Le Bélial, Une heure-lumière – Hors-serie (Pryia Sharma – « Des bêtes fabuleuses »)

Vous connaissez maintenant (ce qui économise un préambule) notre amour immodéré de la collection « Une heure-lumière » du Bélial’, éditeur dont nous suivons avec amour les pérégrinations qu’elles soient géographiques ou aux confins des Temps, des univers et des terroirs fantastiques, quand ils ne nous ramènent pas avec brio du côté de leur excellente revue Bifrost.

Bref, « Une heure-lumière », notre doux bonbon, qu’on ponctionne à mesure des sorties, les savourant avec délice entre deux autres ouvrages (à tel point que notre suivi éditorial de ceux-ci peut sembler tout à la fois chaotique et constant), ou quand s’annonce un weekend à la campagne, un voyage en train, une bière en terrasse.

Car enfin, ce n’est pas leur faire insulte mais toucher au cœur de l’ambition de la collection qu’affirmer cela : « Une heure », c’est le temps qu’il faut à chaque fois pour parcourir la centaine de pages qui compose chacun de ses titres. Mais « une heure-lumière », dont on savoure tout à la fois l’intelligence des univers, comme la capacité de chacune des propositions pour nous emmener bien loin, qu’il s’agisse d’un futur pas si lointain, d’une enquête sherlockienne mais sur Mars, dans une Venise rêvée et incroyablement percluse de machination (on vous tease notre prochain article comme ca), dans les Etats-Unis des premiers colons chinois ou dans l’horreur de corps difformes, morbides ou tueurs, quand ce ne sont pas les medias qui organisent tout bêtement ce jeu de massacre.

Et pour soutenir cette série en constante évolution (plus d’une quarantaine de titres aujourd’hui), le Bélial’ organise chaque année un « Hors-serie », uniquement disponible en librairie et offert par votre libraire favori pour l’achat de deux titres de la collection, et qui contient une nouvelle exclusive de de Priya Sharma, déjà autrice en UHL (comme on dit chez les intimes) d’Ormeshadow.

Avant de plonger plus avant dans la nouvelle, soulignons le sympathique et ludique travail de Camille Vinau en fin d’ouvrage, qui propose aux newbies différents petits menus dans UHL, à assaisonner selon ses goûts et sensibilités (plutôt ambiance ? Plutôt gore ? Plutôt futur ? etc).

Même si, et ca n’est qu’un outil le plus personnel, la plus belle qualité de cette série, c’est l’intelligence de son format, proposant, sans regret, de pousser, encore et encore, à la découverte et l’émerveillement. Donc piochons, piochons, et savourons.

-Des bêtes fabuleuses, de Pryia Sharma

Quelque part, dans une ville du centre de l’Angleterre, vit une famille désargentée, un peu tuyau de poils, dont on peine au début à saisir la structure (à dessein). Au milieu de celle-ci, Lola vit avec ses sœurs, sa mère et sa tante, aux crochets d’un oncle meurtrier qui purge aujourd’hui une peine de prison et que Kath, la mère de Lola, refuse toujours de voir.

Petit à petit, de période de vie en période de vie, sans amorce chronologique, on suivra alors Lola, de son enfance triste à son succès en couple avec une photographe célèbre, des moqueries de ses camarades sur sa monstruosité à sa fascination pour les serpents qui la mèneront à une grande carrière d’herpétologiste.

Mais dans le récit de Priya Sharma (traduit par Anne-sylvie Hommasel), la peau cache des secrets, enfouis, tus, et que même la mue ne peut protéger.

« Es-tu spéciale ? »

Difficile d’en dire plus, sans dévoiler l’intrigue de cette nouvelle à la fois horrifique et pudique, fascinée par les serpents (que l’on retrouve jusqu’aux motifs des volets) et par la noirceur de l’âme humaine.
Il y règne une atmosphère étrange, à la fois ouatée par le silence, et percée d’instants d’horreur absolue, d’hybridation des espèces et de révélation du véritable venin, dont on pourra simplement dire, comme en ces quelques lignes, qu’elle travaille admirablement le thème et l’imaginaire du reptile, de son mouvement fuyant, de ses attaques, des peaux dont il se défait et qui prennent ici un tour tragique.

Le récent en reprend les ondulations, dans son avancée comme dans sa narration brisée, semblant louvoyer entre des descriptions d’un quotidien quasi naturaliste et l’étrange étrangeté qui le brise, quand il ne choisit pas brutalement de briser sa lente avancée par des images d’une intensité insoutenable (la premiere sequence de peau de Lola, la dernière séquence de chambre, etc).

Si, à la lecture des premières pages, certains des éléments clefs se cousent de fil blanc assez rapidement pour le lecteur vigilant et que, passé sa révélation, le récit parvient trop mal à se réinventer, il en faudrait plus pour gâcher totalement la force de son univers, oscillant quelque part entre la banalité du quotidien, le viscère noyé du tabou, la noirceur du conte, et l’implacable saleté de ce que peut l’homme dans sa dévoration pour briser les siens.

« So it is that serpents are reviled when it’s man that is repulsive.”

Le Bélial. En librairie. Gratuit.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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