Mikel Begona et Inaket – "Le bec des corbeaux"

Depuis quelques années, la bande dessinée ne se cantonne plus uniquement à un rôle transgressif qu’elle a pu avoir dans les années 1970. Elle s’étoffe et diversifie les thèmes et les genres. Cette légitimité culturelle, acquise, lui permet d’appréhender des moments historiques passés et de réactiver des mémoires oubliées.

Le bec des corbeaux en est une illustration. A travers cet ouvrage, Mikel Begonat et Inaket ont voulu réhabiliter le souvenir de deux victimes du franquisme. Francisco Granado et Joaquin Delgado furent deux jeunes anarchistes espagnols « garrottés » par la justice espagnole après une parodie de procès. Les auteurs vont s’inspirer de faits réels pour composer une œuvre laissant libre cours à l’imagination des auteurs. A ce titre, ils sortent des sentiers battus pour emprunter parfois des éléments proche d’un univers fantastique. C’est notamment le cas quand les esprits du Tribunal de l’Inquisition de Logrono, du XVIe siècle, se déploient afin de conseiller Francisco sur une possible trahison. La volonté des auteurs d’établir un parallèle entre les deux formes de justice se matérialise à travers ces personnages irréels. L’iniquité de la justice du moyen-age trouverait ainsi une continuité dans les tribunaux du régime franquiste.

C’est la force du livre : arriver à un mélange des genres, du graphisme à la narration, pour exposer une histoire tragique. Il en va ainsi, par exemple, de l’utilisation des couleurs. Leur choix va dépendre des protagonistes en jeu. Les bourreaux sont dépeints avec une couleur grise, les activistes en jaune clair. Le jeu des couleurs, dans une même planche, densifie la trame du récit. A cette correspondance entre les couleurs et l’action, s’ajoute également l’importance donnée au temps. La narration du récit revient à un météorologue, Mariono Medina, très populaire en Espagne. Outre ses interventions explicitant l’histoire, la météo va être une donnée essentielle dans la construction du récit. La chaleur étouffante de l’été 1963 porte la tension à son paroxysme.

En 1963, le franquisme s’est respectabilisé. Les opposants sont souvent les fils et filles des anciens combattants de la guerre civile. La création de la « Direction Intérieure » lors du Congres de Limoges de 1961 par des groupes libertaires a pour but d’éliminer Franco et d’accélérer le processus démocratique. Pour ce faire, il missionne Francisco Granado de quitter la France et de rejoindre Madrid. Ce dernier est atteint d’une leucémie. Il veut agir avant de mourir. Granado attend un signal qui ne vient pas. A Paris, les responsables décident d’annuler l’opération. Joaquin Delgado est chargé de partir à Madrid avertir Francisco mais les événements se précipitent. Le 29 juillet, deux attentats endommagent des bâtiments officiels ; la confusion est à son comble. Interpellés le 31 juillet, Delgado et Granado avouent sous la torture malgré leur innocence. A travers eux, et la mort du dernier maquisard « Caraquemada » en août de cette même année, le régime franquiste met fin, dans le sang, aux derniers feux libertaires en Espagne. Des années après, dans les années 1990, un journaliste catalan retrouvera la trace des instigateurs des attentats.

Malchance, trahison…les auteurs n’affirment pas un point de vue mais évoquent, à leur façon, toutes les pistes.

Outre l’attrait historique, Le Bec des corbeaux constitue une œuvre savamment travaillée dans la mise en scène de l’intrigue. Les auteurs s’emploient à utiliser de nombreuses allégories comme autant d’énigmes à découvrir pour le lecteur. Un livre à conseiller sans réserve.

Le Bec des Corbeaux

Paru aux Editions Cambourakis

 

 

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A propos de Julien CASSEFIERES

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