A propos de l’essai qu’il a consacré au cinéaste Gérard Damiano (Gérard Damiano : les peaux, la chair, les nuits), nous regrettions que Marc Bruimaud fasse parfois un peu court. Non pas que ses analyses fussent « limitées » mais au contraire, au vu leur pertinence, nous aurions aimé parfois de plus larges développements.
En découvrant son recueil de « nouvelles noires », Ici, on réalise pourtant à quel point la forme courte sied parfaitement à l’auteur. Le première peut pourtant surprendre : dédiée à Peter Bogdanovich (Bruimaud est un grand cinéphile) et intitulée En route pour Anarene (Texas), on imagine de grands espaces et un récit épique. Or la nouvelle fait une (petite) page recto-verso et narre un rendez-vous au « Bar à Putes de l’Avenue de la Gare » de Limoges ! C’est dans cette ville où vit Marc Bruimaud que se dérouleront toutes (ou presque) ces historiettes, ancrées essentiellement dans les rades de la préfecture de Haute-Vienne. Si la première nouvelle peut désarmer par son absolue banalité (au sens où l’auteur reste à ras du quotidien et qu’il ne s’y passe rien), elle prend tout son sens lorsqu’on réalise qu’elle est une petite touche dans un tableau plus large que Bruimaud va brosser, convoquant quelques figures attachantes revenant de manière récurrente.
A la manière de Bukowski (le recueil est dédié « à la mémoire du vieux Hank »), Bruimaud relate son quotidien et croque son entourage de manière à la fois incisive et tendre. Le trait est toujours affuté et l’ironie omniprésente, notamment lorsqu’il s’agit de railler un obscur artiste avant-gardiste limougeaud (Archaïque) ou d’imaginer le portrait du père chiropracteur (et un peu ostéopathe) d’une lycéenne délurée : « j’ai imaginé sans peine un mec rondouillard, la cinquantaine à lunettes et votant Bayrou, une statue en jade de Bouddha sur son bureau » (Tonton Epinard et la Petite Fontaine).
Dans ces récits sans fioritures, il est bien évidemment souvent question de la vie sexuelle et sentimentale de l’auteur. Le style est direct, assez leste parfois voire franchement salace (La Communauté verticale). Bruimaud n’est pas un admirateur de Damiano pour rien ! En revanche, sous ses allures d’ours mal léché ou de « vieux dégueulasse » limougeaud, il dévoile toujours des trésors de tendresse et de finesse, à l’image de cette nouvelle en trois mouvements (Christina (en trois temps)) qui est sans doute la plus belle de tout le recueil.
Pour bien la comprendre, il faut également lire Riviera dans laquelle Bruimaud raconte un petit épisode de sa jeunesse chez un de ses oncles richissime. Le jeune homme qu’il est alors explique pourquoi Husbands de Cassavetes est son film préféré :
« c’était la première fois que j’avais l’impression d’être dedans, avec les trois gars qui faisaient la fiesta, je vivais avec eux, mais mieux que dans la vie.
-Comment ça, mieux que dans la vie ?
-Bin, dans la vie de tous les jours, tu te sens exister que par moments, le reste du temps c’est calme plat, côté sentiments, émotions… »
Christina (en trois temps), c’est exactement ça : une description parfaite de ces petits moments où le cœur bat plus vite, où les choses peuvent basculer d’un côté ou de l’autre et où l’on se sent exister avec plus d’intensité. Avec presque rien, Bruimaud parvient à saisir dans cette nouvelle en particulier mais dans les autres également ce qui fait le sel de l’existence : ces instants privilégiés qui laissent des traces indélébiles mais des regrets aussi.
En partant de l’infiniment petit (son quotidien le plus trivial), Bruimaud touche à des sentiments universels avec verve, bonhomie ironique et une certaine mélancolie. C’est ce qui fait le prix de ces nouvelles.
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Ici (Nouvelles noires)
Marc Bruimaud (illustrations : Valérie Pillon)
ISBN : 978-2-916753-47-8
90 pages – 10€
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