Il y a comme un parfum de déjà-vu qui flotte dans le cinéma d’horreur des années 2020. Michael Myers a fait un retour gagnant à Haddonfield en 2018, entraînant deux suites (Halloween Kills et Halloween Ends, à venir en octobre prochain) sous la bénédiction de son créateur John Carpenter. Puis ce fut au tour de Ghostface d’effectuer son come-back au sommet du box-office. Sans son papa Wes Craven, décédé en 2015, mais sous la houlette de son scénariste Kevin Williamson, producteur de la nouvelle mouture de Scream, sorti en janvier dernier. S’inscrivant dans la nouvelle tendance de la legacyquel (néologisme abscons désignant les suites tardives de films cultes qui exploitent la nostalgie des épisodes précédents, à l’instar du Réveil de la Force), ces longs-métrages réactivent l’engouement autour d’un genre bien particulier : le slasher. C’est dans ce contexte que Vents d’Ouest, en partenariat avec Pulse Editions, a décidé de sortir un livre entièrement consacré à l’univers de Jason Voorhees, Freddy Krueger et consorts, intitulé Slashers – Attentions, ça va couper… Coécrit par Marie Casabonne (traductrice de The Disaster Artist, mais également collaboratrice régulière du podcast Sale temps pour un film), Claude Gaillard (auteur de Gaming Goes to Hollywood), Fred Pizzoferrato (Bad Requins consacré à la sharksploitation) et Guillaume Le Disez (Brigitte Lahaie : Les Films de cultes et le futur ouvrage dédié à Marilyn Jess), ce volume richement illustré vise à offrir un panorama complet de l’histoire des tueurs masqués sur grand écran. Une ambition qui mérite d’être saluée tant le filon a produit une quantité astronomique d’œuvres plus ou (surtout) moins réussies, mais la mission est-elle accomplie ?
L’histoire est connue : le krimi allemand et les thrillers hitchcockiens inspirent le giallo italien qui, après le transitoire La Baie sanglante de Mario Bava, va donner naissance au slasher américain. En 1974, Massacre à la tronçonneuse bouleverse la représentation de la violence au cinéma, et Black Christmas se pose en acte fondateur, que John Carpenter va définitivement sceller avec le matriciel Halloween quatre ans plus tard. Imprégné de survival (Délivrance est encore dans tous les esprits), le genre cultive un attachement très particulier au territoire américain et à sa culture. L’ouvrage revient en détail sur l’appartenance très forte à la civilisation yankee, au travers du rapport à sa jeunesse, mais aussi à la violence, en témoigne la fascination morbide qu’exerce la figure du serial killer (John Wayne Gacy, Jeffrey Dahmer sont les ancêtres des bogeymen de fiction). Comme un cercle vicieux, les faits divers sordides nourrissent l’imaginaire les cinéastes qui produisent des œuvres elles-mêmes sources d’inspiration (ou du moins, dénoncées comme telles) pour certains psychopathes. Preuve en est le traitement politique et médiatique des nombreuses tueries dans les lycées et universités, que les auteurs évoquent évidemment. Un fait divers pour le moins parlant est cité : Adrienne King, comédienne apparue dans Vendredi 13, a vu sa vie bouleversée suite au harcèlement qu’elle subit de la part d’un maniaque, fan de Jason. Ce lien qu’entretiennent les Etats-Unis avec les meurtriers de masse explique en partie pourquoi le genre peine à traverser les frontières. Ainsi, parmi les nombreuses sagas abordées, seule la trilogie Cold Prey (issue de la nouvelle vague d’horreur finlandaise, aux côtés de Morse par exemple) n’a pas été produite au sein du pays de l’Oncle Sam. La France, bien que prise de passion nouvelle pour ses propres enquêtes criminelles (en témoigne l’emballement autour de l’affaire Dupont de Ligonnès), s’avère à la traîne. Seuls Promenons-nous dans les bois, le nanar Ogroff et le film dans le film Red is Dead (La Cité de la peur) ont l’honneur de figurer dans ces quelque 350 pages. Marquées par divers événements (comme le meurtre de John Lennon) et une violence sociale due au capitalisme débridé de la présidence Reagan, les années 80 nourrissent immanquablement le slasher. Le cinéma mainstream va trouver dans cette tendance émergente, matière à renouveler ses polars (Le Justicier de minuit, La Corde raide) jusqu’aux années 90 et les succès du Silence des agneaux ou Seven. Les nineties sont ici présentées comme le premier vrai bouleversement des codes. La vision méta introduite par Scream (après que Popcorn ou le sixième chapitre de Vendredi 13 aient préfiguré ce second degré) devient la norme, pour le pire et le meilleur. Il est amusant de constater que c’est l’affiche du long-métrage de Wes Craven, récit autoréflexif s’il en est, qui est choisie pour figurer en couverture du livre. Dès lors, les diverses parodies (Scary movie, mais aussi la bande-annonce Thanksgiving réalisée par Eli Roth pour le projet Grindhouse) sont décrites comme obsolètes et sans véritable raison d’être. Une raison de la perte d’intérêt du public pour les histoires de tueurs en série, beaucoup moins présentes ces dix dernières années.
