Le monde du polar en Espagne en 2015 a été marqué par le somptueux roman de Victor Del Arbol, Toutes les larmes de l’Océan. Simple épiphénomène ? Visiblement non. Le sang dans nos veines sorti à la fin de l’année renoue avec l’Espagne et son passé tourmenté. Certes, l’auteur, Miquel Bulnes, a écrit son roman en néerlandais. Mais ses origines hispaniques laissent augurer une période bénie pour ce genre littéraire, de l’autre coté des Pyrénées.
Étrangement, ces romans prennent l’Histoire comme témoin privilégié de leur intrigue. L’Histoire espagnole du XXe siècle est peut être plus passionnée et haletante que celle des autres pays européens. La faute à un caractère affirmé par des identités régionales composites et des croyances politiques tranchées. Dés le début du siècle, l’Espagne connaît des périodes de troubles tempérées par le magistère du roi. Le roman de Miquel Bulnes est ancré dans ce moment de l’histoire où les ardeurs des hommes font basculer le cours des choses.
En 1921, l’Espagne combat les armées berbères d’Abdelkrim, dans le Rif. « Quiconque pense que l’enfer est un lieu sous terre, où des diables entourés de flammes vous harcèlent de leurs pics, n’a manifestement jamais passé un été dans le Rif. Le lieutenant Emilio Amores trace de son pas traînant un sillon jusqu’à sa tente. Il déteste l’Afrique. Il veut rentrer chez lui.» Ainsi commence le livre de Miquel Bulnes. Dans cette torpeur où le soleil brûle les corps et meurtrit les âmes, le capitaine Santamaria commande ses troupes d’une main de fer. Les soldats souffrent. Les harcèlements incessants des partisans d’Abdelkrim transforment les nuits en tourment quotidien. Le siège d’Anoual va constituer le point d’orgue de la débâcle. Les troupes espagnoles vont perdre plus de 12 000 soldats, précipitant le coup d’Etat un an plus tard de Miguel Primo de Rivera.
Le capitaine Santamaria, au prix d’une persévérance à toute épreuve et d’une once de malice, sort vivant de cette épreuve. De retour en Espagne, il est nommé commissaire de la Sûreté à Madrid, gardant toujours, au fond de lui, une nostalgie pour son passé de militaire. Un meurtre est commis dans une maison close. La victime fait partie de la haute société madrilène . Très vite, la présence d’un cahier prés du cadavre sème le trouble. D’autres personnes s’intéressent à cette mort, comme le politicien Ubrique. Ambitieux et prêt à tout pour s’emparer du pouvoir, il s’allie avec des anarchistes et prépare un coup d’Etat. En face, un groupe de conservateurs alliant des militaires et des curés conspire pour déstabiliser l’État. Le carnet devient un enjeu précieux pour nombre de personnes. Les personnages se crispent, s’épient et s’entre-tuent. Un lien diabolique les agrège.
Si l’Histoire est bien présente dans le déroulé des événements, la force du roman ne réside pas uniquement dans son réalisme. Elle tient également pour beaucoup dans la richesse des personnages. Des prostituées aux politiques en passant par les syndicalistes ou les simples ouvriers, l’auteur dépeint un tableau de la société espagnole du début du siècle. Une société où les classes sociales ne se mélangent pas et respectent des codes bien établis. L’exposé de la narration est lui aussi également singulier et frappant. Il alterne, avec aisance, les points de vue et les sujets. L’intrigue se construit, progressivement, au gré des différents témoins. A titre d’exemple, le lecteur suit les extraits des mémoires écrites par le commandant Santamaria.
En outre, la trame ne suit pas une linéarité du temps. L’auteur s’autorise des sauts dans le passé pour mieux revenir au présent. Ces éléments servent le rythme de l’intrigue en permettant d’appréhender diverses temporalités.
Roman noir ambitieux et réussi par le suspense créé par l’auteur, Le sang dans nos veines mérite toute l’attention des lecteurs. Il se dégage de cette intrigue un halo de poussière d’histoire l’emportant dans des temps oubliés.
Le sang dans nos veines
Miquel Bulnes
Editions Actes Sud
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