L’ouvrage de Maria Dzielska, historienne polonaise, a été publié initialement par les presses universitaires d’Harvard en 1995. Sa traduction en français publiée en 2010 n’est sans doute pas étrangère à la sortie du film Agora de Alejandro Amenabar.
Pour le public qui a apprécié cette œuvre, elle lui fournit un éclairage inestimable, puisqu’il est fort probable que le réalisateur s’en soit inspiré, à en juger par la pauvreté de la documentation qui existe sur le sujet comme par les faits qu’il a utilisés, pour une trame narrative qu’il situe, non pas dans une période qui embrasse les pontificats des deux patriarches d’Alexandrie Théophile et Cyrille, mais essentiellement durant celui de ce dernier. De même modifie-t-il l’échelonnement des dates de décès de Théon, le père d’Hypatie, et de Synésios son disciple et ami, qui ont précédé celui de la philosophe. Il est vrai que la complexité historique n’aurait pu se prêter à la fiction cinématographique. Celle-ci emprunte suffisamment à la réalité pour en conserver le climat de mysticisme, la noirceur et l’intensité tragique. La lecture de cette passionnante recherche n’ôte donc pas pour autant d’intérêt au film d’Amenabar. Bien au contraire, nombre d’éléments significatifs y prennent valeur de jeu de piste.
Ce travail est précédé d’une préface incontournable de Monique Trédé, puisqu’elle esquisse brièvement le cadre politique et intellectuel dans lequel évolua et enseigna Hypatie. Elle nous éclaire sur ce que furent les cercles des philosophes néoplatoniciens du IVe au VIe siècles, ces refuges de la culture hellénique avant la victoire décisive du christianisme. Maria Dzielska justifie son intérêt pour la vie d’Hypatie par son instrumentalisation par la recherche historique comme au sein des polémiques religieuses et philosophiques, ce depuis le XVIIIe siècle. De même son étonnante postérité à travers la thématique de la littérature occidentale du XIXe siècle à nos jours ont aiguisé sa curiosité.
La légende qui en a fait une belle et jeune martyre remonte à la tradition de l’antiquité tardive, alors que, selon l’historienne, elle périt entre 45 ans et une soixantaine années.
Son étude s’appuie principalement sur quatre sources: l’Histoire ecclésiastique de Socrate le scolastique, contemporain d’Hypatie ; la Vie d’Isidore, philosophe platonicien tardif né en 450, écrite par son disciple Damascius le diadoque, Isidore ayant lui-même été le disciple de Proclus, un contemporain de la philosophe qui avait étudié à Alexandrie ; enfin une chronique de Jean de Nikiou, seul témoignage à charge, qui complète utilement les recherches, bien que cet évêque égyptien vécut au VIIIe siècle, et que ses écrits ne nous soient parvenus que par l’intermédiaire d’une édition éthiopienne, recopiée à partir d’un texte arabe ; enfin et surtout, les petites œuvres littéraires et les cent cinquante -six lettres de Synésios de Cyrène. Ce disciple, quoique chrétien et devenu évêque, voua à son ancien professeur et directeur de conscience une indéfectible amitié et une admiration sans bornes. La correspondance de Synésios était adressée pour la plupart à à ses amis, disciples ou anciens disciples d’Hypatie, chrétiens ou païens. Certaines de ces lettres étaient destinées à la philosophe, sans que ne subsiste de réponses de sa part.
Maria Dzielska confronte ses sources aux recherches contemporaines relatives au Bas-Empire, à l’Empire Byzantin, à l’Alexandrie de l’antiquité tardive, et bien sûr à Hypatie.
Elle dresse deux portraits, certes incomplets: d’abord celui de Synésios, un évêque dont le syncrétisme fort singulier s’écarte quelque peu de la doctrine chrétienne, enfin celui de la lumineuse philosophe. Ils demeurent cependant plus véridiques que tous ceux que nous livrent les Saintes Ecritures, qu’il s’agisse du Christ, des Apôtres ou de Paul. Et que dire, en ce qui concerne les autres monothéismes, de ceux de Moïse ou de Mahomet. . .
Les lettres de Synésios lui permettent d’analyser la spiritualité profonde du petit cénacle qui se réunit pendant tant d’années autour de son maître à penser, d’identifier ses membres, et de déterminer leurs liens de parenté, leurs origines sociales et géographiques, ainsi que les importantes fonctions ecclésiastiques ou impériales que beaucoup d’entre eux furent amenés à occuper.
