Soumission. Le titre, à lui seul, sonne comme une provocation. Sa parution, le jour des attentats contre Charlie Hebdo, précipite un écho lointain mais assourdissant parcourant la société française.
Il y avait déjà eu Renaud Camus ou encore Éric Zemmour. Le meilleur contempteur de l’époque allait-il verser, lui aussi, dans la paranoïa sociétale ? La provocation, Michel Houellebecq est coutumier du fait. Il se joue, depuis depuis plus d’une décennie, des chiens de garde moraux de la pensée. Pur produit générationnel, Michel Houellebecq ne veut pas, pour autant, bousculer la société. Il ne s’assigne pas de missions à la manière des grands noms intellectuels du XXe siècle. Non, il choque, heurte, volontairement ou pas, et s’incarne encore le mieux dans cette figure d’écrivain désabusé.
Soumission donc. Roman d’anticipation politique à « donner la gerbe » à un journaliste de Canal plus. Roman fictionnel surtout. En 2022, un parti musulman, la Fraternité musulmane surgit sur la scène politique et arrive au pouvoir par le biais d’élections démocratiques. Mohammed Ben Abbes devient Président de la République et réforme le pays en profondeur.
Au milieu de ce tournant civilisationnel, un professeur de littérature, François, à l’écart des contingences de la société, s’ennuie dans une vie sans grand relief. L’existence individuelle lui pèse. Il y a bien Myriam, cette étudiante juive qui, le temps d’une nuit, lui permet d’avoir des relations sexuelles. Mais Myriam n’est qu’un substitut pour tromper sa solitude. Quand elle émigre en Israël, lui reste seul conscient « qu’il n’y a pas d’Israël » pour lui. « L’avenir, il me semblait imprudent d’y songer. » Spécialiste de Huysmans, il s’interroge sur la décadence des sociétés. Chez ce déçu du libéralisme culturel et de l’évolution des mœurs afférentes, la société ne peut apporter que frustration et dépit. En bref, le héros est un personnage hautement houellebecquien dans la lignée de ses précédents livres.
Michel Houellebecq dresse une fresque sociale en maniant ironie et cynisme. Sa virtuosité prend tout son sens par la distance qu’il met entre son narrateur et les événements extérieurs. En effet, placé en retrait de la vie publique, le narrateur décrit, par exemple, un paysage politique à bout de souffle. Les deux grands partis de gouvernement sont défaits. Le Front national est le premier parti de France, talonné par la Fraternité musulmane. Mais si des troubles parcourent le pays au moment des élections, le jeu démocratique reprend vite le dessus, écartant l’idée de guerre civile.
Tout comme Huysmans l’a fait au XXe siècle, François va être tenté par la vie monastique. « La Vierge attendait dans l’ombre, calme et immarcescible. Elle possédait la suzeraineté, elle possédait la puissance, mais peu à peu, je sentais que je perdais le contact, qu’elle s’éloignait dans l’espace et dans les siècles tandis que je me tassais sur mon banc, ratatiné, restreint. Au bout d’une demi-heure je me relevai, définitivement déserté par l’Esprit, réduit à mon corps endommagé, périssable. » Les temps ont changé, le christianisme n’apparaît plus comme une force désirante. C’est le tournant du livre, François renonce à cette conversion spirituelle, il rentre à Paris et assiste en tant que spectateur à l’application, diffuse dans les différentes sphères de la société, de la politique de Ben Abbes. Les jupes sont, par exemple, proscrites et les valeurs patriarcales restaurées. François passe ainsi de l’étonnement à la réflexion. Il retrouve également ses collègues fraîchement convertis et mariés avec plusieurs épouses. Pour François, la surprise passée, l’attrait est réel. Il suffira d’une promotion de carrière pour que ce dernier rejoigne la cohorte des convertis.
Soumission ne laisse pas indifférent. En s’appuyant sur les peurs d’une partie de la population, il renforce les craintes identitaires déjà présentes. Certes, mais au-delà de cette analyse sommaire, Houellebecq relève les failles de la civilisation occidentale où toute idée de transcendance a disparu. Il interroge ce moment précis où le désenchantement du monde a laissé place à un vide consumériste et individualiste.
Le livre de Michel Houellebecq ne mérite pas l’acharnement médiatique qui a accompagné sa parution. A l’inverse, l’étrange sentiment de sérénité qui traverse les personnages à la fin du récit (contrastant avec l’anxiété du début) dérange et invite à la réflexion. Michel Houellebecq signe ici un livre important, confortant son rôle d’observateur des travers de la société occidentale.
Soumission
Michel Houellebecq
Éditions Flammarion.
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