Slashers – Attention, ça va couper… n’en fait nullement mystère : comme n’importe quel cinéma d’exploitation, tout n’est qu’affaire de modes passagères et de gros sous. La surproduction qu’engendre cet engouement (plus d’une vingtaine de titres répertoriés pour la seule année 1980) crée une lassitude. Trop de longs-métrages, peu de franches réussites, le genre quitte peu à peu les salles pour se tourner rapidement vers la VHS (sort que connaîtra également le néo-slasher, avec Souviens-toi, l’été dernier 3 ou les suites d’Urban Legend). Si ses matrices sont menées par des auteurs investis (John Carpenter et Bob Clark), ce dernier est rapidement tombé entre les mains de studios intéressés et opportunistes. C’est le cas de Sean S. Cunningham, réalisateur de Vendredi 13, au départ producteur de films tous publics, qui va percevoir le filon et s’y engouffrer. Carpenter lui-même taxe d’ailleurs les aventures de Jason de cynisme. Car le gore répond à une logique très libérale d’offre et de demande, bien que les majors hypocrites, se révèlent frileuses à montrer trop de sang ou de sexe. La longue litanie de sagas à rallonges constitue l’un des points forts de l’ouvrage : Slumber Party Massacre (produit par Roger Corman, toujours prompt à suivre les tendances), Silent Night Deadly Night, Hatchett ou le très Z Camp Blood, sont ainsi analysés en profondeur. Bourré d’anecdotes (Black Christmas un temps retitré Silent Night, Evil Night pour ne pas être confondu avec un film de blaxploitation), l’ouvrage se plonge dans les rouages de la fabrication de ces machines à cash. Toutes les grandes fêtes (Noël, Saint Valentin), toutes les disciplines (le sport, l’aérobic et même la pêche à la ligne) et tous les courants culturels (le disco, le heavy metal, le rap) sont passés à l’essoreuse du slasher afin de conquérir de nouveaux publics. Les auteurs se penchent sur ses différentes évolutions, très souvent liées à un besoin purement mercantile : l’ajout de la 3D dès le sixième volet de Vendredi 13, Freddy Vs. Jason et son univers étendu préfigurant le MCU, les relents oniriques accolés aux films suite au succès des Griffes de la nuit, et même la dimension féministe et inclusive des dernières années. De même, l’arrivée des castings « all stars » de la décennie 90 voit les campagnes de promotion bouleversées. Les affiches mettant en avant les vedettes (souvent issues de la télévision) remplacent ainsi les posters très graphiques révélant les masques des tueurs ou leurs armes. Les victimes prennent la place des bourreaux dans le cœur des marketeux, un visage juvénile de starlette du moment vend plus qu’une lame ensanglantée, promesse d’un spectacle gore et jouissif. Stade terminal du recyclage hollywoodien, la vague des remakes (initiée par Michael Bay via sa société Platinum Dunes) et d’adaptations pour le petit écran (non-sens absolu pointé du doigt ici entre la mécanique de la peur et l’écriture épisodique) finit d’enfermer le tout dans une nostalgie 80’s mortifère et stérile.