Bref, nous jouissons presque de l’illusion de nous mêler aux disciples de celle qui suscita jusqu’à sa mort la fascination de son auditoire, et qui exerça une emprise incontestée sur les élites politiques d’Alexandrie.
Nous prenons conscience de l’étendue de son enseignement fondé sur le dialogue. Celui-ci embrasse en effet la philosophie, du néoplatonisme hérité de Plotin et réconcilié avec Aristote au pythagorisme, avec lesquels l’occident ne renouera dans une intégralité non édulcorée ou falsifiée par l’Eglise qu’avec l’humanisme d’un Marsile Ficin ; l’étude comparative des courants ésotériques et religieux qui se côtoient à Alexandrie ; le culte du Bien par une éthique de détachement du monde sensible et de la fraternité, de l’amour et de la droiture ; le culte du Beau à travers la musique et la littérature grecque ; les sciences mathématiques, astronomique, optique au plus haut niveau des connaissances antiques, considérés comme autant de moyens d’accès à la transcendance du Divin.
Elle se montre capable de confectionner un astrolabe destiné à la compréhension du mouvement des astres, ou encore un hydroscope.
Plus rationnelle que ne l’est Théon, aux penchants indéniables pour l’astrologie, l’ésotérisme et la divination, elle le seconde dans ses travaux purement scientifiques puis les approfondit.
Dans ce domaine, on lui devrait une bonne part de ce qui nous est parvenu de l’antiquité, par l’intermédiaire de Byzance et du monde arabe, qu’il s’agisse des éléments d’Euclide, de l’arithmétique de Diophante d’Alexandrie, du Traité des cônes d’Apollonius de Perga, de l’Almageste et des tables manuelles astronomiques de Ptolémée.
Bref, l’importance de sa contribution personnelle à la connaissance scientifique serait à redécouvrir.
Les exigences d’austérité qu’elle s’impose, dans sa quête divine de l’Un par la contemplation, n’entament jamais sa tolérance ou son amitié vis-à-vis de ses étudiants, quand ils recherchent des plaisirs plus terrestres ou acceptent des charges politiques ou religieuses.
Il semblerait qu’il règne autour d’elle l’harmonie et la sérénité plus que l’humour et le rire.
Il n’en demeure pas moins que le cénacle de la philosophe évoque irrésistiblement un texte de Clément d’Alexandrie, philosophe chrétien du IIe siècle, cité dans les « Cahiers de Science & Vie » consacrés à Alexandrie:
« Quand je parle de philosophie, je ne veux pas dire la philosophie stoïcienne, ni la philosophie platonicienne ou épicurienne ou aristotélicienne, mais tout ce qui a été dit de beau dans chacune de ces écoles, par l’enseignement de la justice accompagné de science pieuse. C’est tout cet ensemble choisi que j’appelle philosophie. «
(Stromate I, 7, 37)
Mais loin de s’isoler dans le Monde des Idées, Hypatie use de son influence au service de la cité d’Alexandrie et dispense ses conseils à ceux qui la gouvernent. Elle allie la pondération à la sincérité. Elle montre un tempérament égal, une dignité et une force de caractère que rien ne démentira.
L’historienne reconstitue avec une probabilité satisfaisante les évènements qui ont précédé son assassinat, dont les deux versions connues se rejoignent dans leur barbarie et leur cruauté, incitant probablement Pedro Amenabar à édulcorer la réalité dans Agora.
Reste à déterminer pourquoi Hypatie, épargnée durant le pontificat de Théophile, devient une ennemie à abattre pour Cyrille. Maria Dzielska souligne opportunément la neutralité que Théon et sa fille ont adoptée lors de la destruction du Sérapeion . Elle l’attribue à leur indifférence pour la théurgie des diverses religions antiques ainsi qu’à leur dédain vis-à-vis des philosophes qui ont défendu le sanctuaire, ces « habits blancs », qui, selon Synésios, s’abaissent à divulguer les mystères divins à un peuple ignorant. . Les textes antiques expliquent l’hostilité de Cyrille par une jalousie qui tient à la notoriété et à l’influence de la philosophe sur les détenteurs du pouvoir. L’emprise qu’elle exerce en particulier sur le préfet d’Egypte Oreste lui a porté ombrage. Celui-ci, chrétien mais représentant du pouvoir impérial, s’oppose en effet aux ambitions politiques du patriarche. Oreste disparaîtra d’ailleurs de l’histoire après le crime, craignant sans doute aussi pour sa vie, qu’il ait demandé à être relevé de son poste, ou qu’on le lui ait retiré.
