La quatrième de couverture ne peut préparer au choc de lecture qu’est le deuxième roman d’Alexandre Civico. Texte brutal, organique, La peau, l’écorce pèle les couches jusqu’à la douleur, là où la pudeur n’est plus de mise, et va où la terre est aride et devenue stérile. Double récit aux accents post-apocalyptiques de la survie primale, La peau, l’écorce est le roman de la désespérance et du deuil, de l’abandon du petit théâtre social et où cesse tout souci de bienséance. Double réalité parallèle d’une histoire comme les deux revers d’une médaille dépolie et rongée par la rouille.
On entre dans « l’écorce » – première facette du roman, qui s’entrelace en spirale à « la peau » – de manière frontale. On y suit le quotidien de soldats avançant dans un pays non-identifié, rongé par le chaos et la désolation, où l’on meurt sous un ciel bleu cobalt et brûlé par le soleil. C’est l’écorce qui protège de manière illusoire ces hommes et l’écorce, c’est moins que la carapace : une double peau rugueuse, fragile. De la guerre évoquée dans « l’écorce », nous ne connaîtrons que les conséquences directes sur cet îlot d’humanité perdu dans un espace ravagé et désertique, celles des hommes rongés par la crasse, le sang séché, la noirceur, et la survie absurde du cerveau reptilien qui continue à s’agiter dans la boue. Livrés à eux-mêmes, ils avancent en pilote automatique dans une guerre dont on a oublié le pourquoi et dont on se rappelle tout juste les circonstances du comment.
« La peau » est l’autre versant de cette guerre qui renvoie à une imagerie de ruines, exposant un étrange couple, formé par un père se retrouvant un jour inexplicablement rattaché à sa fille par un cordon ombilical ayant repoussé dans la nuit comme un miracle tordu. La mère ayant fui puis disparu, le père devient le seul point d’ancrage de son enfant. Il ne peut l’éloigner de lui – même pour aller aux toilettes, la petite se retrouvant derrière la porte, le cordon l’empêchant de la refermer – et doit gérer tous les gestes du quotidien : traverser des quartiers accidentés pour emmener l’enfant à l’hôpital, tenir le plus longtemps possible sans sortir pour essayer de trouver des provisions, occuper la petite coûte que coûte. Écrasé par les souvenirs d’une relation amoureuse, le père se débat avec son chagrin, sa colère, ses responsabilités et son amour inquiet, pragmatique et tendre envers sa fille. Car la peau, c’est le dernier rempart de la nudité avant de finir écorché vif.
Novella très intense, La peau, l’écorce ne gagnerait rien à être un texte plus long qui aurait toutes les chances de tomber dans le remplissage. Chaque mot y est à sa place et dessine un roman d’atmosphère, sensoriel, d’une grande puissance d’évocation qui refuse toute idée de séduction et gratte jusqu’à la plaie. Dans la dureté des mots comme des axes choisis, Alexandre Civico écrit un texte retors, parfois difficile à appréhender, insoutenable car frontal et sans effets de manches. Hors des pièges de la complaisance pour « l’écorce », ou du sentimentalisme et du pathos pour « la peau », l’écriture visuelle, brûlante et sèche comme de la lave sont apposés comme des fragments et des séquences qu’on arrache à la chair pour en garder toute la substance. Délaissant les fioritures pour aller droit dans le ventre, La peau, l’écorce est néanmoins un texte chargé de poésie brutale et incandescente. Au moment où les dernières sorties de littérature française de Rivages étaient presque toutes dans l’esprit « à la manière de » – à la manière d’un roman victorien, à la manière d’un roman gothique, à la manière d’un Stephen King – le livre d’Alexandre Civico se détache nettement de la mêlée en ne ressemblant à aucun autre.
La peau, l’écorce, Alexandre Civico, Editions Rivages, 2017, 103 pages.
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Domi
Magnifique article sur un roman qui ne peut laisser indifférent .
Merci d’avoir su poser vos mots sur mes sensations .