Marin Ledun – « L’homme qui a vu l’homme »

Iban Urtiz est journaliste, au Pays basque, dans un quotidien régional. Malgré la connotation de son nom, Iban n’est pas basque, enfin pas tout à fait. Mais, quand le rédacteur en chef du journal qui l’emploie lui confie la tache d’enquêter sur la disparation d’un militant basque, il pense que son heure est venue. Lui, l’étranger, le euskaldum comme ils le surnomment, sait qu’il va devoir choisir un camp…

Marin Ledun est l’un des chefs de file de la nouvelle génération du polar français. Engagé, il l’est mais d’une autre manière que la vieille garde des années 1970. Son engagement tient surtout dans sa volonté de retranscrire, au plus près, la réalité sociale dans ses romans sans jamais tomber dans une dichotomie certes efficace mais limitée.

Ainsi, avec son dernier livre, il revient de manière indirecte sur l’affaire Joan Anza du nom de ce militant basque disparu puis retrouvé mort dans une morgue près de Toulouse en 2009. Comme lui, Jokin Sasco disparaît. Non pas dans un train mais sur une aire d’autoroute. Comme lui, il est retrouvé mort. Peu d’indices sur les protagonistes transparaissent au début du livre. Marin Ledun a le talent pour tenir le lecteur en haleine grâce à une mise en scène terriblement efficace servie par une écriture incisive. Les ramifications entre les personnages prennent forme progressivement. L’intrigue se déploie et interagit sur le comportement des protagonistes.

Et, en premier lieu, Iban Urtiz. Lui, volontiers habitué aux reportages classiques, est galvanisé par cette enquête. Son confrère, Marko Elizabe, n’est pas novice dans le métier. Basque enraciné, il connaît les rouages de ces milieux. Il pressent le retour de la guerre sale, celle qui a endeuillé le Pays basque durant des années avec la complicité des gouvernements français et espagnol. Ainsi, Marin Ledun rappelle avec discernement les principaux éléments de la guerre larvée au sein de la région sans jamais tomber dans un long descriptif historique.

Deux camps se font face et les deux journalistes se trouvent au milieu. D’un coté, la famille du disparu avec sa sœur, son frère et les militants basques réclamant la vérité ; de l’autre, une équipe de barbouzes responsables de l’enlèvement. Marin Ledun ne s’intéresse pas forcément aux instigateurs. Son livre n’a pas la prétention de s’introduire dans les coulisses du pouvoir ou du commandement des étarras. Mais, de décrire comment des hommes coupables, dos au mur, tentent de sortir du piège qui se referme sur eux. Ici, les personnages ne sont que des pions broyés par des intérêts qui les dépassent. Dans cet univers où la violence est omniprésente, Iban Urtiz tente de se frayer un chemin. Pour comprendre. Pour ne pas laisser de tels actes tomber dans l’indifférence dans un état de droit.

« Etzia cligne nerveusement des yeux. Elle sort une liasse de billets de vingt euros et les tend à l’infirmière qui lève la main gauche, dans un geste de refus. […] Sans cesser de secouer la tête, Anne Mabille abaisse la poignée, s’appuie de tout son corps sur le tiroir et tire d’un coup sec, libérant une housse en plastique baignant dans un voile de vapeur d’eau. Elle brise les scellés et descend la fermeture Eclair. La tension nerveuse qui maintenait Etzia debout vole en éclats. Jokin. Elle éclate en sanglots. Elle le reconnaît. C’est bien lui, c’est son frère Jokin. Elle effleure la joue, le front, le crane rasé du cadavre du bout des doigts, avec précaution, par crainte de briser quelque chose. Il est si froid. »

Grâce à son style d’écriture, Marin Ledun signe un thriller politique haletant tout en portant un regard empreint d’humanité dans sa façon d’aborder ses personnages. Une plongée dans un coin de l’Hexagone où la violence endémique reste largement méconnue de l’opinion publique.

L’homme qui a vu l’homme.

 de Marin Ledun

Éditions Ombres noires

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A propos de Julien CASSEFIERES

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