Le pontife d’Alexandrie parvient d’autant mieux à déchaîner les foules contre Hypatie que se réunit autour d’elle un cénacle d’initiés. Cette aristocratie de l’esprit, mais aussi de la naissance comme du statut social et politique est d’autant plus indifférente aux masses populaires, jugées indignes d’accéder aux Vérités suprêmes, qu’elle s’intègre dans l’univers fermé des élites alexandrines.
Cependant, Maria Dzielska semble considérer comme implicite une connaissance approfondie du Bas-Empire, de l’Empire d’Orient, et du christianisme des siècles correspondants ; tout spécialement en ce qui concerne la biographie des patriarches d’Alexandrie Théophile et Cyrille, l’oncle et son neveu, Pères de l’Eglise rien moins qu’angéliques, qui ne se sont jamais embarrassés de scrupules pour arriver à leurs fins. Ainsi de Théophile, qui, dès le début de son pontificat en 385, mène une campagne de destruction et de saisie des lieux de cultes païens, quitte à provoquer des émeutes et à les écraser. Théophile qui, à la faveur de l’édit promulgué par Théodose Ier en 391-392, entreprend l’assaut du gigantesque temple du Sérapeion et de sa bibliothèque de plus de sept cent mille volumes, obtient de l’Empereur le soutien des forces civiles et militaires pour expulser les païens qui défendent le sanctuaire – dont nombres d’intellectuels, prêtres, poètes et philosophes, qui , pour la plupart d’entre eux, trouveront refuge à Constantinople, obtient la proclamation comme martyrs des chrétiens morts durant le combat, et enfin la cession du Sérapeion pillé et rasé à l’Eglise.
Quant à Cyrille, il suscite en 414 la discorde entre les chrétiens et les juifs. Puis, après des affrontements meurtriers de part et d’autre, fait expulser une communauté judaïque assez hellénisée pour assister à un spectacle de pantomime un jour de Sabbat. En 414-415, il entre en conflit avec l’autorité laïque d’Oreste et dresse la populace contre lui au point qu’un moine blesse le préfet d’Egypte. Enfin il est à l’origine des accusations qui seront fatales à Hypatie.
Or ceux qui furent surnommés les « pharaons de l’Eglise »ont toujours perpétré leurs violences avec le soutien des moines de Nitrie et des parabolans.
Il nous faut compléter nos informations en néophytes afin d’en apprendre plus sur ces deux « institutions », sur la population d’Alexandrie si prompte à s’enflammer, sur la politique religieuse à long terme qu’ont menée les deux patriarches, enfin sur le contexte historique qui a favorisé leurs entreprises, afin même d’avancer une hypothèse quant aux motifs qui ont conduit Cyrille à l’élimination de celle qui lui faisait obstacle.
Tout d’abord, qui sont les parabolans ?
Sous Théophile, l’Eglise acquiert des propriétés foncières dans le Fayoum, dont les revenus sont en grande partie consacrés au fonctionnement d’hospices et d’hôpitaux qui accueillent les étrangers, les infirmes et les pauvres, ce qui est conforme au précepte de charité chrétienne. Se développe dès lors le corps des parabolans, personnel hospitalier contrôlé par l’évêque et véritable milice épiscopale. Majoritairement ignorants, exaltés, enclins à la manipulation et à la provocation, ils exécutent les ordres de Théophile, puis de Cyrille.
Ainsi, ils accompagnent les moines de Nitrie quand Théophile entreprend d’anéantir le paganisme et assiège le Sérapeion. Ils prennent la tête de la foule que Cyrille mène au quartier juif pour le détruire. Ils attisent, avec les moines de Nitrie, la campagne qui vise Oreste, puis répandent la rumeur qui fait d’Hypatie une sorcière et une devineresse qui se livre à la magie, confondant l’astronomie avec l’astrologie.
Il est significatif que, dès 416, le nouveau préfet de Constantinople et préfet du Prétoire d’Orient émette une ordonnance qui prive Cyrille de son autorité sur les parabolans, fait passer leur nombre de huit cents à cinq cents, charge le préfet d’Egypte de leur recrutement, leur interdit d’apparaître dans les lieux publics et dans les locaux du conseil municipal d’Alexandrie.
