Le paratonnerre contre le tonnerre

Mais le paradis ce n’est contre rien

ni personne

Au contraire !

Le paradis c’est pour tout le monde »

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