Marie Desplechin – "Babyfaces" (9-12 ans)

Drôle de titre pour un livre qui s’adresse aux pré-ados, qui ne sont justement plus des bébés… Le mystère est levé dès la première page : ce terme est utilisé dans le milieu du catch et désigne « un catcheur qui joue le rôle du gentil et que la foule aime ». Joli parallèle, donc, pour une histoire qui montre qu’il ne faut pas se fier aux apparences.Engagée dans la lutte contre l’illettrisme et intervenante pour des ateliers de lecture et d’écriture, notamment dans la région d’Amiens dont s’inspirent les lieux de « Babyfaces », Marie Desplechin donne une couleur sociale et militante à ses écrits pour la jeunesse dans un élan d’ouverture qu’elle entend bien communiquer aux petits lecteurs.

L’histoire se déroule dans un quartier – au sens isolé et autarcique du terme – traversé de part et d’autre par l’autoroute. Chaque jour, Nejma et Rajanikanth empruntent la passerelle qui mène à l’autre partie du quartier où se trouve leur école. Ce trajet quotidien a pour rituel le racket par Nejma d’un bout de baguette beurré pour le goûter, d’une part parce qu’elle n’en a pas, d’autre part pour entretenir sa réputation de méchante. Car on parle de Nejma comme du vilain petit canard notoire, « nulle, violente, grosse, mal habillée et moche » et elle semble y trouver son compte, jusqu’au jour où on lui fait injustement porter le chapeau d’un drame de catch amateur pendant la récré. Pas facile de se défendre lorsque les circonstances jouent contre soi, mais c’est sans compter sur l’aide de son ami Raja et d’Isidore, le vigile du supermarché où elle traîne après les cours.

Riche en messages positifs et constructifs, « Babyfaces » fait tomber les masques à travers le regard du narrateur, le compréhensif et placide Rajanikanth doté d’un humour délicat. On découvre avec lui la solitude de Nejma, livrée à elle-même au sein de son foyer monoparental car le « sale boulot » de sa mère oblige celle-ci à travailler à des horaires décalés. Un étage au-dessus, Raja vit avec ses parents d’origine indienne, dans une chaleur bienveillante rythmée par les effusions de sa mère, décrites avec tendresse. Dans ce récit, l’auteur s’attache en effet à valoriser le rôle des adultes et, sans contester leur autorité, à multiplier leurs interactions avec les enfants. L’importance du dialogue est mise en avant à travers des situations où les enfants peuvent trouver des interlocuteurs adjuvants parmi les adultes, mais en montrant aussi qu’ils peuvent eux-mêmes apporter des réponses, dans une optique du « vivre ensemble » où l’échange profite à chacun. Les instituteurs, qui ont parfois droit à l’erreur, sont des individus qui portent aussi des prénoms, ainsi que la directrice, Madame Léglise, dont on s’attardera sur l’émotion lors de la fête de l’école. Marie Desplechin initie également à la notion de justice en montrant que l’on ne punit pas sans preuve et en condamnant les coupables à des travaux d’intérêt général et pacifique. L’école y est aperçue au-delà de la classe, humanisée et fédératrice, comme un lieu de vie qui ne se limite pas à l’apprentissage scolaire.

Réaliste mais optimiste, « Babyfaces » est un livre qui pourra peut-être retarder l’apparition du cynisme chez vos enfants…

Paru à L’Ecole des Loisirs

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