Quant aux moines de Nitrie, qui se sont établis dans une vallée désertique à une trentaine de kilomètres au sud-est d’Alexandrie, ce sont pour Synésios « ceux qui portent un manteau brun », « des barbares », des fanatiques incultes, qui haïssent l’hellénisme et qui ne sont bons qu’à tresser des paniers. Ces cénobites, autochtones d’humble origine, se livrent dans la solitude à la contemplation, à la prière et à l’ascétisme pour chasser le démon… quand les « pharaons de l’Eglise » n’en font pas une force d’appoint. Cela n’empêche pas Théophile de les persécuter en 402 pour origénisme et de les expulser avec la dernière violence de leur vallée. Par la même occasion, lors du Concile du Chêne en 402, il profite de l’imprudence de son rival Jean Chrysostome, le patriarche de Constantinople et lui aussi père de l’Eglise, qui prend la défense des moines, pour le faire déposer et expulser de façon inique en l’accusant d’hérésie.
Théophile et Cyrille utilisent pour leur compte la violence endémique qui règne à Alexandrie, « ce corps étranger échoué sur le rivage égyptien » depuis sa fondation, du fait de l’hétérogénéité sociale, ethnique, linguistique et religieuse d’une cité cosmopolite, gouvernée par la caste dominante de culture grecque, proche du pouvoir impérial. Si une communauté fait l’unanimité contre elle, c’est bien la riche et nombreuse communauté juive, qui jouit d’un statut particulier qui la distingue sans toutefois disposer du droit de cité. Hellénisée, elle subit l’anti-judaïsme chrétien après avoir enduré l’anti-judaïsme romain.
La chronologie historique dans laquelle s’inscrit l’existence d’Hypatie apporte des indications précieuses : en effet, sa naissance se situe, selon Maria Dzielska, entre 355 et 370 tandis que son meurtre survient en 415. Or, quand l’Empereur d’Orient Arcadius disparaît prématurément en 408, son successeur Théodose II est installé sur le trône par le général vandale Styllicon alors qu’il n’est âgé que de sept ans. S’en suit une période de précarité du pouvoir impérial, sous la régence de l’Impératrice Pulchérie et sous la tutelle, de 414 à 416, du préfet du Prétoire chrétien Aurélien, toutes circonstances qui laissent le champ libre à Cyrille.
En outre la politique des patriarches d’Alexandrie oncle et neveu doit être considérée dans la longue durée de la stratégie d’un christianisme désormais conquérant et de son combat contre les ennemis de la Foi.
L’expulsion et la dispersion des juifs bénéficient de la bénédiction générale des autres communautés.
Le pouvoir à Constantinople apporte son soutien à l’éradication des cultes antiques et réprime sans pitié des minorités païennes pourtant toujours nombreuses parmi les populations rurales. Vis-à-vis des hérésies ou des schismes, qui ne le cèdent sans doute en rien en fanatisme et en violence à leurs adversaires, les deux patriarches pourraient reprendre à leur compte le discours par lequel Augustin, père de l’Eglise et évêque Hippone, encourage le préfet militaire Boniface, chargé de la répression des donatistes dans la province d’Afrique romaine voisine de l’Empire d’Orient :
« . . . La persécution exercée contre l’Eglise du Christ est injuste, tandis qu’il y a justice dans la persécution infligée aux impies par l’Eglise de Jésus-Christ. . . «
Augustin en réfère à l’autorité laïque selon ce que l’on appellera plus tard « livrer au bras séculier en lui recommandant néanmoins toute miséricorde ».
Les « pharaons de l’Eglise », qui ne connaissent pas ces délicatesses, recourent, directement à leurs hommes de main, contre les ariens, manichéens, gnostiques, origéniens et autres novatiens. Ainsi contre les nestoriens en 421, au Concile d’Ephèse.
Maria Dzielska indique que, pour leur majorité, les philosophes antiques n’ont pas été inquiétés et connaîtront même des heures de gloire jusqu’au VIe siècle. Elle mentionne parmi leurs rangs des filles, épouses et mères de philosophes, dont certaines s’appelèrent Hypatie, et qui bénéficièrent d’un certain renom malgré leur sexe. Or, si dans son traité Des hérésies, Augustin ne cite pas les plotiniens parmi les quatre-vingt-huit hérésies qu’il a dénombrées, Cyrille a écrit, quant à lui, une réfutation de Plotin.
