Le retour en disgrâce d’Albert Camus pourrait faire l’objet, à lui seul, d’une réflexion sur notre époque ; de la volonté présidentielle à panthéoniser en 2009 l’auteur de « L’homme révolté » à sa référence usitée dans de nombreux exposés politiques (voir encore le discours du candidat Hollande le 24 janvier 2012). Il serait ainsi devenu un auteur « à la mode » capable d’endosser toutes les respectabilités.Le livre de Michel Onfray s’inscrit à contre-sens de cette stature suscitant l’adulation du plus grand nombre. Il se propose de retracer l’existence d’Albert Camus interdépendante de sa pensée philosophique en soulignant son originalité au vu de la doxa de son temps.
Camus est né dans une famille pauvre en Algérie. Un père mort à la guerre de 1914 l’entrainera dans une enfance sous le signe de « la pauvreté et la solitude ». Tout comme Michel Onfray construira sa sensibilité autour de ses jeunes années pour le moins pénibles (voir la préface de « Politique du rebelle »), Camus s’efforcera également de rester fidèle « à ce parti des gens modestes et sans voix » qui peupleront ses premières rencontres.
Loin des biographies soulignant de manière parcellaire ses principes (la morale, la justice…) sans jamais trop s’attarder sur ses convictions profondes, Onfray va mettre pleinement en lumière sa réflexion libertaire en contextualisant ses prises de position et ses écrits.
Qu’en ressort-il ? Onfray (c’est une des faiblesses du livre) s’évertue à accabler de tous les maux les choix et la personnalité de Jean Paul Sartre afin d’encenser Camus. Certes, Sartre n’est pas exempt de tous reproches (notamment pendant la période ou la France était occupée). Il n’en reste pas moins que sa postérité ne peut se limiter à ses engagements politiques et doit surtout inclure son œuvre littéraire et philosophique. En outre, l’exaltation de la violence par Sartre, condamnable par ailleurs, constitue le reflet d’une époque particulière où les guerres de libération (Cuba..) et de décolonisation faisaient figure de lutte contre la domination capitaliste et coloniale.
Camus, lecteur fidele de Dostoïevski (Onfray a peu tendance à le souligner préférant mentionner Nietzsche tout long de son essai), se méfiera des idéologies. Selon l’auteur russe, « romancier-philosophe » d’après les termes de Camus, la mort de Dieu aura pour effet l’avènement des idéologies au mépris du respect de l’humain ; « Plus de Dieu, plus de valeurs, plus d’éthique : que faire ? Tout est absurde, dépourvu de sens » résume Michel Onfray.
Camus un temps adhérent du Parti Communiste le quittera par souci de « vérité ». Ayant repris pour sienne la maxime d’un père qu’il n’a pas connu : « un homme ca s’empêche », il placera l’humain au centre de sa problématique. A travers son œuvre littéraire mais également journalistique, en particulier au journal Combat, il n’aura de cesse de pourfendre la violence, la douleur faite aux hommes. De là découlera son combat contre la peine de mort mais également sa dénonciation de la barbarie (issue des deux camps) lors de la guerre d’Algérie. Onfray détaille avec précision sa position pacifiste pendant cette guerre, longtemps discréditée à tort mais en droite ligne de la pensée non manichéenne de Camus. Il voudra éviter, en vain, une effusion de sang en proposant des solutions dans le but de faire coexister les populations sur le même territoire. Devant l’impossibilité de choisir entre les deux camps, Onfray souligne qu’il tentera d’user de son influence auprès des autorités pour éviter des condamnations de membres du FLN témoignant une fois encore de son combat pour sauver l’humain pris dans les tourbillons de l’histoire.
Si l’antitotalitarisme de Camus a eu l’occasion d’être souligné pour dénoncer les goulags soviétiques, peu d’ouvrages lui sont consacrés pour mentionner sa filiation libertaire. Onfray peint ainsi un Camus, certes pourfendeur du communisme totalitaire, mais dans la droite ligne d’un syndicalisme libertaire. Camus s’inspirera ainsi de la pensée de Pierre-Joseph Proudhon et d’un Fernand Pelloutier partisan « d’une grève universelle légale et pacifique » pour donner aux ouvriers le moyen de réaliser leur émancipation. Par conséquent, il soutiendra la CNT* ainsi que les républicains espagnols à travers des tribunes et des pétitions (notamment lors de l’entrée de l’Espagne à l’Unesco). Pour Onfray, loin de l’image sociale-démocrate que certains lui attribuent, Camus, admirateur de la Commune de Paris, rêve d’un socialisme libertaire, fédéraliste et contractuel. « Cette pensée anarchiste n’est plus hégélienne, nocturne, sanglante, allemande, germanique mais française, latine, solaire ».D’une certaine façon, Camus, chantre libertaire, ravivera « La Mémoire des Vaincus** » balayée par le souffle du « socialisme des barbelés ».
A ce titre, Michel Onfray réussit son pari, tant son texte, relativement accessible, apparait salutaire afin d’éviter l’instrumentalisation d’un homme et de sa pensée. A travers son évocation, c’est également sa propre généalogie qui se découvre faisant de lui un digne héritier de « L’homme révolté ».
* Confédération Nationale du Travail, syndicat libertaire puissant durant la guerre d’Espagne.
** Michel Ragon « La mémoire des vaincus » Le Livre de Poche.
Paru aux Editions Flammarion
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