À ce constat amer, les auteurs opposent un amour profond et véritable pour ce « cinéma qui tue mais qui ne veut pas mourir », comme ils le désignent en introduction. Cette passion fièrement revendiquée se double d’un recul critique et analytique des plus passionnants. Tout au long de l’ouvrage, le rapport du slasher à la sexualité est abordé tout en se débarrassant des clichés habituels. Ainsi, il est mis en parallèle avec le teen movie (qui connut aussi une résurrection durant les 90’s avec la sortie d’American Pie). Le rapprochement, entamé par Bob Clark, réalisateur de Black Christmas et de Porky’s, transparaît dans chaque composante. Même cœur de cible (les adolescents), même absence ou impuissance des autorités et des figures parentales, mêmes personnages, souvent campés par les mêmes acteurs, même opposition très nette entre deux catégories : les puceaux et les autres. Au milieu de ce déballage d’hormones, se distingue une figure essentielle, parcourant l’ensemble du livre, celle de la final girl. Sous ses atours puritains et réacs (une virginale jeune fille échappe au Mal), elle se révèle bien plus complexe et moderne. Premier visage féminin actif du cinéma d’horreur, elle permet une inversion des genres (elle se « masculinise » alors que le tueur est dévirilisé), jusqu’à passer du rôle de victime à celui d’héroïne (Scream marque en cela une révolution). Tournant autour des mêmes codes que le conte de fées (le meurtrier n’est-il pas surnommé « croquemitaine » ?), le genre est décortiqué à longueur de pages en s’appuyant sur l’étude menée par Carol J. Clover intitulée Men, Women and Chainsaw : Gender in the Modern Horror Film. Un long entretien avec la psychothérapeute Ghislaine Romain éclaire sur l’importance de la frustration sexuelle dans la construction du bogeyman autant que de sa proie, à travers, entre autres, la place de l’arme blanche, outil de pénétration par excellence. Des petites histoires, parfois scabreuses, émaillent les productions, à l’image de Martha Kober, mineure lorsqu’elle tourne une scène de sexe dans Le Tueur du vendredi, ou encore le réalisateur Victor Salva, accusé d’attouchements sur un jeune acteur sur le plateau de Clownhouse. Le cinéaste exorcisera d’ailleurs ses propres démons dans l’excellent Jeepers Creepers quelques années plus tard. Sous ses oripeaux machistes, le slasher s’est ouvert (involontairement ?) à la transidentité, l’homoparentalité (Sleepaway Camp), a dénoncé en creux les agissements d’Harvey Weinstein (Scream 3) tout en s’amusant à retourner les codes, à l’image de cet exemple rare de final boy, dans le crypto gay La Revanche de Freddy. Slashers – Attention, ça va couper… donne également la parole à de nombreuses intervenantes, de l’actrice Deborah Voorhees (aperçue dans Vendredi 13, chapitre 5, ou le très bisseux Angel 2) à la réalisatrice Natacha Kemani (Lucky).
Le travail titanesque fourni pour répertorier un nombre incalculable de films est à saluer malgré quelques petits défauts (certaines répétitions, des interviews pas toujours passionnantes ni très éclairantes). Le choix de ne pas s’entretenir avec de grands noms (tels John Carpenter ou Tom Savini, désigné à juste titre comme le véritable créateur de Vendredi 13) s’avère payant et met en lumière des personnalités méconnues. De l’énumération des règles du slasher, à l’analyse complète de l’échec du détesté remake du Bal de l’horreur, en passant par l’idée amusante du bodycount pour chaque saga, tout le livre laisse paraître la passion de ses créateurs. Impossible d’énumérer toutes les anecdotes (citons notamment le scénario écrit par S. Craig Zahler pour un hypothétique Halloween 3 réalisé par Alexandre Bustillo et Julien Maury) et les longs-métrages évoqués (comme ce Phobia tourné par John Huston en 1980). L’auteur de ces lignes se réjouit de la mise en avant de La Maison de cire (trop souvent décrié en raison de la présence de Paris Hilton mais sidérant dans son dernier tiers aux accents d’horreur gothique) et du second Halloween de Rob Zombie, enfin réhabilité à sa juste valeur. Alors que Pulse édite en parallèle un sympathique roman interactif (Le Slasher dont vous êtes le héros) et une série B oubliée (Blood Harvest), un sixième volet de la saga Scream est annoncé. 2022 serait-il l’année du retour du genre ? L’avenir nous le dira, mais Slashers – Attention, ça va couper… mérite d’ores et déjà sa place dans la bibliothèque de tout fan de cinéma d’épouvante.
Disponible aux éditions Vents d’Ouest et sur le site de Pulse Editions.
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