Le patriarche d’Alexandrie joue par ailleurs un rôle déterminant au Concile d’Ephèse, auquel participe Augustin : sept ans après la mort d’Hypatie, il fixe le dogme de l’Eglise Catholique Apostolique et Romaine en professant l’unité de l’âme et du corps, la doctrine trinitaire ainsi que celle de l’Incarnation, et en proclamant Marie Mère de Dieu.
Ne pourrions-nous pas en conclure que Cyrille ne pouvait voir en Hypatie qu’un obstacle irréductible à la progression de la Foi, et en son cénacle, où dialoguaient chrétiens et païens, qu’un foyer potentiel d’hétérodoxie?
La Vérité se réfère dorénavant à une lecture univoque des textes sacrés. Elle interdit le rapport interpersonnel du croyant avec le divin. Elle s’oppose à la libre exégèse. Elle proscrit la moindre indépendance de la pensée et de la connaissance, indissolublement entravées par le dogme religieux. Ainsi le géocentrisme planétaire de Ptolémée contredit la cosmologie de l’Ancien Testament, ce qui conduit Augustin d’Hyppone à condamner avec ironie la théorie des antipodes dans la Cité de Dieu.
Métaphysiquement et scientifiquement, Hypatie sent désormais le fagot.
Le drame qui s’est déroulé dans l’Alexandrie du Ve siècle pourrait presque paraître accidentel, voire la conséquence fortuite de conflits personnels et d’une lutte pour le pouvoir.
Cependant l’accusation de sorcellerie et de pratiques magiques annoncent déjà les procédés inquisitoriaux qui furent un mode de domination récurrent de l’église catholique, mais aussi de l’église protestante.
Le destin que connut Hypatie diffère peu de ceux d’un Socrate, condamné à boire la ciguë, d’un Maître Eckhart qui eut la chance de mourir avant de comparaître devant le Pape, d’un Giordano Bruno brûlé vif à Rome, ou d’un Spinoza excommunié par trois religions. Ces héros de la Connaissance se sont heurtés à un obscurantisme qui naquit de l’emprise de l’autorité théologique sur l’autorité laïque, qu’il s’agisse de la confusion du spirituel et du temporel, de leur complicité, ou de la subordination du second au premier.
Que l’on considère notre chrétienté, du Ve siècle à l’émancipation intellectuelle qui, amorcée avec la Renaissance, l’emporta peu à peu , ou le monde arabo-musulman jusqu’au XIIIe siècle, cet obscurantisme a interdit ou interdit encore le progrès du savoir et des sociétés, tant que ne l’a pas étouffé l’émergence d’une pensée laïque ou tout au moins tolérante aux diverses croyances ; tant que ne s’est pas imposée la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Il continue à sévir jusque dans nos démocraties, quand des minorités agissantes prétendent s’opposer à la théorie de l’évolution et régenter les programmes scolaires.
Il sévit plus encore là où subsistent des états confessionnels, en particulier dans une aire géographique qui s’étend aux limites extrêmes des conquêtes d’Alexandre, et de son rêve d’une symbiose entre cultures d’Orient et d’Occident.
Nous trouble par ailleurs, dans le remarquable ouvrage de Maria Dzielska, l’évocation de ces foules misérables, ignorantes, fanatisées, dont on détourne ou provoque intentionnellement la fureur.
Que de ligues, milices, confréries, et autres gardiens, qui pourraient se proclamer, au fil de l’Histoire, comme les héritiers des parabolans ! Toutes et tous destinés initialement à lutter par la charité et la solidarité contre une injustice bien réelle, mais qui trahissent rapidement leur idéal et deviennent le bras armé des docteurs de la Loi du fanatisme et du fondamentalisme.
Le martyre d’Hypatie est finalement exemplaire. Il devrait nous exhorter à la vigilance dans un monde dont les bouleversements pourraient bien faire jaillir de quelque marmite de sorcières des démons que nous croyions disparus à jamais.
(voir aussi les chroniques d’Agora d’A. Amenabar par Guillaume Bryon et Olivier Rossignot)
Hypatie d’Alexandrie de Maria Dzielska
préface de Monique Trédé, trad. de l’anglais par Marion Koeltz
Editions : Des femmes/Antoinette Foulque-mars 2010
1è éd originale 1995/Harvard University Press à Cambridge/Massachussetts
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