L’un des plus beaux compliments que l’on pourrait faire au petit ouvrage de François David serait sans doute son caractère insaisissable et inclassable – paradoxe, tant il tient de cet art du classement, tel un cabinet de curiosités d’aujourd’hui, héritant de cette tradition de l’inventaire chère aux artistes du XVIIIe siècle et à d’autres artistes plus contemporains tel Peter Greenaway : avec comme fil rouge, cette obsession pour la mort. Quelle ironie ! François David propose un catalogue pris sur le vif de photographies d’animaux morts ou, au contraire, bien en vie : il saisit parfaitement le paradoxe de l’instantané photographique qui immobilise le vivant en pouvant lui donner l’apparence de l’inanimé, il brouille les pistes, nous interpelle, dialoguant avec notre propre rapport aux êtres et aux choses. Qu’est-ce qui différentie en effet un cœur qui bat d’un corps sans vie, d’un cadavre, où se situe la frontière et commencent visuellement parlant les deux états opposés ? Etre ou ne pas être. Ce peut être le regard éteint d’un oiseau, un canard au cou bien trop tordu, ou encore ce rat décomposé ne faisant aucun doute, tout comme cette souris mutilée par un chat, cette salamandre, ce crapaud écrasés. Mais pourtant ce lapin semble bien vivant et ce papillon s’apprête à s’envoler. Il entremêle animaux en mouvement et ceux qui ne bougeront jamais plus, alterne photographies d’une grande douceur transmettant l’apaisement de la contemplation et d’autres d’une grande violence dont on peut supposer qu’elle traduisent la frayeur de celui qui était derrière l’objectif. Tout le questionnement de François David tient en une phrase. Il y a l’imparfait et le présent, l’avant et l’après :
Ses yeux bougeaient passionnément pendant qu’elle était ainsi vivante. C’est bien après que tout s’arrête et pourtant pas à tout jamais tant que le regard semble toujours un regard, que les yeux semblent des yeux encore un peu. Il est si délicat d’isoler le moment où ils ne seront plus dorénavant, si difficile de se dire qu’un être a pu être dès l’instant si ténu où il n’est plus de flamboiement dans ce regard.
Souvenons-nous de Zoo de Peter Greenaway et de ses deux jumeaux scientifiques ayant perdu tous deux leur compagne dans un accident, et tentant de percer les mystères de la mort, en étudiant méticuleusement la décomposition, et en espérant qu’une femme acceptera de les laisser regarder sa propre mort ? L’approche de François David ressemble à celle du cinéaste britannique en cette observation précise, à la fois dérangeante et poétique, cruelle et intime, livrant par la métaphore de l’image et des mots à la réflexion philosophique. François David ne se contente pas d’une observation universelle détachée, par analogies, comparaisons, il scrute également le monde, ses atrocités, les affres de la société de consommation, la laideur parfois évidente du contemporain. On sent la révolte qui perce lorsqu’observant un poisson mort, il y voit le visage des gueules cassées et des iniquités qui se poursuivent ou encore l’étouffement du capitalisme lorsqu’il photographie un chien à travers la vitrine d’une boutique et que les promotions (250 EUR offerts !) s’appliquent à son corps tel un tatouage obscène. Régulièrement l’auteur trahit son inquiétude face à l’avenir, et face à une époque dans laquelle il se sent sans doute peu adapté. Mais parfois la nature semble reprendre ses droits dans la vision absurde d’un goéland client d’une pharmacie. « Beautés en puissance », dit la publicité. François David entremêle réflexion instantanée, rêveries poétiques et anecdotes personnelles qu’il juge à l’aune de l’existence. Plus l’on avance dans le livre, plus il s’offre à la fois comme un singulier journal intime, où la créativité visuelle et littéraire cherche un remède contre la mélancolie et l’angoisse.
Cet aphorisme qui lui sert de titre, « Les morts vivent plus longtemps qu’avant », rappelle combien l’Art de tout temps a toujours tenté de percer les mystères de notre future disparition – que l’on soit croyant ou pas – que ce soit par le biais de la littérature fantastique (Frankenstein ou Dracula peuvent en témoigner) ou les natures mortes. Regarder la mort, c’est tenter enfin de l’affronter tout en montrant son attachement à la vie, tenter d’en comprendre le scandale en étudiant son seuil. S’approcher au plus près de l’autre côté constitue sans doute le meilleur exorcisme pour accepter qu’un jour il faudra bien le traverser.
François David – Les morts vivent plus longtemps qu’avant, édité par Les éditions Le Vistemboir
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