Leonardo Padura – « Hérétiques »

Longtemps, Leonardo Padura, fit du polar son domaine de prédilection pour décrire, avec une véracité inégalée, la face sombre du rêve cubain. Avec « L’homme qui aimait les chiens », sorti en 2011, l’écrivain cubain, ambitionnait de dépasser ce cadre pour se plonger dans une tragédie historique traversant le XXe siècle. Le récit de la mort tragique de Léon Trotski par Ramon Mercadet, son assassin, permit à Padura de prouver l’amplitude de son talent. Son livre fut une éclatante réussite saluée par la critique et les prix littéraires.

Avec « Hérétiques », l’écrivain cubain reste tout autant audacieux. Son roman se découpe en trois parties distinctes dont le seul lien est une toile de Rembrandt. Trois histoires qui prennent pour finitude une soif de liberté inextinguible pour ses personnages. Ce désir d’être libre est éternel et sans limites. Il parcourt les temps, les continents et les peuples. Pour se réaliser pleinement, il s’accompagne la plupart du temps d’une fuite, d’un exil nécessaire.

Ainsi, son récit débute lors de l’arrivée, en 1939, du bateau Saint Louis dans le port de La Havane. À son bord, des centaines de juifs fuyant les persécutions nazies en Europe. Sur le quai, Daniel Kaminsky accompagné de son oncle espère que ses parents et sa sœur vont descendre du bateau et le rejoindre. Pour soudoyer les autorités, les Kaminsky possèdent un tableau de Rembrandt représentant le Christ. Malgré cette monnaie d’échange inestimable, les autorités cubaines renvoient le bateau en Europe, condamnant ainsi ses passagers à une mort certaine. Par réaction, Daniel décidera de rompre avec son identité juive. Il forgera la sienne en s’assimilant à la société cubaine.

Des années après, le fils de Daniel, Elias, retrouve le tableau lors d’une vente aux enchères à Londres. Soucieux d’élucider le mystère, il se rend sur l’île et s’attache les services de Conde, héros récurrent des romans policiers de l’auteur. Ancien policier devenu bouquiniste, solitaire et amoureux, Conde cherche des raisons d’espérer dans cette ville d’un autre âge. Tous deux vont tenter de retracer l’histoire de ce tableau dont la disparition coïncide avec le crépuscule du règne de Batista et l’effervescence révolutionnaire de ces années-là.

Le second récit revient sur l’origine du tableau signé par Rembrandt à Amsterdam au XVIIe siècle. Dans cette ville de tolérance pour les juifs, Elias Ambrosius est partagé entre sa religion et son rêve de peindre. Malgré les foudres de sa communauté, il choisit son destin et entre dans l’atelier du peintre Rembrandt. « La liberté est le plus grand bien de l’homme, ne pas s’en servir quand il est possible de le faire, c’est une chose que Dieu ne peut pas nous demander. En revanche, renoncer à la liberté est un terrible péché, presque une offense à Dieu. Mais tu dois déjà savoir que tout a un prix. Et celui de la liberté est généralement très élevé. » Là, au milieu du bouillonnement artistique de la ville, Elias perfectionne, de jour en jour, son trait artistique. Néanmoins, les intégristes religieux de sa communauté en désaccord avec ses représentations, cherchent à lui infliger les pires châtiments.

Enfin, la troisième partie se déroule à La Havane et suit les traces de Conde à la recherche d’une jeune émo. Dans cette société cubaine où l’espoir a disparu, Judy est une jeune adolescente « opposée à l’ordre établi et, obstinée à chercher une singularité qui la libérerait ». Pour ce faire, elle intériorise les livres de Nietzsche et de Cioran, se recueille devant les préceptes bouddhistes et vit dangereusement entre drogue et mauvaise fréquentation. Sa disparition va obliger Conde à une enquête singulière entre plongée dans l’univers des émo et affaire de corruption…

À partir de la toile de Rembrandt vont naître d’autres récits imbriqués les uns avec les autres. La maîtrise de l’intrigue, à travers son fil directeur, est saisissante. L’écriture de Leonardo Padura associe différents styles pour, finalement, composer un récit à plusieurs tonalités dont l’unique résonance est un hymne universel à la liberté.

Hérétiques de Leonardo Padura

Éditions Métailié.

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A propos de Julien CASSEFIERES

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